Sans tambour ni trompette, on fêtait
la semaine dernière (24 juin) le 20e anniversaire de
l’accord de base instituant les
relations de partenariat entre la Russie et l’UE.
L’effondrement de l’URSS en 1991 a surpris toute la communauté
internationale, comprennant bien sûr la Communauté européenne. Certains ont suggéré
l’adhésion de la Russie à la Communauté européenne, mais la taille de celle-ci, créait un problème de
disproportion difficilement surmontable. La Communauté européenne ne comptait
alors que 12 membres.
Restait l’association.
Preuve d’un certain embarras, l’accord de Partenariat et de Coopération
n’est soumis au conseil européen que le 24 juin 1994 soit trois ans après la
chute de l’URSS.
Il se borne à créer un cadre de dialogue, le sommet bisannuel UE-Russie et
envisage à une échéance très vague une zone de libre échange entre l’UE et la
Russie.
C’est à ce moment que les choses se gâtent. En effet, le texte se fixe pour
objectif majeur et préalable de « consolider la démocratie, l’Etat de
droit, l’intégration de la Russie dans l’espace social et économique européen
commun ». C’est le principe que l’UE applique aux pays candidats à
l’adhésion. Or, la Russie n’est pas candidate et devrait être traitée comme un
pays extérieur au même titre que les Etats-Unis ou la Chine.
Vu de Russie, on y voit un premier signe d’ingérence inadmissible dans ses
affaires d’ordre intérieur.
Vient l’élargissement de 2004, qui contribue également à la dégradation des
relations entre UE et la Russie. La raison principale de cette nouvelle tension
est à chercher dans la fusion des élargissements de l’OTAN
et de l’UE exigée par Washington.
Deux autres initiatives européennes viennent assombrir le tableau :
-
La
première porte sur le SCR, venue à expiration en 2007. Depuis lors, plusieurs
pays nouvellement intégrés à l’UE bloquent la négociation d’un nouveau texte.
Il s’agit des pays baltes, de la Suède mais surtout de la Pologne. Ce texte
jugé non satisfaisant par Moscou est prorogé d’année en année et sa révision ne
semble absolument pas être une priorité pour Bruxelles.
-
La
deuxième, portée par les mêmes pays, définit en 2009 une nouvelle politique
européenne, le Partenariat oriental. Celui-ci propose une association à l’UE à
tous les pays de l’ex-URSS situés en Europe (Biélorussie, Ukraine, Moldavie) et
dans le Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). Ce Partenariat oriental est
perçu à Bruxelles comme un élément de ce qu’on y appelle le « smart power
de l’UE. Son énoncé est toutefois ambigu ! On peut le voir guidé par
l’idée d’une mission civilisatrice » de l’Europe, de la promotion du
« Bien » …Mais on peut tout aussi bien le lire comme une excellente
définition de l’impérialisme !
De surcroît, d’autres éléments sont entrés en conjonction avec le Partenariat
oriental et viennent brouiller sa seule dimension européenne, ce « désir
d’Europe » :
-
Le
premier est que Washington, suivant à la lettre la doctrine Brzezinski,
s’active de longue date pour obtenir l’entrée de tous les pays concernés par le
Partenariat oriental dans l’OTAN. Au sommet de l’OTAN de 2008, il proposait
déjà l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie.
-
Le
deuxième est le rôle très particulier de la Pologne. Historiquement, la Pologne
a considéré à plusieurs reprises son expansion vers l’Est comme une croisade.
Le sentiment d’une mission civilisatrice de la Pologne, « rempart de la
Vraie foi » face à ceux qui sont désignés comme des « païens »
ou des « hérétiques » (les chrétiens orthodoxes) est encore très
ancré. De ce fait, l’objectif traditionnel de la diplomatie polonaise est
d’arracher les pays entre la Baltique et la mer Noire à l’influence russe.
Dans tous les cas, dans son expansion continue, l’UE est entrée de plain-pied
dans le périmètre de sécurité de la Russie dès 2004, avec les pays baltes. Avec
le Partenariat oriental de 2009, elle vise à associer la dernière rangée de
pays la séparant de la frontière russe. Or la Russie de 2009 n’est plus l’Etat
aux abois et démuni de moyens qu’elle était en 2000 !
En effet, depuis 2000, Moscou a entrepris de restaurer une certaine
puissance russe. Elle essaye de garder une influence sur certains de ses
voisins directs, qui étaient intégrés à l’URSS et bien avant à l’empire russe,
et où elle jouit d’une certaine légitimité historique.
Cette politique s’apparente à la relation particulière qu’entretiennent
toutes ex-puissances coloniales avec leur ancien empire : le Royaume-Uni
avec le Commonwealth, la France avec l’Afrique sub-saharienne.
Or cette légitimité historique est aujourd’hui contestée par l’OTAN qui
veut s’étendre à l’Ukraine et au Caucase !
A côté des enjeux économiques énormes, qui se traduisent par une lutte entre
grandes puissances pour le contrôle stratégique des ressources et des voies
d’approvisionnement, il y a une dimension « choc des civilisations »
qu’il ne faut pas perdre de vue.
Il y a bel et bien un affrontement entre deux influences, celles de
Bruxelles et Washington d’une part, celle de Moscou de l’autre, pour une zone
qui était jusqu’à présent dans l’obédience de cette dernière …
En 2013, l’affrontement entre l’UE et la Russie a pris une forme directe à
propos de l’Ukraine avec les développements que l’on sait et son tout dernier
épisode, la signature de l’accord d’association entre l’UE, l’Ukraine, la
Moldavie et la Géorgie ce 27 juin dernier.
Il est à noter que le « smart
power » de l’UE repose avant tout sur l’importance de la corne d’abondance
qu’elle est disposée à déverser (11 milliards d’euros). Or la crise de la zone
euro et la montée de l’euroscepticisme sont passées par là. Nous ne sommes plus en
2004. Il n’est pas sûr non plus que la subordination de l’offre de l’UE à la
mise en place d’un plan drastique du FMI s’avèrera très porteuse pour
l’Ukraine.
De son côté le Ministère russe des affaires étrangères a déclaré que
l’accord intervenu entrainerait une perte économique pour la Russie. La
commission européenne a proposé pour sa
part d’organiser, le 11 Juillet, une rencontre ministérielle entre la Russie,
l’Ukraine et l’UE. La Russie a accepté mais aurait souhaité que cette rencontre
ait pu se dérouler avant la signature de l’accord !
Que peut-on conclure de ce qu’il précède ?
Vu de Moscou, dans le nouveau paysage mondial, l’UE est vouée à se
marginaliser, ses moyens de défendre ses intérêts et ses valeurs s’amenuisant
de plus en plus. On juge que cette organisation est pour des raisons
structurelles en recherche de conflit avec Moscou et que les Etats, qualifiés
d’anti-russes poussent à ce conflit, en quête d’une revanche historique. Que
cette tendance est d’autant plus forte qu’elle entre en conjonction avec une
politique américaine inspirée de la doctrine Brzezinski.
Mais on peut penser aussi à Moscou que dans ces pays, y compris la Pologne,
les milieux économiques modernes sont plus séduits par l’avenir qu’à ressasser
ad vitam aeternam l’idée d’une « mission historique ».
D’ailleurs les milieux économiques russes reprennent volontiers la proposition maintes fois énoncée par leur
gouvernement depuis deux décennies : une Alliance européenne, un espace
économique et humain commun créés par la Russie, l’UE et d’autres pays. Selon
eux, cette association pourrait constituer le troisième pilier du nouvel ordre
mondial en construction qui faute de cela risque peut-être bien d’être
bipolaire, limité à l’Asie et à l’Amérique du Nord.
Dans l’état actuel des choses, l’UE, éblouie par le nouveau succès de son
« smart power » ne voit pas le monde ainsi … et pousse chaque jour
d’avantage la Russie à « Saisir le
vent chinois dans les voiles russes » (Vladimir Poutine) !
Pologne-Russie : quelles relations ? http://www.diploweb.com/Pologne-Russie-quelles-relations.html
De nouvelles lignes de partage en Europe de l’Est ? http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article9785
L’aide à la Grèce, une bagatelle par rapport aux besoins de l’Ukraine. http://www.romandie.com/news/Laide-a-la-Grece-une-bagatelle-par-rapport-aux-besoins-de/488345.rom
Is containment back ? http://www.russianmediacenter.org/?p=954
Today’s EU doesn’t have room for Ukraine.
http://www.themoscowtimes.com/opinion/article/todays-eu-doesnt-have-room-for-ukraine/502593.html
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