Publications

vendredi 15 mars 2013

Le droit de contester les élections: entre intérêt à agir et intérêt général

Voir: http://www.kommersant.ru/doc/2146170

La Cour constitutionnelle va devoir se prononcer sur la constitutionnalité des normes du Code de procédure civile et de la législation électorale, permettant aux juges de ne pas examiner les recours contestant la valadité des élections portés par les électeurs, les observateurs et les membres des commissions électorales.
 
Selon les requérants, la source du pouvoir est dans le peuple, le pouvoir s'acquiert par les élections, donc chacun des éléments de ce peuple doit être en mesure de défendre ses droits en justice et ainsi de contester une élection truquée. Théoriquement, l'idée est bonne. Pratiquement, elle est difficilement réalisable.
 
Pour qu'un droit soit protégé, il peut exister différents mécanismes. Soit, effectivement, un mécanisme direct permettant à chacun de le défendre devant une juridiction. Soit indirect, permettant à une instance de regrouper les informations sur la violation de ce droit et de présenter un recours au nom de l'intérêt général. Intérêt personnel à agir d'un côté, intérêt général de l'autre.
 
En ce qui concerne plus particulièrement les élections, une élection ne va pas être invalidée parce que le droit d'un électeur a été violé. Il faut que les violations aient atteint un niveau tel, qu'elles aient pu inverser la tendance des résultats. L'appréciation est éminament subjective, comme toujours en la matière. Le droit ne peut pas toujours prévoir un critère quantitatif objectif, qui serait par ailleurs absurde.
 
Mais la où le bas blesse, ce qui empêche le système actuel de fonctionner correctement, c'est le déficit de confiance qui entâche les structures chargées de défendre ces droits. Les commissions électorales, grâce à la personnalité de Tchurov, ne semblent pas à même de porter les recours. Les juridictions sont soupçonnées d'être inféodées au pouvoir et, donc, de ne pas défendre les droits des individus. C'est ici que se trouve le fondement réel de ce recours devant la Cour constitutionnelle et non en raison d'un vide objectif dans le système juridique.
 
Ne serait-ce déjà que pour cela, la demande formulée est absurde. Si les juridictions écartent les requêtes formulées par les partis politiques, il y a des chances qu'elles écartent également massivement les requêtes formulées par les électeurs. D'autant plus que là, elles auront un argument de poids: une violation ne change pas le cours d'une élection. Donc quel est l'intérêt? Juridiquement, il n'y en a pas. Politiquement, en revanche, cela va permettre de stigmatiser, ici artificiellement, le pouvoir judiciaire.
 
Donc en fait, demander à la Cour constitutionnelle de reconnaître la possibilité aux électeurs de contester individuellement la validité des élections est lui demander de reconnaître la mise en place d'une déformation du système qui est censée permettre de compenser les défauts de ce même système, sans pour autant chercher à les régler. Attendons la décision de la Cour sur la question.

jeudi 14 mars 2013

L'étonnante médiatisation de l'élection du doyen de la faculté de droit de MGU

Voir: http://izvestia.ru/news/546586
http://ria.ru/society/20130312/926863484.html
http://pravo.ru/review/view/83381/

L'élection, cette année, du doyen de la faculté de droit de MGU est étrangement au centre d'un combat médiatique, comme si le seul fait que des élections se passent, quel que soit l'endroit, ait la faculté de provoquer un engoûment médiatique qui sort de la normale.
 
La situation est pourtant simple. Le doyen sortant, Alexandre Golitchenkov, en place depuis deux mandats, se représente. Face à lui, un jeune professeur de  procédure civile, Dmitry Maleshin présente sa candidature. Sur les 16 Centres de la faculté de droit, 6 soutiennent la candidature de Maleshin, une qui au départ a soutenu le doyen sortant, selon la presse aurait annoncé sa neutralité, mais l'information a été rapidenment modifiée et corrigée, les autres soutiennent Golitchenkov et personne n'a annoncé le contraire.
 
Jusque là rien d'extraordinaire. Une élection, deux candidats, c'est plutôt bien. Une élection dans l'une des 40 facultés d'une des Université russe - même si c'est la plus prestigieuse. Et contrairement à ce qu'affirme le journal Izvestia, ce n'est pas la première fois et le directeur du Centre de droit pénal en avait fait les frais à l'époque en perdant en 2008. On se rappellera également du combat de titans en 1998 entre Sukhanov, doyen alors en fonction, et Martchenko, ex-doyen. Donc les jeux aujourd'hui sont ouverts.
 
Mais pourquoi tout à coup le "parti" Maleshin lance le gant dans la presse? Alors que jusqu'à présent, une élection de doyen restait une affaire intérieure à la faculté. On ne peut pas dire que les élections de ce type fassent la une des journaux français.
 
Au fur et à mesure des publications, le ton et les informations changent. Tout d'abord, Maleshin a 6 Centres derrière lui, finalement il en arrive à la moitié, ce qui est faux. Le doyen est accusé de recourir à des pressions sur les directeurs des Centres, mais personne ne parle des pressions exercées par les Centres contestataires sur leurs membres lors du "vote" pour choisir le candidat à soutenir (certains n'avaient même pas dit que le doyen se représentait). Du fait que Maleshin ne soit plus vice-doyen, qu'un remplaçant soit nommé par interim, cela devient une mesure de répression presque stalinienne. Dans son interview il annonce même continuer à être professeur, comme si cela aurait été remis en cause. Bref, le discours tend à l'absurde.
 
Il faut également revenir sur une des personnes qui a lancé ce mouvement de contestation, le professeur Tomsinov, directeur du Centre d'histoire du droit en congé académique, très virulent dans Izvestia à l'égard du doyen actuel. Sa position est compréhensible et son combat très personnel. Depuis des années, il annonce régulièrement qu'il a les informations pour que Golitchenkov finisse en prison. Mais ne fait rien d'autre que parler. L'année dernière, après les élections, lors de son cours en histoire du droit (sur l'Angleterre) il dérape totalement et décrit les élections passées comme s'il se trouvait dans le café du coin, recourant à une vulgarité inacceptable dans les milieux académiques. Discours immédiatement mis en ligne sur Youtube. Suite à cela la presse bien pensante s'interroge: mais quand sera-t-il démis de ses fonctions? Une victime du système, un héros de la liberté à portée de main. Or rien ne va en ce sens, et ils sont très déçus que la liberté d'expression soit défendue dans le cadre universitaire. En revanche, il lui est demandé de rester dans le cadre de son cours et de s'exprimer correctement. Sa haine envers le doyen actuel est connue de tous, sa position est évidente.
 
Si l'on voit la réaction du directeur du Centre de droit civil, le professeur Sukhanov, alors qu'il soutient également Maleshin, sa position est plus rationnelle: il y a deux candidats, c'est normal et très bien, que le meilleur gagne.
 
Pourtant ... pourtant. Tout ne semble pas aussi simple. La Russie se trouve aujourd'hui dans une période non seulement de réformes intenses sur le plan juridique, mais également à un croisement où un choix idéologique de système se met en place. Où il est important de déterminer l'emplacement de ce difficile point d'équilibre entre libéralisme et conservatisme. Et la direction de la faculté de droit d'une des universités les plus importantes du pays semble devenir un enjeu de taille.
 
Dans ce combat, il est traditionnel d'opposer deux Ecoles de pensée. Celle, récente, de l'Ecole supérieure d'économie (tedance libérale et anglo-saxonne) et celle, historique, de MGU (tendance conservatrice et européaniste). Avec la "prise" de la banque centrale par Elvira Nabiullina, la tendance libérale anglo-saxonne se renforce et l'Ecole supérieure d'économie, dirigée par son mari, peut devenir le centre "intellectuel". (voir à ce sujet http://izvestia.ru/news/546503). Mais MGU est encore là. Et Golitchenkov, avec tous ses défauts et cette absurde faculté privée de Genève, reste dans le courant conservateur, défend la position traditionnelle de la faculté de MGU. Un Maleshin soutenu par Tomsinov irait, il en est certain, dans un tout autre sens. Est-ce là le fond de l'affaire?

mercredi 13 mars 2013

Le Conseil des droits de l'homme et les mauvais traitements des détenus: un rapport accablant

Voir: http://pravo.ru/review/view/83420/

Le 24 novembre dernier, des détenus de la prison n°6 de la ville de Kopeisk dans l'Oblast de Tchéliabinsk se révoltent et montent sur le toit du bâtiment avec des pancartes demandant l'intervention d'un procureur de Moscou, la fin des mauvais traitements et du racket organisé par l'administration pénitentiaire. Dans la nuit les forces spéciales OMON interviennent et mettent fin à la révolte. L'Ombudsman de la région entre, les familles également entourent la prison. Mais, surtout, une enquête est enfin ouverte.
 
Voir ici la vidéo:
 
 
Le Conseil pour les droits de l'homme vient de rendre son rapport, selon lequel les prétentions des prisonniers sont fondées. Les prisonniers pouvaient être détenus dans des cellules spéciales "de saction" plusieurs mois d'affilés, les changements de types de détention devaient être payés par la famille ou les proches, l'entretien du détenu revenait en partie à la famille. De cette manière, l'administration pénitentiaire pouvait détourner de l'argent. Le schéma était très simple: la famille devait fournir des colis au détenu, avec tous les tickets justifiant le paiement. L'administration faisait alors passer ces paiements en son nom et récupérait l'argent sur les fonds budgétaires alloués. Cela allait de quelques milliers de roubles à quelques centaines de millier de roubles, selon les possibilités financières du détenu et de ses proches.
 
Sur les réclamations des détenus, voir ici la vidéo:
 
 
 
Selon les faits établis par le Conseil des droits de l'homme sur la base de l'enquête menée suite aux 358 requêtes adressées par les prisonniers, dont 255 concernaient des faits de torture ou de mauvais traitements, on notera par exemple: l'obligation de rester dehors plusieurs heures par une température de -30°, l'impossiblité de faire sécher les vêtements, les coups en cas de plainte, scotcher les prisonniers aux barreaux et les laisser ainsi pendant une journée comme méthode "éducative" de redressement. Sur le plan financier, pour sortir un prisionnier du régiment "d'adaptation", cela coûte 50 000 roubles, pour qu'il puisse travailler - 100 000 roubles, une visite pour les proches coûte 1400 roubles ...
 
Le travail des détenus ressemble plus à de l'exploitation. Ils y recevaient un "salaire" allant de 15 à 200 roubles par mois, alors que la législation prévoit un minimum de 5205 roubles.
 
Mais d'un point de vue institutionnel, d'autres dysfonctionnements ont été soulignés. Ainsi, lorsqu'un détenu fait l'objet d'un mauvais traitement, s'il s'adresse au procureur, celui-ci est obligé de mener une enquête. Alors, il interroge le détenu, interroge le gardien, finalement les faits ne sont pas établis car le gardien les dément et l'enquête s'arrête là. Et cela est dans le meilleur des cas. En général, les procureurs chargés de la surveillance des conditions de détention des prisonniers ne prennent pas les requêtes, car "ils ne sont pas des facteurs" (sic!).
 
Dans son rapport, bien que plusieurs affaires pénales aient été ouvertes suite à la révolte des prisonniers de la ville de Kopeisk et que ce cas soit somme toute une exception, le Conseil fait plusieurs recommandations à caractère général:
  • prévoir la responsabilité pénale des fonctionnaires qui poursuivent les personnes ayant dénoncé des crimes;
  • limiter la possibilité d'incarcérer des détenus dans des cellules spéciales "de sanction" à 60 jours dans l'année;
  • renforcer le contrôle sur la qualité de la surveillance exercée par les procureurs sur les conditions de détention dans les prisons.
 
 
 

mardi 12 mars 2013

L'affaire Gudkov Jr. et la question du statut du député

Voir: http://izvestia.ru/news/546385
http://izvestia.ru/news/546469
http://izvestia.ru/news/546422

Début mars, sans en informer ni la Douma, ni son parti Spravedlivaya Rossiya, le député Dmitri Gudkov part pour un voyage "privé", comme il le dit alors, aux Etats Unis, afin de participer à une conférence sur la Russie de Poutine, se renseigner sur les biens à l'étranger en possession de députés russes et sur les conditions de vie des orphelins russes adoptés par des familles américaines.
 
Selon l'interview qu'il a donné au journal Izvestia, il n'est pas intervenu pour critiquer la Russie, mais la corruption du régime, ce qui sont effectivement deux choses différentes. Lors de son intervention à cette conférence organisée au Sénat américain par Freedom House, il a même demandé aux américains d'arrêter de critiquer sans cesse la Russie et d'avoir une démarche plus constructive en soutenant les efforts du Président Poutine dans sa lutte contre la corruption.
 
En ce sens, après des discussions avec des sénateurs et des membres du Congrès, ceux-ci sont prêts à transmettre les informations de corruption concernant les députés et fonctionnaires russes. Il semblerait en effet que le député V.Pekhtine, qui a démissionné suite à la mise en lumière de biens d'une valeur surprenante à Miami, y ait beaucoup de voisins russes.
 
Si la démarche est louable, puisque dans le cadre de la mondialisation, la lutte contre la corruption ne peut se faire que dans le cadre d'une entraide judiciaire entre les Etats, il est regrettable que, finalement, cette entraide prenne les couleurs d'un combat personnel. Cette impression est renforcée lorsque D. Gudkov est tout heureux d'annoncer que le célèbre blogger doct_z (pour les initiés) va également entrer dans la danse et lui fera parvenir toutes les informations qu'il trouve.
 
Pourquoi D. Gudkov ne cherche-t-il pas à institutionnaliser le combat louable et urgent qu'il faut mener contre la corruption? D'autant plus qu'il souligne lui-même l'existence d'une volonté politique en ce sens au sommet de l'Etat... Est-ce un moyen d'entrer en concurrence? Ne pas laisser au pouvoir en place la possibilité de mener ce combat et le court-circuiter? Il est surtout dommage qu'il ne cherche pas à unir ses forces.
 
Parallèlement, il est aller voir quelques familles américaines ayant adopté des enfants russes, où tout, heureusement, se passe bien. Il aurait peut être été plus utile d'aller voir des familles où il y a des problèmes avec les enfants, mais le coup médiatique eut effectivement été différent.
 
Selon ses chiffres, ces 20 dernières années, les familles américaines ont adopté environ 60 000 enfants russes. Pendant ce temps, il y a eu 20 tragédies et presque dans tous les cas, les coupables ont été punis d'une peine de prison. Et selon les données du ministère de l'intérieur, chaque années périssent dans des familles russes 300 enfants adoptés. Pour lui, ces chiffres démontrent qu'il n'y a pas un problème réel avec l'adoption par les familles américaines.
 
Pourtant la question est autre. Est-il normal qu'un pays développé donne à l'adoption internationale autant de ses enfants? Evidemment non. Aucun chiffre équivalent ne se retrouve ni en Europe de l'Ouest, ni aux Etats Unis. Mais les enfants russes sont très prisés, pour une raison très politiquement incorrecte: ils sont blancs. Et c'est donc un marché qu'il serait dommage de perdre.
 
Toutefois, son "voyage privé" soulève une vague de mécontentement. Et du côté de la Douma qui ne comprend pas pourquoi, alors que cette période est prévue soit pour le travail en comité, soit pour le travail en région avec les citoyens, des députés préfèrent partir à l'étranger. Sans accord ni information des services de la Douma ni du parti politique auquel ils appartiennent. Ils pensent modifier le règlement intérieur pour interdir aux députés de partir à titre privé lors des périodes prévues pour le travail parlementaire. Ce qui n'est pas gagné, puisque déjà des voix s'élèvent contre l'idée.
 
Mais également la Chambre sociale s'interroge. Et là le discours de D. Gudkov change de manière surprenante. Son voyage "privé" ne l'est plus autant, puisqu'il intervient dans le cadre du groupe Russie-Etats Unis, dont il est membre.
 
Bref on s'y perd. Il est intervenu dans une conférence, finalement, organisée par Freedom House (qui n'a rien à voir avec ce groupe officiel), ou dans une conférence intervenant dans le cadre de ce groupe, mais qui serait non officielle? Ses journées à la recherche des familles adoptantes et des preuves de corruption se font également dans le cadre du partenariat Russie-Etats Unis? Mais alors sur quels fonds? C'est ce que la Chambre sociale aimerait savoir. Pour cela elle ouvre une enquête.
 
Donc, ce voyage "privé-public" dont personne n'était au courant mais que la presse a largement couvert, va relancer le débat sur le rôle et les obligations du député. A suivre ...

lundi 11 mars 2013

Cour constitutionnelle: inéligibilité et "filtre criminel"

Voir: http://www.kommersant.ru/doc/2143570?fp=13

Selon la modification de la législation électorale, une personne condamnée à une peine privative de liberté pour une infraction particulièrement grave n'a plus le droit de présenter sa candidature aux élections, quelles qu'elles soient et sans conditions de délais.
 
Or, suite à l'entrée en vigueur de cette disposition, appelée communément "filtre criminel", 5 hommes d'affaires n'ont pu enregistrer leurs candidatures aux élections de maires et de député local. Ils se sont adressés à la Cour constitutionnelle pour qu'elle vérifie la conformité à la Constitution du nouvel article 4 de la loi sur les garanties fondamentales sur les droits électoraux et du droit à participer à un referendum. Parallèlement, ils se sont également adressés au Président Poutine.
 
De leur point de vue, la disposition contestée est trop répressive et va à l'encontre de l'article 32 de la Constitution qui donne la possibilité à la justice de retirer le droit de vote à certaines personnes reconnues incapables, ainsi qu'aux personnes soumises à une peine privative de liberté. Or, la disposition étendant l'interdiction de participer à des élections au-delà de l'extinction de la peine, va à l'encontre non seulement de cet article de la Constitution, mais également de l'article 19 qui interdit la limitation des droits fondamentaux, notamment sur critère social.
 
En droit français, par exemple, l'inéligibilité peut toucher toute personne qui perd sa capacité électorale, qui est privée du droit de vote, notamment suite à une condamnation pénale, mais la condamnation pénale n'implique pas obligatoirement une privation de liberté. Le retour de la capacité électorale entraîne alors le retour de l'éligibilité. En règle général, pour les élections locales dont il est question ici, le délai est de 5ans à compter du prononcé d'une décision définitive.
 
Ce sera dès lors à la Cour constitutionnelle de trancher.