Il y a deux manières de considérer la situation en Ukraine aujourd’hui. La
première consiste à reconnaître l’existence d’une politique intérieure, dans le
sens où les acteurs de ce système prennent des décisions autonomes, même s’ils
sont également soumis à des pressions extérieures. La seconde consiste à
considérer que la politique ukrainienne est aujourd’hui quasi-inexistante, encore
moins existante que la politique européenne, car les décisions importantes sont
prises ailleurs et le niveau de pression exercé outre-atlantique sur les
acteurs ne leur laisse qu’une marge de manoeuvre très réduite, qui n’aura que
peu d’incidence sur la poursuite des évènements. Dans le premier cas, nous
sommes dans un questionnement de type Poroshenko v. Yatseniuk, dans le second on se reporte plutôt à la
confrontation du projet « Ukraine » contre le projet « South
Stream ».
Après son élection à la présidence de l’Ukraine, Poroshenko a quelques
difficultés à exister politiquement. Il annonce la création d’un corridor
humanitaire, qui n’est pas mis en place. Il annonce la fin des opérations
militaires dans l’est, et les frappes s’intensifient. Bref, il est
politiquement inexistant, car les instigateurs de la Grande Révolution
Populaire de Maïdan ont gardé le pouvoir. Yatséniuk est innamovible. Parubey
gère ses mercenaires. Le commandant de Maïdan avait pris en charge la Banque
nationale. L’autoproclamé président de la Rada ne bouge pas d’un yota. Et
Poroshenko n’a pas d’air. Ce pays affaibli et destructuré est alors plus
facilement contrôlable.
Poroshenko discute au téléphone avec V. Poutine, notammment. Il participe
aux inaugurations. Il risque de dévenir un Président chrysanthème, comme ceux
de la Quatrième République. Certains très amusants par ailleurs, pouvaient
tomber d’un train en marche, en pleine nuit, en pyjama. Je vous présente le
Président Deschanel. Qui devait certainement être un homme charmant, mais qui
aura étrangement marqué la politique française. Poroshenko serait-il de cette
trempe ? Il ne semble pas. Or, dans un pays il ne peut y avoir deux
centres de décision. Soit Poroshenko, soit Yatséniuk gouverne. Soit le pays est
gouverné de l’intérieur, soit il l’est de l’extérieur. Deux paradigmes
possibles, quatre solutions.
Si la gouvernance est un tant soit peu intérieure :
Yatséniuk a la chance d’être propulsé par l’Occident post-moderne qu’il
adule. Ils parlent la même langue et s’inquiètent tous aussi peu des intérêts
des habitants de ce pays, l’Ukraine. Il semble surtout s’en dégager un profond
mépris, voire une haine. Yatséniuk qualifie les habitants de l’Est de
sous-hommes. Les pauvres hères qui ont été utilisés et désocialisés et qui
traînent leurs guenilles sur Maïdan sont appelés à la télévision ukrainienne
des SDF. L’intérêt est tourné vers l’ouest, à tel point qu’il n’est plus
possible de jeter un oeil sur ses propres terres et leurs habitants ... qui
semblent déranger en fait. Et pour que Liachko se fasse humilier par la foule
dans l’ouest, qui traditionnellement soutenait le mouvement, c’est que ce
peuple commence à réaliser qu’il a été manipulé pour des fins qui ne lui
apporteront rien de bon.
Dans ce contexte, Poroshenko prend quelques mesures, tente de placer quelques pions. Après le scandale du comportement du ministre par interim des
affaires étrangères, Andreï Dechitsa, lors de l’attaque portée à l’ambassade de
Russie à Kiev, à l’occasion de quoi ce « ministre » a trouvé conforme
à sa fonction de chanter avec les attaquants une chanson insultant le Président
V. Poutine, il fut destitué. Il peut penser ce qu’il veut d’un autre Président,
mais en tant que ministre des affaires étrangères, même par interim, il est bon
de savoir se tenir. Poroshenko envoie donc à la Rada un projet de résolution
visant à le démettre de ses fonctions et à nommer à sa place un individu bien
connu de lui, Pavel Klimkine.
Celui-ci présente de nombreux avantages. Il est d’origine russe, ce qui
peut faire et illusion et diversion. Et pourrait même être interprété – un peu
trop rapidement – comme un geste de paix envers la Russie. En tout cas, il peut
être utilisé en ce sens. Or, Pavel Klimkine, a déjà travaillé au ministère des
affaires étrangères sous la présidence Yanukovitch et depuis longtemps s’occupait
des relations avec l’UE, était l’ambassadeur ukrainien en Allemagne. On
retrouve ici encore l’Allemagne et la question énergétique... Ce qui porte un
coup à Yatséniuk, qui perd une sorte de monopole car Klimkine a lui aussi un
bon carnet d’adresse et est un homme de Poroshenko. On notera que Liachko a
voté contre cette résolution, à l’instar du parti communiste et des radicaux du
parti Svoboda de O. Tiagnibok.
Ensuite, Poroshenko tente de se débarasser de certaines personnes douteuse.
Tel est le cas du « commandant de Maïdan » qui a réussi au lendemain
des beaux jours révolutionnaires à s’approprier la Banque nationale. Cette
fois, elle est offerte à une de ses proche, V. Gontarev, qui s’occupait de ses
intérêts dans la compagnie Roshen en Russie. Il veut également reprendre le
contrôle de l’administration présidentielle en nommant son « ami de
20 ans », V. Tchaly, vice-directeur de l’institution. Il sera en charge
des affaires extérieurs, renforçant ainsi la position de Klimkine.
Toutefois la concurrence est rude. Le parti Udar, qui a déjà récupéré la
ville de Kiev, récupère également le Procureur générale. En ces temps troubles,
il s’agit d’un poste clé.
Mais le pays est-il gouverné de l’intérieur ?
Des questions se posent effectivement. On ne parlera pas du deuxième étage
du SBU (KGB ukrainien) occupé par la CIA, on ne parlera pas des nombreux
conseillers américains se relayant dans le pays, sur tous les fronts, on ne
parlera pas de tout cela. Mais où est la troisième révolution tant annoncée par
Timoshenko si elle perd ? Elle n’ a pas eu les financements, elle est hors
projet. Pourquoi Klichko s’est-il si gentillement rabattu sur Kiev et a-t-il
ravalé ses ambitions présidentielles ? La place n’était pas prévue pour
lui, il n’en avait vraiment pas la carrure. Où sont les combattants de Maïdan
qui ne voulaient plus du pouvoir des oligarques ? Celui-ci, mi-ukrainien
mi-suisse est autorisé, il a reçu son label.
Projet « Ukraine » v. Projet « South
Stream »
Il semble que l’enjeu soit ailleurs. Si faible soit-il, ce gouvernement ne
tombera pas. Poroshenko ne remplacera pas Yatséniuk, car il n’en a pas le
pouvoir réel. Il ne peut prendre la décision. Et peu importe ici le texte de la
Constitution. L’enjeu est ailleurs. Tant que South Stream ne sera pas
opérationnel, le projet Ukraine aura un sens. Au premier mètre cube qui passera
par South Stream, l’Ukraine se retrouvera seule.
Car il y a surenchère face « aux amis européens ». Rappelons que
Yatséniuk a fait capoter les négociations sur le gaz, sans pour autant proposer
une solution efficace d’ici l’été. Même la tentative américaine de mettre sur
le dos de la Russie la propagande anti-gas de schiste a fait réagir Greenpeace
par son ridicule. Parallèlement, les Etats Unis font pression sur les pays
est-européens, politiquement assez soumis et en quête de reconnaissance, pleins
de gratitude, pour qu’ils bloquent la construction de South Stream. Pourquoi ?
Parce que dans ce cas là, les Etats Unis perdraient une arme de chantage contre
la Russie – et en même temps une emprise sur l’UE – et l’Ukraine ne servirait
plus à rien et verrait immédiatement s’effondrer son financement « pour le
développement démocratique ».
Donc qui de Yatséniuk ou de Poroshenko va prendre
réellement le pouvoir tant que le projet existe ?
Dans le premier cas, nous sommes dans une configuration d’aliénation totale
de l’Ukraine, ce que Yatséniuk a proposé
par ailleurs à la Rada avec son projet de privatisation de l’exploitation du
gaz auprès des « partenaires » européens et américains uniquement. Rejetant
ainsi à priori le business national hors d’un secteur porteur et d’intérêt
national. Mais le projet est rejeté, reporté sine die. Les parlementaires ne suivent pas aussi loin. Il faut
encore les travailler, et les oligarques aussi.
Dans le deuxième cas, la victoire de Poroshenko risque de ramener aux
douces années de la gouvernance oligarchique, les mêmes causes entraînant les
mêmes effets toutefois adoucis par la gouvernance externe qui compense la
faiblesse interne.
Mais dans tous les cas avec une crise sociale sans précédent en vue. Avec
Yatséniuk, elle pourra être calmée par les bataillons de nettoyage, ils sont là
pour intervenir contre l’intérêt du peuple et du pays, car dans le cadre d’une
politique antidémocratique aucun autre organe systémique ne peut être efficace.
Avec Porocsheko, les risques d’un nouvel effondrement du pouvoir sont à prévoir.
Le plus réaliste étant de dire, que la contestation populaire sera tenue, voire
par la force, tant que le projet Ukraine présentera un intérêt. Pour que le
peuple fasse les sacrifices nécessaires à sa réalisation. Sacrifices qu’aucun
peuple ne peut accepter, les grecs le savent dans une autre mesure. La violence
légitime exercée par l’Etat sera alors validée. Après ? Après tout le
monde s’en moquera, les caméras, les intérêts et les banquiers regarderont ailleurs.
L’Ukraine pourra alors se reconstruire, s’il n’est pas trop tard.
une analyse très bien développée faute d'être perspicace. En politique pannationnale uber Alles mein oberstumfuhrer! c'est le diable et donc le hasard qui commande Toujours SEGDA, Siempré, et vous vous trompez en conclusion car c'est ce bonheur que vous voyez dans la reconstruction qui est l'arme la plus subtile de Satan, de réputation pas très subtil lui-même.
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