Publications

jeudi 22 janvier 2015

Davos, Berlin, Donetsk: le sang rattrape la diplomatie

Троллейбус, подвергшийся обстрелу на остановке в центре Донецка. 22 января 2015
Attaque d'un bus à Donetsk, 15 morts civils et des dizaines de blessés

Cette guerre en Ukraine est très étrange, pleine de non-dits, d'intérêts divers et variés qu'il semble falloir protéger à tout prix. Embargos, sanctions, échanges commerciaux, prêts. Tout se mélange. Et les esprits parfois aussi. Alors l'on négocie, la paix. Comme un réflexe de sauvegarde morale. Nous sommes des hommes, pas de cupides commerçants de BD. Non, des hommes, des vrais, qui s'inquiètent du sort du Monde. On négocie la paix malgré les déclarations guerrières, mais non de guerre. Et l'on se contorsionne pour rester coûte que coûte dans cette petite frange grise d'incertitude bon marché. Malgré les échanges de tirs. Même quand les civils continuent à tomber les uns après les autres, presque toujours du même côté, sous les mêmes bombes. Mais le post-modernisme n'a-t-il pas une limite fondamentale: celle des faits?

Aujourd'hui, plus précisément ce matin, un bus a explosé sous l'action d'un groupe de diversion ukrainien. 15 corps dans la rue, à la fenêtre, à terre, sur les sièges. 15 corps de femmes, de personnes âgées. 15 corps de civils et des dizaines de blessés. Hier, l'artillerie ukrainienne a bombardé un arrêt de tramway, 9 morts. Qui ne comprennent pas pourquoi Poroshenko se fait appeler le Président de la paix. Qui ne comprennent pas pourquoi l'on négocie, ni ce que l'on négocie. De simples individus qui ne pourront plus se poser la question. Mais la question est reprise. Par les proches, par les voisins, les amis, par toute une population.


Hier, P. Poroshenko, venu à Davos chercher en vain des investisseurs, à côté d'une manifestation le traitant d'assassin, a au moins pu faire une belle déclaration devant un parterre bien discipliné. Brandissant un bout du bus de Volnovakha, explosé par les mines ukrainiennes, comme experts indépendants et témoins l'affirment, il continue à accuser, dans le silence complaisant général, les "terroristes à la solde de Moscou", lui le Président de la Paix.

Cela n'a même pas fait sourire. Il est seulement inquiétant que ces "terroristes" n'aient aucune victime civile ukrainienne à leur actif, en dehors du Donbass où se déroule les combats, ni à Kiev, ni Kharkov, ni à Odessa. Drôles de terroristes, qui ne commettent pas d'attentat, qui défendent leur terre et leurs proches. Horribles terroristes. 

Et ce Président de la Paix ose en même temps déclarer que les réunions et discussions ne servent à rien, qu'il suffit de retirer l'artillerie lourde, les tanks et d'arrêter de tirer, tout a déjà été dit et écrit. L'on ne peut qu'être d'accord. Que l'armée ukrainienne arrête de bombarder les villes, les quartiers d'habitation, les hôpitaux, les écoles etc. Il n'y a pas de terroristes là-bas. Que ce Président de la Paix n'envoie pas de soldats sans préparation, avec de fausses informations au massacre. Qu'il ne les abandonne pas sur place, les officiers ayant déjà pris la fuite, comme ce fut le cas à l'aéroport de Donetsk hier. Où les soldats pensaient devoir récupérer les blessés et non se battre, pour la simple et bonne raison qu'on ne leur avait pas dit que l'aéroport était perdu. Devant les ruines, ils furent envoyés au massacre et abandonnés sur place. Les combattants les ont sorti des ruines, ont soigné les survivants, qui seront renvoyés dans leur famille. Ils ne veulent plus se battre.

Ainsi, moins de deux heures avant la réunion de Berlin entre les ministres des affaires étrangères allemand, français, ukrainien et russe, Poroshenko déclare que cela ne sert à rien. Mais le ministre russe S. Lavrov, tient la ligne de l'intégralité territoriale ukrainienne: les parties doivent discuter entre elles, c'est un seul et même pays, un seul et même peuple, donc peu importe où passe la ligne de démarcation. Et après la réunion de déclarer pour la énième fois que cela fut très utile car maintenant on va pouvoir faire reculer l'artillerie lourde, les combattants sont d'accord, il ne reste plus que l'accord de Kiev. Et, bien entendu, chacun doit discuter, garder le contact, le groupe de contact sous l'égide de l'OSCE va être à nouveau constitué, c'est une grande victoire.

La réponse ukrainienne est tombé ce matin. Dans toute sa violence. Les bombardements de Donetsk n'ont pas cessé de la nuit. L'artillerie s'est intensifiée depuis hier. Un bus de passager a été touché, certainement par un des groupes de diversion qui attaquent la ville de l'intérieur. Voici la vidéo; attention images très choquantes, +18 ans:


Entre 13 et 15 morts selon les estimations, des dizaines de blessés. Les corps partout au milieu des rues. Leur tort était d'être à Donetsk et de vivre. C'est tout. Et deux choses à remarquer. 

La première est la réaction des proches qui accusent Poroshenko, ne le considèrent pas comme un Président de la Paix, le rendent responsable de ce qui se passe chez eux. Ils n'accusent pas les combattants, pas les russes, mais l'armée de Poroshenko.

La deuxième est la haine qui s'empare de la population lorsqu'un des ukrainiens qui bombarde la ville est traîné pour s'expliquer. Il est insulté et la foule veut se faire justice sur le pavé. Il est alors encadré par les combattants et mis dans la voiture.

Comment peut-on expliquer à des gens qui se font massacrer par l'armée ukrainienne qu'ils sont ukrainiens? Comment peut-on leur demander de leur faire confiance, de tout oublier et à nouveau de vivre ensemble quand le sang à coulé entre frères? Et aussi comment expliquer aux ukrainiens de l'Ouest, qui envoient leurs fils, leurs pères se battre dans l'Est, à toutes ces familles qui ne les voient pas revenir, que ce n'est pas si grave que ça, que finalement il sera possible de vivre ensemble, en bons voisins?

C'est impossible. Et aucune commission de réconciliation nationale et de perte de mémoire collective n'y arrivera. Car cette paix, personne en Ukraine ne la veut. Trop de sang, trop de chaires, trop de charniers, trop de douleurs.

La conception post-moderne des guerres contemporaines trouve ici sa limite, au risque de discréditer ceux qui la pousse trop loin. Certes rien n'est insurmontable vu de confortables bureaux à Washington ou à Moscou. Quoi que Moscou connaisse mieux la situation et devrait en percevoir l'absurdité et le caractère inacceptable. Mais le commerce doit continuer, la Russie fournit du charbon aussi en plus du reste à l'Ukraine, l'UE n'a pas intérêt à la reconnaissance d'un conflit armé, car les sanctions coûtent déjà assez cher. Pour sa part, la Russie non plus n'a pas intérêt à s'y engager plus, car elle ne veut pas intégrer le Donbass, mais politiquement ne peut pas le laisser se faire massacrer.

Pourquoi ces accords de Paix ne peuvent fonctionner? Simplement car c'est une guerre, et les négociations politico-diplomatiques n'interviennent de manière efficace qu'au terme d'une victoire militaire d'un camp sur l'autre. Or, ces négociations, ici, interviennent à chaque avancée militaire des combattants pour les bloquer. Il n'y a donc aucun fondement à une paix durable, pour l'instant.

2 commentaires:

  1. Que cela ne tombe jamais dans l'indifférence.

    RépondreSupprimer
  2. Les palestiniens connaissent ça depuis maintenant de très longues années. Des promesses, des espoirs de solutions, des avancées «sérieuses» etc......

    Un diplomate commentant la reconnaissance de la Palestine par la Suède et la petite avancée de la France a réussi à dire que c’était prématuré !!! après tant d’années d’attente.
    Et pour la cour pénale internationale, saisie par les palestiniens, aussi des déclarations totalement cyniques, mais avec des phrases très bien tournées qui montrent «de la culture».

    J’ai fait mienne l’idée développée par quelqu’un d’autre que ce qui intéresse les USA, c’est l’absence de solution, c’est à dire une situation pourrie qui dure. Si les russes pouvaient le comprendre.
    Le parallèle avec la situation palestinienne peut se faire aisément.

    La tête de l’UE étant un amas de non-décideurs, car aucun ne veut sortir la tête de peur que les autres lui tombe dessus en emboîtant le pas aux USA, il n’y a rien à espérer de ce côté là non plus.
    Peut être de la Hongrie, qui a su montrer du courage plusieurs fois dans son histoire récente.

    C’est pessimiste, mais il est encore plus mauvais de rester dans des illusions.

    Il y a eu tellement de cynisme de la part des USA dans l’histoire récente, Amériques latine et du sud, Vietnam et leurs voisins, qu’il est presque logique d’envisager de leur part l’hypothèse de la recherche d’une situation pourrie qui dure.

    On sait bien depuis longtemps que les vies non-étasuniennes ne comptent pour pas grand chose.

    RépondreSupprimer

L'article vous intéresse, vous avez des remarques, exprimez-vous! dans le respect de la liberté de chacun bien sûr.