Voir: http://www.gazeta.ru/politics/2014/04/17_a_5996289.shtml
http://izvestia.ru/news/569452
http://russian.rt.com/article/28230
J. Kerry et S. Lavrov hier à Genève
http://izvestia.ru/news/569452
http://russian.rt.com/article/28230
J. Kerry et S. Lavrov hier à Genève
Hier, deux évènements qui n'en font qu'un: la conférence de presse de V. Poutine ou sa discussion avec la "population" et la conférence de presse du ministre russe des affaires étrangères S. Lavrov. L'un à Moscou, l'autre à Genève. Les deux sur l'Ukraine officiellement, les deux sur la sortie du rapport de force entre la Russie et les Etats Unis.
Prenons dans l'ordre. Du général au particulier. La conférence de presse de V. Poutine s'est produite dans un format très particulier, elle ressemblait plus à un débat avec l'élite, qu'avec la population. La tension était palpable, l'ambiance très lourde et la gestuelle présidentielle le confirmait - notamment le gratouillage perpétuel de la main gauche. Quels secrets contenait-elle cette main pour y porter autant d'attention?
Le centre de toutes les attentions était la Crimée et l'Ukraine, les questions sociales et économiques furent traitées également à travers ce prisme. La phrase marquante a été prononcée par l'opposante I. Khakamada , figure politique des années 90: "Vous êtes le vainqueur". Au fait, juste à ce moment-là, il y a eu une interruption de la diffusion de Russia Today aux Etats Unis. Peu importe. Toute la presse russe, même libérale, même d'opposition, le reconnaît, l'affirme, et reprend son souffle.
Car tout au long de la conférence presse le même refrain est chanté: Nous sommes gentils, nous sommes ouverts, nous sommes européens, il faut nous aimer. Donc, les libéraux respirent, ils ne retournent pas en Union Soviétique. Plus sérieusement, il est vrai que le conflit ukrainien a provoqué des réactions nationalistes en Russie, qui pouvait conduire à une rupture sociale. La volonté de pénaliser les journalistes, la volonté de renforcer la haute trahison, ce clown de Jirinovsky paradant en militaire à la Douma. Toutes les tentatives de certains députés de radicaliser et fermer la liberté d'expression heureusement furent très largement désavouées et ne purent passer. Mais l'ambiance, le ton était donné. Le patriotisme combattant, et d'ailleurs jusque là gagnant. Mais toute chose a une fin et le patriotisme pour être profond et sincère n'est pas obligatoirement combattant. La Crimée et Sébastopole sont redevenus russes. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe joue à la provocation avec la Russie, la délégation russe envisage la possibilité d'en sortir définitivement. Hier, V. Poutine a mis en terme à ces poussées dangereuses de repli sur soi.
Premièrement, il faut savoir s'arrêter. La Crimée était russe, elle l'a voulue unanimement, elle est rentrée à la maison. Mais l'Ukraine de l'Est est ukrainienne et le scénario ne se renouvellera pas, les circonstances sont trop différentes. Donc les va t'en guerre doivent se calmer et reprendre contact avec la réalité: la Russie ne veut pas récupérer l'Est de l'Ukraine, elle a besoin d'une zone tampon avec l'OTAN, elle a besoin d'une Ukraine dont tous les territoires ne soient pas anti-russes.
Deuxièmement, la Russie ne doit pas sortir des organismes internationaux, elle doit continuer le dialogue puisqu'elle est un acteur important sur la scène internationale. Même si la mode est la stigmatisation de la Russie, que ce soit au Conseil de l'Europe ou à l'UE. Pour la première fois, V. Poutine souligne l'impuissance des chefs d'Etats européens soumis à Bruxelles et à ses fonctionnaires, qui eux sont soumis à la volonté et aux intérêts du Département d'Etat. Autrement dit, l'Europe n'est pas l'UE, il faut faire avec, car il existe au sein de ces Etats des courants différents qui ne sont pas pour une vision néolibérale du monde et de la politique. La Russie a sa place comme symbole des valeurs traditionnelles dans une gouvernance moderne.
Bref, un discours de vainqueur? Peut être. Un discours de mise au point en tout cas. Surtout avec les élites nationales, un discours de réconciliation nationale. Maintenant il faut consolider, construire, affermir et aller de l'avant. Tous ensemble. C'est pourquoi les opposants à la réunification furent invités à s'exprimer, tout comme les médias critiques. Même quelques mots gentils à l'égard de la chaîne Dojd. Bref, on est une grande famille. L'euphorie de la première victoire est passée.
La main est tendue, c'est incontestable, mais sera-t-elle vraiment saisie? Qu'est-ce qui va changer pour que d'un coup d'un seul, quelque chose change à l'intérieur? Pour que l'élite d'opposition devienne constructivement critique?
Voici la première main tendue sur la scène intérieure. Une autre main a été tendue sur la scène internationale, à Genève. La Russie accepte les négociations avec des représentants des Etats Unis, de l'UE et de l'Ukaine, qui pourtant est venue sans aucun membre de l'Est dans ses rangs. Un accord étrange est conclu:
- Renforcer le discours pacifique intérieure en Ukraine entre les différentes parties au conflit. Magnifique, mais pourquoi alors n'étaient-elles pas représentées et pourquoi la Russie qui insistait à ce point sur cet aspect ne l'a pas souligné?
- Déposer les armes. Superbe! Mais cela risque de ne concerner que l'Est qui se défend contre l'armée, les forces spéciales et les unités du Secteur droit. Car si le Secteur droit n'est pas désarmé, si l'armée ne rentre pas dans ses baraques, autant demander aux gens de se suicider. Bref, qui va commencer?
- Rendre les bâtiments occupés à leurs "propriétaires" légitimes. Evidemment! Cela ne concernera à nouveau plus que l'Est (à moins de réellement remettre en cause la légitimité du régime autoproclamé de Kiev avec la légitimité du peuple de Maïdan), qui doit donc reconnaître légitime l'arrestation de ses leaders, quitter la place sans aucune garantie.
- En contre partie il doit y avoir une amnestie générale, sauf pour les personnes ayant commis des crimes graves. Aurait-on oublier que les militaires qui ont refusé de tirer sont qualifiés de traitre? Que les gens qui ont pris les bâtiments sont qualifiés de terroristes? Est-ce une reddition que la Russie vient de signer? Car comment interpréter ces dispositions, quand on sait que les anciens Berkut hospitalisés à Kiev ne sont ni nourris ni soignés?
- Il faut nettoyer les rues et les places. On attend de voir à Maïdan :)
- Et le tout doit être majestueusement garanti par l'OSCE dont on connaît l'efficacité, surtout en période de conflit. Ses membres sont plus doués pour financer des programmes visant à influencer les politiques intérieures, à user de soft power pour soutenir l'opposition et écrire de magnifiques projets de loi ou de Constitution, qu'à régler des conflits ouverts.
Bref, à quoi ressemble cet accord? Dans le meilleur des cas, à rien, car il est inapplicable. Dans le pire des cas, la Russie a négocié l'Est contre la Crimée. Dans tous les cas, c'est de la real politik. J. Kerry se souvient certes des droits des populations russophones, mais il ajoute également que si rien n'est fait rapidement, de nouvelles sanctions contre la Russie seront prononcées. A ce sujet, il se souvient de la population - russe de Russie - qui ne doit pas souffrir de ces sanctions, mais, bon, rien de personnel, c'est le jeu.
Et n'oublions pas la mise en scène. La tribune américaine devant les drapeaux, les autres délagations autour de la table, en gentils petits écoliers. C'est la guerre de la communication, certes, mais comme d'habitude, celle-ci la Russie l'a perdue.
Car voici aussi ce que l'on peut retenir de cette étrange journée d'hier:
- Poutine reconnait la présence des hommes en verts/soldats russes en Crimée et l'opposition de s'engouffrer dans la brèche en disant que du coup on ne peut plus rien croire de ce que V. Poutine raconte.
- En refusant de sortir des organismes internationaux, V. Poutine veut insister sur l'ancrage fondamentalement européen de la Russie, dont l'Occident pense-t-il ne peut faire l'impasse.
- En discutant à Genève avec les représentants de l'Ukraine, sans les représentants de l'Est, c'est une reconnaissance de facto du gouvernement en place.
- Quand J. Kerry dit refuser de traiter de la question de la Crimée, c'est une reconnaissance de facto du rattachement de la république à la Russie.
Victoire, oui la Crimée est russe. Mais tout cela ressemble à un jeu de dupes, chacun veut garder la face et fixer un avantage. Toute victoire a un prix et le sentiment est que c'est justement ce prix qui est entrain de se négocier.
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