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mardi 15 juillet 2014

Pourquoi les enfants de l'élite russe vivent-ils à l'étranger?


 
En d'autres temps, Edouard Herriot, Président du Conseil sous la Troisième République française, écrivait: "L'amour de la patrie prolonge l'amour de la famille; l'amour de l'humanité prolonge l'amour de la patrie". Cela traduisait une autre culture d'Etat, une autre culture politique. Aujourd'hui, la Russie est sous le choc de l'enlèvement du fils du député Seleznov par les Etats Unis, alors qu'il était en vacances aux Maldives. Et l'idée d'un projet de loi illumine certains esprits: pour régler le problème, il faut interdire à certaines catégories de personnes travaillant pour l'Etat d'avoir des proches à l'étranger. Le gourdin pour remplacer la culture? Mais les députés s'y opposent, il faut dire que de nombreuses personnalités russes de premier plan ont leurs enfants à l'étranger. Est-ce normal ou y a-t-il un problème?
 

 
L'enlèvement de Roman Seleznov a été comme un détonateur pour l'élite russe: nos enfants ne sont pas en sécurité, que faire? On ne peut tout de même pas les garder sous clé à la maison, on ne peut pas refermer les frontières et on ne le veut pas. La proposition du projet de loi du député E. Fedorov, voulant interdir à certains d'avoir des proches à l'étranger, a ainsi réussi à faire l'unanimité contre lui: Roman était en vacances et habite en Russie, les frontières sont ouvertes et personne ne veut les refermer. Donc ce projet n'a aucun sens. Mais est-ce là la véritable motivation de la nouvelle élite russe, libérale et patriotique, risquant la chute dans un grand écart particulièrement inconfortable?
 
Et en effet, beaucoup de personnes sont concernées.
Trois des quatre enfants du député Jelezniak étudient à l'étranger, en Angleterre et en Suisse. Le fils de la député Mizoulina vit et travaille en Belgique après avoir fait ses études aux Etats Unis. Le fils de Joukov, vice-président de la Douma, a fait ses études à Londres. Le fils du député Remezkov a commencé ses études aux Etats Unis dans le cadre d'un programme pour les officiers de l'armée américaine en Pennsylvanie, ensuite il est entré dans une université à New York. Pour changer de registre, le directeur de l'entreprise publique des Chemins de fer russe. Son fils aîné a fait ses études à Londres et travaille en Russie pour une société d'investissement anglaise. Son cadet vit et travaille en Suisse. Le fils aîné de P. Astakhov, l'Ombudsmen russe pour les enfants, a fait ses études aux Etats Unis.
 
L'on pourrait encore continuer longtemps, mais le paysage est assez clair. Est-ce un crime d'aller à l'étranger? Non, c'est un choix personnel et chacun est libre. Pourtant ici, déjà, quelque chose dérange. Tout d'abord, le choix est fait par les parents pour les enfants, ils suivent donc le choix fait pour eux, qui va les conditionner et conditionner leur vision du monde. En soi, c'est le rôle des parents, de choisir le meilleur pour leurs enfants. Et ici le bas blesse: le meilleur est donc systématiquement ailleurs quand on en a les moyens.
 
Ce qui renforce le malaise est l'ampleur du phénomène et la distance avec le discours tenue. Peut-on avoir un discours patriotique, qui ne soit pas de convenance, et systématiquement envoyer ses enfants à l'étranger? Non, ce n'est pas compatible. Il faut choisir, et pas besoin de loi pour cela. Il s'agit de culture d'Etat, de culture politique et non de business.
 
Lorsque vous envoyez systématiquement vos enfants étudier, et si possible vivre à l'étranger, vous démontrez le manque de confiance que vous avez personnellement dans votre propre système publique et politique. C'est le caractère systématique qui joue en votre défaveur. Dans un cadre "patriotique", les enfants reviennent apporter le complément de savoir asquis dans d'autres systèmes éducatifs, ce qui est normal et positif. Mais ici, en général, ils ne reviennent pas, sauf s'ils n'ont pas le choix. Cette distance entre l'acte et la parole laisse toute sa place au cynisme, qui est en général encore plus fort chez les enfants que chez les parents: ils réalisent les rêves de leurs parents, ce qu'ils n'ont pu eux-mêmes faire.
 
Il est alors difficile de croire en le discours, c'est d'ailleurs peut être pour ça que la note est forcée, pour convaincre.
 
Autre conséquence délicate. Vous serez moins impliqué dans la réforme réelle d'un système dont votre descendance est à la marge. Etudes, travail et donc couverture santé à l'étranger. Ainsi, dans les domaines de l'enseignement, de la médecine, vous êtes moins inquiets pour l'avenir. Et parfois même pour le présent, avec cette manie de vouloir accoucher à l'étranger, dans des villas spécialement louées à cet éffet, comme ce fut le cas pour le petit dernier de la famille de l'Ombudsman pour les enfants, P. Astakhov.
 
Que cela signifie-t-il? Outre le fait évident du manque de confiance dans le système national, cela montre aussi un problème de recrutement des cadres, leur manque de culture d'Etat et cette manie de voir dans le business l'idéal de la politique étatique. Cela montre par ailleurs une idéalisation de l'Occident, des Etats Unis et de l'Europe, au-delà des discours critiques. Et cette position a une influence énorme au moment de la prise de certaines décisions.
 
Que cela concerne la situation en Ukraine, avec la "surprise" de la trahison de Poroshenko, que ce soit avec la volonté de réforme américanisée de l'enseignement supérieure ou l'impossible choix de système dans la réforme de la procédure pénale. Bref, il serait peut être moins nécessaire de parler de "patriotisme" à l'intérieur du pays si un ligne politique à long terme était choisie, affirmée et assumée. Cela permettrait aussi de structurer plus logiquement le paysage politique.

2 commentaires:

  1. c'est le bât ( le bâti sur le cou des boeufs !)qui blesse et non le bas de soie !

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  2. ll est juridiquement impossible d’empêcher un citoyen de quitter son propre pays sauf dans des cas extrêmes sur ordre préalable d'un juge.C'est ce que prévoit le pacte relatif aux droits civils et politiques à son article 12 que la Russie à ratifié en 1973 (alors URSS).De nos jours seul Cuba, la Corée du Nord et L’Érythrée ont une législation de la sorte...

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