Voir: http://izvestia.ru/news/556143
Cela faisait longtemps que l'on n'avait plus vue l'arrestation d'un oligarque russe. Du moins en Russie. Et pour des activités liées à leur business. Après l'affaire Khodorkovsky, le pouvoir a changé de tactique et un gant de velours a été délicatement posé sur la main de fer. A tel point que le lobbying de leurs intérêts s'est significativement renforcé, des modifications de la législation ont été prises dans leur intérêt, un ombudsman pour les entrepreneurs a été créé, des hommes d'affaires condamnés à des peines de prisons pour criminalité économique ont été graciés. Bref, le pouvoir et le business semblaient partis pour une longue lune de miel.
Mais le marché du potassium et les intérêts vitaux du voisin biélorusse viennent de faire dérailler la douce musique. Le directeur général de la compagnie russe Uralkali a été arrêté à l'aéroport de Minsk, où il s'apprêtait à rentrer à Moscou après une discussion peu fructueuse avec le Premier ministre biélorusse, sur invitation de celui-ci. Sachant qu'en dehors de V. Baumgertner, étaient également invités les partenaires-clés sur ce marché, à savoir le milliardaire S. Kerimov (actionnaire principal de Uralkali), A. Volochine (directeur du Conseil de direction de Uralkali depuis 2010 et président de l'Administration présidentielle nommé sous Eltsine en 1999 et reconduit sous Poutine mais libéré rapidement de ses fonctions en 2003), A. Dvorkovitch (conseiller du Président Medvedev, vice Premier ministre actuellement), le conflit aurait pu être beaucoup plus sensible. Et étrangement, la Russie ne réagit pas trop fortement, elle si prompte à défendre les intérêts de ses citoyens à l'étranger. Voyons peut être pourquoi.
En 2008, les oligarques russes mettent en place un système complexe devant les conduire à une situation de monopole sur le marché du potassium. Kerimov et ses partenaires ont commencé à acheter en masse les actions des entreprises russes du marché. L'opération réussie, ils se sont tournés vers leur voisin biélorusse. En effet, la Biélorussie n'a ni gaz, ni pétrole, mais de bonnes ressources en potassium. Le système de prise de contrôle qui avait si bien marché en Russie, ils ont voulu l'exporter en Biélorussie. Toutefois, Loukachenko résiste, c'est un secteur vital pour le budget. Il représente près de 30% des ressources.
La compagnie biélorusse de potassium avait été fondée en 2005. Loukachenko refuse de la remettre entre les mains des oligarques russes, mais un compromis est trouvé, et Uralkali devient un partenaire stratégique de la Biélorussie sur le marché. Et donc pour le budget de l'Etat. Finalement, 50% des actions passent entre les mains de Uralkali, 45% reste à la compagnie biélorusse et 5% à la compagnie publique biélorusse des chemins de fer. (Voir ici http://www.belpc.by/about/)
Mais cela ne suffit pas à Uralkali, les orligarques russes veulent le contrôle total du marché du potassium dans le nord de l'Europe et ce sans partage. Cette compagnie russo-biélorusse, BKK, avait obtenu le droit exclusif de vente du potassium produit dans la région. Or, début 2012, Loukachenko obtient des informations selon lesquelles leurs partenaires russes ont conclu secrètement des accords en violation de l'exclusivité, ce qui porte atteinte aux intérêts biélorusses. En décembre 2012, Loukachenko prend alors un oukase ouvrant à nouveau le marché, ce qui libère également les compagnies biélorusses. Que fait Uralkali? Ils préparent une sorte d'OPA sauvage.
Le premier acte est de faire chuter le marché. Ils ne recourrent plus à BKK pour la vente du potassium mais à une compagnie suisse, ils noient le marché et font chuter les prix, dont les prix des actions. Leur titre perd environ 20%. Afin de limiter leurs propres pertes, des fonds suisses, sous contrôle de Uralkali, commencent à racheter leurs actions. Leur pari est le suivant: leurs ressources financières est plus importante que celle des biélorusses, qui devront céder et vendre à bas prix leurs compagnies. Alors il sera possible de restabiliser le marché, totalement sous leur contrôle.
Toutefois, avec la crise qui touche durement la Biélorussie, Loukachenko ne l'entend pas de cette oreille. Une commission d'enquête est mise en place, dirigée par son fils Viktor, conseiller du président en matière de sécurité d'Etat, et les opération sont laissées aux bons soins du KGB. Finalement les preuves de malversation sont réunies. Maintenant, Loukachenko attend le bon moment. De toute façon, ces opérations ont fait perdre au budget environ 100 milliards de dollars, il doit réagir, l'enjeu est vital pour le pays.
Pour la fête des mineurs, le Premier ministre biélorusse invite tout ce beau monde. Un seul vient et en sortant d'un entretient vide avec le Premier ministre, il est arrêté en montant dans son avion, inculpé et mis en détention pour éviter qu'il ne quitte le pays.
Le message envoyé par Minsk aux oligarques russes est clair. Tout d'abord, il n'y a pas de régime préférenciel en fonction de la richesse, ils sont traités comme de simples citoyens. Ce dont ils ont perdu l'habitude. Ensuite, la liberté du commerce s'arrête là où commence l'intérêt vital de la nation. Et il semblerait que la Russie comprenne plutôt bien le message. Car quel est l'intérêt pour Moscou de ruiner son voisin et partenaire? Le business qui se sent à nouveau en toute impunité en Russie, notamment grâce à ses protections et partenaires placés parmis les dirigeants, vient de recevoir une giffle de taille. Quant à V. Baumgertner, il trouvera suffisamment de personnes pour le soutenir. Le clan Medvedev est déjà monté au créneau et I. Chuvalov, premier vice Premier ministre, a déjà condamné l'arrestation (Voir ici http://www.forbes.ru/news/243948-shuvalov-nazval-nedopustimym-zaderzhanie-v-belorussii-glavy-uralkaliya). Mais il se passera du temps avant qu'un oligarque veuille s'emparer de force des ressources biélorusses.