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mardi 7 avril 2015

Kiev, entre l'impasse constitutionnelle et l'extermination de masse

Жительница Дебальцево в центральной больнице города. Архивное фото
Le visage du terrorisme

Comme nous l'avions écrit, la réforme constitutionnelle que Kiev veut lancer dans l'urgence avec le soutien des Etats Unis entre dans une impasse, dès que les questions sont soulevées sur le fond. Et comme les dirigeants des républiques indépendantes de Donetsk et Lugansk ont rapidement réagi, la réforme ne peut se faire sans l'accord de ces républiques. Position défendue par le ministre russe des affaires étrangères S. Lavrov. Du coup, la réforme s'enfonce ou se "superficialise", au choix et pose en termes crus l'existence du Donbass.


Une commission constitutionnelle sélective

La composition de la Commission constitutionnelle ukrainienne laisse songeur. 59 ukrainiens loyalistes, 13 étrangers membres d'organes internationaux. Que peut-on en déduire?

Tout d'abord, le fait que le Donbass ne soit pas représenté est plus que significatif. Il s'y trouve un recteur de l'Université de Donetsk sauf qu'il s'agit de l'Université telle qu'avant le conflit et que ce recteur n'est plus à Donetsk depuis longtemps, où l'Université a renouvelé ses structures malgré les menaces de Kiev contre le personnel enseignant qui osait continuer à enseigner. S'y trouve également un tatare de Crimée qui vit à Kiev. Voilà pour la représentation géographique. Politiquement, un refus définitif a été opposé aux dirigeants des républiques de Donetsk et Lugansk pour envoyer des représentants. Dans une telle configuration, il va être difficile de trouver un compromis, car seul, normalement, l'accord le plus large permet de légitimer un processus constitutionnalisant. Donc de donner toute sa légitimité à un pouvoir. C'est en tout cas la logique pour tout pays souverain.

Mais ce n'est pas la logique d'une colonie. Le pouvoir dans une colonie tient sa légitimité de l'acceptation par le pouvoir du pays colonisateur et des structures qui le représentent. Ainsi, comprend-on mieux l'importance d'avoir envoyer le texte envisagé à la Commission de Venise et la présence des experts étrangers. La légitimité du processus constitutionnalisant doit venir de là, et non du peuple ukrainien et de ses représentants.

La décentralisation contre la fédéralisation

Ce point de départ du travail constitutionnel explique en quoi il ne peut être que superficiel. Il faut vraiment ne pas être juriste pour penser qu'il suffise d'un peu d'imagination pour trouver un mécanisme magique qui va permettre de déjouer les conflits sans avoir à trouver de compromis. Il est vrai que le monde actuel est dominé par les analystes et conseillers politiques, qui ne maîtrisent pas toujours en profondeur la logique juridique. C'est pourquoi, lorsque l'on en arrive à devoir être assis autour d'une table, même si l'on a soigneusement déterminé le plan de table, les questions de fond font échouer toute sortie magique de la crise.

Pour qu'il y ait paix, il n'y a que deux solutions juridiques institutionnelles raisonnablement envisageables: soit la reconnaissance de l'indépendance du Donbass, soit la Fédéralisation de l'Ukraine. Je ne parle pas de la Crimée car juridiquement, que cela plaise ou non, elle ne fait plus partie de l'Etat ukrainien, mais est une entité fédérée russe. Pour des raisons politiques, Kiev ne peut reconnaître l'indépendance du Donbass, car cela reviendrait, d'une part, à reconnaître sa défaite, tant politique que militaire, et ce pouvoir est trop faible pour pouvoir y survivre; d'autre part, il faudrait s'occuper du développement social et économique du pays, ce dont les dirigeants actuels sont absolument incapables et n'ont pas été mis en place pour cela.

Il y a donc impasse. P. Poroshenko, à la première réunion de la commission constitutionnelle, martèle qu'il ne peut être question de fédéralisation, qu'il n'y a qu'une langue l'ukrainien et que cela ne se discute pas. Donc, il n'est pas réellement besoin de chercher à mettre une véritable réforme constitutionnelle. 

Evidemment le processus ne peut que mourir dans l’œuf. Seule une fédéralisation, qui permet une autonomie politique et sociale poussée permettrait de réintégrer les républiques du Donbass dans un ensemble étatique ukrainien. Mais cela implique de reconnaître le droit d'exercer sa langue, d'avoir sa politique. Et le choc idéologique entre le nationalisme bandériste extrémiste de Kiev et la revendication d'appartenance au Monde russe du Donbass ne peuvent se concilier dans le cadre juridique d'une décentralisation, qui ne permet pas l'autonomie politique.

Une tentative de destruction du Donbass?

Il faut dire que l'Histoire a déjà tristement montré la possibilité de destruction volontaire, systématique, rapide et silencieuse d'une population. Rappelons-nous le massacre de l'enclave serbe en Croatie, le 4 août 1995. 200 000 soldats croates, avec chars et soutien aérien de l'OTAN ont attaqué l'enclave serbe et ses 15 000 soldats mal armés. En 5 jours, la région et sa population furent rayées de la carte. La Croatie a repris le contrôle du territoire, vide, mais peu importe. Et aucun responsable du massacre n'a été inquiété.

Dans ce contexte, Kiev espère de ses vœux l'envoi d'une force d'interposition internationale composée essentiellement de soldats des pays de l'Est. Cela permettrait par ailleurs à la Pologne , très impliquée dans le conflit, de défendre ses intérêts politiques et économiques dans la région et aux Etats Unis d'écarter les soldats ukrainiens pour mettre en place des forces d'intervention beaucoup plus efficaces.

En attendant, la population du Donbass est toujours soumise à un blocus économique, financier et social illégal et contraire aux accords de Minsk de février, mais ne se résout toujours pas à mourir. On soulignera que même les tribunaux ukrainiens ont été obligé de reconnaître l'obligation de Kiev de payer les pensions et l'aide sociale aux plus faibles habitants du Donbass qui y résident encore. Mais pour l'instant, l'état ukrainien n'a pas rétabli le fonctionnement des services bancaires et les habitants ne peuvent même pas avoir accès à leur compte bancaire.

Cette situation conduit la région dans une crise humanitaire que l'Europe n'a plus connue depuis la Seconde guerre mondiale, choquant les observateurs internationaux. Des adultes et des enfants mourant dans les hôpitaux faute de médicaments et soins adaptés. Sans oublier l'impossibilité d'acheter soi-même les traitements nécessaires faute d'argent.

A ce rythme là, il restera peu d'habitants à bombarder  ... Mais cette fois-ci nous n'aurons pas le droit de dire que nous ne savions pas. 

1 commentaire:

  1. L'Occident n'a plus de conscience. Il a fait passé l'argent avant l'humain. Il n'est donc pas étonnant qu'il reste les bras croisés alors qu'un drame se déroule en Europe.

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