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vendredi 19 juillet 2013

Affaire Navalny: oui il y a eu des pressions sur la justice, mais pas comme on vous le fait penser

Voir: http://www.gazeta.ru/politics/2013/07/19_a_5441677.shtml
http://www.newsru.com/finance/24jun2013/navlnybonus.html
http://1prime.ru/finance/20130717/764956759.html
http://www.gazeta.ru/politics/news/2013/07/17/n_3048333.shtml

Au théatre de l'absurde, les manipulés sont roi. Sur cette scène règne l'indépendance de la justice. Hier, Navalny a été condamné, avec son complice, à 5 ans de réclusion (non, pas dans un camp, il faut quand même savoir un peu de quoi l'on parle) et à 500 000 roubles d'amendes. Et ceci pour une bagatelle bien sûr. Le Navalny-Businessman, celui d'avant le blogger/défenseur des droits de l'homme/futur candidat aux élections présidentielles, avait juste organisé le vol de 10 000 m3 de bois, s'enrichissant illégalement au passage d'un peu plus de 16 millions de roubles.
 
Suite au verdict, une manifestation est organisée, Koudrine décrie même l'injustice, les Etats Unis oubliant un instant Snowden, peuvent revenir à la charge et parlent de procès politique. Certains commentateurs de s'écrier au nouveau Mandela (et oui, cela fait trop longtemps que l'on parle de Khodorkovsky, qui en plus, décidemment, n'arrive pas à être populaire). En plus hier, Oh cynisme, c'est le Mandela Day, le Day-D de la lutte pour la justice sociale. Et la Russie fait exprès (mais si, je vous l'assure) de rendre un verdict de condamnation ce jour-là. En l'honneur de la justice, tous les tribunaux du monde auraient donc dû suspendre leurs audiences hier ... Bref, tous les journaux libéraux, c'est-à-dire en fait toute la presse sur internet, lance d'une voix d'une seule ce cri déchirant: Procès politique, prisonnier politique. 
 
Sur le fond de l'affaire, autrement dit de savoir si les faits sont avérés ou non, peu importe, cela est de toute manière trop techique, il faudrait avoir suivi tout le procès, lire des comptes rendus d'audience, lire les dossiers ... quelle importance. L'opposition occidentale-libérale au grand méchant loup a besoin d'un leader crédible, ce dont elle manque cruellement aujourd'hui, alors on le fabrique, quitte à rogner les angles pour faire tomber en dehors du champs médiatique ce qui fait mal.
 
Bref, la machine libérale, qui lutte tant pour l'indépendance de la justice, fait plier la procuratura. Et ce procureur qui argumentait encore hier pour l'arrestation et la culpabilité de Navailny se voit contraint de déposer un recours pour qu'il soit libéré et bénéficie d'une liberté de circulation limitée en attendant que le jugement ne devienne définitif. Et ça marche. Les pressions permettent de faire libérer Navalny ce matin, sur décision du juge et sur la demande de ce même procureur. Les libéraux de tous poils, et pas uniquement russes, ont donc conduit le procureur à nier le droit. Comment? Très simplement. Ils déclarent, et le procureur obligé de reprendre cette argumentation stupide, que le juge n'avait pas le droit de décider de la détention provisoire de Navalny hier, car il était avant en liberté surveillée. C'est complètement faux. Non seulement, dans le système russe en particulier, et dans le système continental en général, le juge a le droit de se prononcer sur les mesures de contrainte concernant la période allant du prononcé de la décision de justice sur le fond au moment où elle deviendra définitive (art. 97 du Code de procédure pénale), mais il a également le droit de modifier ou annuler ces mesures de contraintes (art. 299 al. 1 point 17 CPP), c'est-à-dire de laisser la personne condamnée en liberté ou de le placer en détention provisoire. Donc, ici, très concrètement, la justice a subi des pressions de la part des libéraux, ceux-là mêmes qui veulent tant défendre son "indépendance". En cela, ils ont conduit à politiser le procès.
 
Mais qui est Navalny, que représente-t-il pour provoquer tant d'intérêts claniques?
 
On nous présente souvent Navalny comme un preux chevalier sans peurs et sans reproches, partant au combat contre l'iniquité, la corruption, prenant le parti des faibles contre les forts. Cet être blanc et désintéressé oeuvrant pour le bien de tous. Cet opposant de premier ordre qui fait trembler le Kremlin et serait devenu le meilleur cauchemar de Vladimir Poutine.
 
Très belle histoire, qui n'a pourtant, et malheureusement, rien à voir avec la réalité. Allons y par étape.
 
Navalny, homme politique, a eu besoin des voix d'Edinaya Rossiya, qu'il décrie tant, pour pouvoir être candidat aux élections du maire de Moscou. Voix qu'il a accepté, simplement parce qu'il ne peut lui-même les réunir. Selon un dernier sondage, 63% des russes ne savent pas qui est Navalny. Sans oublier qu'il était alors pourvu d'environ 8% des intentions de vote ... Un peu léger pour gagner, même avec l'appui impressionnant d'Edinaya Rossiya. Le monde des bloggers ne se recoupe pas du tout avec celui de la vie réelle. Donc pour en faire la figure de proue de l'opposition qui va faire tomber V. Poutine, les médias occidentaux et libéraux russes qui relaient, obéissant, les messages de leurs sponsors, vont un peu vite en besogne. Les élections se passent en Russie, pas en France ou aux Etats Unis, où l'opinion publique est mieux préparée, pour le grand dam de ces libéraux.
 
Avant d'être un défenseur des droits de l'homme, ce militant désintéressé est un businessman. Pour exemple, grâce à l'appui du milliardaire Lebedev, qui lui ouvre de nombreuses portes particulièrement rentables, Navanly est entré au Conseil d'administration d'Aéroflot. Pas mal quand même. D'une manière générale, l'année dernière il a gagné 9,299 millions de roubles (1 euro = 42 roubles), dont 7,482 millions grâce à son activité d'avocat (qui a défendu ce défenseur des droits de l'homme??? Nous n'en avons jamais entendu parlé ...). Par ailleurs, son activité contre la curruption et le détournement de fonds publics (Rospil) lui a rapporté 8,521 millions de roubles. Il possède également des actions dans différentes compagnies: Barnaulskaya Gueneratsia, Sberbank (banque de Russie) et dans de nombreuses compagnies liées à l'énergie à savoir l'équivalent de l'EDF russe, Lukoil, Gazprom, Rosneft etc. La liste est longue ... et significative. Autrement dit, c'est un businessman très bien intégré dans le système et dans le clan libéral au pouvoir.
 
Alors que signifie tout cela?
 
Quand Navalny a commencé à s'empêtrer dans des affaires judiciaires, autrement dit quand il a été rattrapé par son passé, il s'est soudain senti pousser des ailes politiques et a déclaré vouloir être Président. C'est son droit. Quel était l'intérêt de Edinaya Rossiya à soutenir cette personne qui les critique si vertement? Souvenez-vous des élections à Khimky. Qu'est devenue Tchirikova, l'égérie d'opposition qui allait révolutionner la vie politique par sa puissance de réflexion? Elle a perdu, on pouvait s'y attendre, et l'on n'en entend plus parler. L'opération élection-Navalny était du même acabit. Mais soutenir aussi ouvertement l'opposant alors que son procès était en cours était également une pression très forte sur la justice, qui a su louvoyer entre les vagues. Donc le clan libéral s'est mis en branle. Comme cela n'a pas été suffisant, l'arrière-garde est entrée en jeu et la justice a plié. Vu le nombre de fois où Navalny répète remercier tous ceux qui sont intervenus pour le soutenir, et vu ses liens d'affaires il ne manque pas de soutien (je ne parle pas des manifestations qui ne sont que les décors du théatre), ce sont bien tous ces libéraux qui ont fait pression sur la justice.
 
Maintenant comment croire des gens qui manipulent la justice pour obtenir ce qui est dans leur intérêt? S'il utilisent les moyens qu'ils attribuent à leurs adversaires, que pourraient-ils apporter de plus en étant au pouvoir?
 
Enfin, cette affaire révèle un problème beaucoup plus profond, qui ne touche malheureusement pas que la Russie. La justice ne peut être indépendante que lorsqu'elle est sereine. Obama obligé d'intervenir pour calmer les foules après la décision d'un jury. Un procureur russe doit se ridiculiser en public pour satisfaire l'idéologie libérale. L'indépendance de la justice devient une farce gigantesque de part le monde. Elle a toujours été un mythe, mais accepté comme tel. Car parler de l'indépendance de la justice, c'est avant tou choisir la moindre dépendance. Le système anglo-saxon a choisi la dépendance partisane, électorale, donc celle qui vient du bas. Le système continental a choisi la dépendance systèmique, par la nomination, celle qui vient de l'Etat. Les deux systèmes se valent, chacun a sa logique. Mais l'intensification de la lutte pour l'indépendance de la justice dévoie la justice, la politise, la destabilise. Car la justice est devenue indépendante lorsqu'elle rend les décisions qui sont attendue sur un plan politique. C'est l'équilibre de nos systèmes qui est en jeu.
 
 

mercredi 17 juillet 2013

Le Front populaire veut apprécier l'efficacité du Gouvernement, mais comment?

Voir: http://izvestia.ru/news/553811

Le Front populaire se déclare disposé à apprécier l'efficacité du Gouvernement. Il leur est donc nécessaire de prévoir des critères objectifs d'appréciation. L'un d'entre eux va être l'exécution des actes présidentiels.
 
Pourtant cela soulève deux questions. Celle de la logique des institutions politiques et administratives et celle du rôle grandissant de structures informelles para-politiques.
 
L'appréciation de l'efficacité du travail des différents niveaux de l'administration du pays est très à la mode. Pourtant, la confusion qui s'opère entre le politique et l'administratif n'est en soi pas un signe de bonne santé de l'Etat. Apprécier, par exemple, l'efficacité du travail de fonctionnaires est normal, puisque ceux-ci se trouvent dans une chaîne d'exécution, sont soumis au principe hiérarchique. Ils n'ont pas de rôle politique. Maintenant apprécier le travail des Gouverneurs, surtout quand ceux-ci sont à nouveaux élus, est plus délicat, car quelles peuvent en être les conséquences? Normalement, un parallélisme des formes doit exister. S'ils sont arrivés au pouvoir suite à des élections, seuls les électeurs - et les administrés - sont en droit d'apprécier l'efficacité de leur Gouverneur et ils le montrent lors des élections.
 
Mais la position institutionnelle du Gouvernement est plus complexe. Car il s'agit d'un organe politique d'exécution. Donc, l'appréciation doit avant tout être politique, comme leur responsabilité. Mais ils sont aussi, dans le système parlementaire comme celui de la Russie, soumis soit au Président en situation de fait majoritaire, soit au Parlement en situation de cohabitation (qui n'a pas existé formellement encore dans ce sens, sauf sous Eltsine mais les modes de gouvernance étaient différents). D'où la surprise du porte parole du Gouvernement face à la déclaration du Front populaire. Rappelons que ce Front est un simple mouvement, pas un parti politique, pas un organe d'Etat. Il est évidemment en droit d'apprécier l'effectivité du travail du Gouvernement, comme vous et moi le sommes. Et juridiquement ses conclusions n'auront pas plus de poids que les votres ou les miennes. De plus, l'établissement de l'exécution des actes présidentiels comme critère principal est un appel à la technicisation du Gouvernement.
 
Pourtant, politiquement, ses conclusions auront plus de poids que les votres ou les miennes, en tout cas que les miennes. Ce mouvement lancé par V. Poutine est un de ces nombreux éléments para-politiques, qui font de la politique de manière informelle, l'influent sans être des lobbys, présentent des députés sans être des partis politiques. Il fait parti de tout ce nouvel attirail anti-institutionnel, mis en place pour lutter contre les autres organes d'opposition, tout également anti-institutionnels, et qui s'est par ailleurs largement fait phagocyté par le clan libéral ces derniers mois.
 
Le problème que pose ce type d'analyse est somme toute procédural. Imaginons. Une analyse est produite, en dehors de toute procédure prévue à cet effet. Elle va produire des conséquences qui elles-mêmes ne sont pas prévisibles car elles ne sont pas prévues. Elle ne pourra pas non plus être contestée, elle ne donnera pas un droit de réponse. Nous sommes donc ici dans le domaine du non droit. Ce n'est pas de l'anarchie, c'est de la négation du droit au profit des mécanismes politiques informels.
 

mardi 16 juillet 2013

Augmentation de l'immigration en Russie

Voir: http://izvestia.ru/news/553760

L'immigration a augmenté de 12% et si l'on prend les données sur les trois dernières années, on obtient une augmentation de 37% (2009-2012), selon le directeur du service fédéral de migration.
 
Actuellement, en Russie seulement 800 000 personnes étrangères vivent de manière permanente, ce qui est 10 fois moins que dans les pays de l'Union européenne. Il faut toutefois prendre ces chiffres avec des pincettes, car l'immigration clandestine est forte, d'autres personnes vivent en Russie sous le régime de visa qu'ils refont régulièrement etc.
 
Les autorités russes pensent s'inspirer des mécanismes en vigueur dans les Etats européens pour réformer leur quotat de travailleurs étrangers, en introduisant le critère de la préférence nationale. Il y aurait ainsi une hiérarchie géographique: la priorité serait donnée aux travailleurs de la région où l'offre d'emploi est ouverte, puis aux résidants des autres régions russes et enfin aux étrangers.
 
Soulignons également que depuis le début de l'année 10 millions de migrants sont passés en Russie.

lundi 15 juillet 2013

Koudrine: le libéralisme contre la démocratie

Voir: http://komitetgi.ru/news/news/719/

Lors de la réunion du 11 juillet du Comité des intiatives citoyennes (Komitet grajdanskykh initsiativ), A. Koudrine a fait une déclaration très significative, et de sa position, et de la conception moderne de la vie politique.
 
En dressant le bilan de l'activité récente du Comité et en présentant les perspectives d'évolution, une ligne générale se dessine très clairement. La bulle libérale, en manque crucial de leader, se regroupe autour de Koudrine. Que cela concerne l'activité des ONG financées de l'étranger (et le rapport choc du procureur général démontrant l'ampleur du phénomène n'y change rien), le contrôle des élections (en récupérant l'activité de Golos) ou les questions touchant la réforme de la justice (justice administrative), la politique étatique de sécurité intérieure (réforme des forces de l'ordre), de la santé publique etc. Sur tous ces sujets, et sur bien d'autres encore, A. Koudrine prend la tête de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le milieu libéral, de que l'on pourrait appeler les milieux atlantistes (si le politiquement correct n'avait déjà remisé ce terme aux calanques de la conspirologie). Puisque dans tous ces domaines, c'est bien la conception outre-atlantique qui, matériellement, domine. Sans aucune conspirologie.
 
Mais puisque toutes ces tendances politiques sont dans la nature sociale, ce n'est pas le plus important. Ce qui, en revanche, est significatif et destructeur pour le système et étatique et démocratique c'est la manière dont cela se passe. Hors système étatique, puisque hors partis politiques. Donc hors contrôle de la société, autrement dit des électeurs. Donc hors démocratie.
 
En effet, tout ce discours pourrait être formulé en programme politique. Et même en très bon, techniquement, programme politique, puisqu'il touche tous les domaines sensibles de la vie du pays: l'économie et les investissements, la sécurité, la justice, l'immigration, la santé, etc.
 
Alors pourquoi n'en est-il pas ainsi? Pourquoi ne pas créer un parti politique avec ce programme et le défendre lors d'élections? Pourquoi priver les électeurs du droit de s'exprimer et de choisir le cours des réformes de leur pays?
 
Pour une très simple raison: jamais ils ne pourraient arriver au pouvoir, en Russie, suite à des élections libres. Leur marge de manoeuvre est alors très limitée. Comme le rappelait par ailleurs Goldman Sachs dans leur dernier rapport, prônant la fin des régimes démocratiques, leur durcissement, pour faire passer de force les idéaux nécessaires, les masses électorales ne sont pas favorables à des réformes ultralibérales destructurantes. Donc, soit il faut supprimer les élections comme mode d'accès au pouvoir, soit il faut supprimer la masse électorale permettant l'accès au pouvoir. La deuxième branche de l'alternative étant quand même encore trop extrême (pour l'instant la manipulation des représentations est suffisante), la première a été choisie.
 
Et c'est ainsi que l'on remarque que toutes les questions importantes pour la société se discutent et se préparent en dehors du système des partis et donc de la vie politique normale, par des "groupes d'experts" qui ne sont ni indépendants ni objectifs, mais là justement pour argumenter en un sens très précis et ne prendront jamais le risque de passer devant les électeurs.
 
Leur accès au pouvoir est loin d'être négligeable, pourtant ils ne seront jamais élus. Ils passent par des mécanismes d'influence, par des analyses de projets de loi, par des propositions de réformes, le tout soupoudré de lobbyisme.
 
L'important est que l'électeur n'ait rien à dire, car ils agissent quel que soit le courant politique en place. Que ce soit le libéralisme basique et inefficace de Medvedev ou le léger conservatisme de Poutine, aucune importance. Ils peuvent aussi bien être dans le Gouvernement de Medvedev pour entrer ensuite dans le Front populaire de Poutine. Les partis politiques ne sont alors que des marionnettes entre leurs mains.
 
C'est ça la crise démocratique. N'est-ce le cas que de la Russie?