Les élections parlementaires terminées, l'Ukraine doit maintenant former un Gouvernement tenant compte de la répartition des forces à la Rada. Et même avant la fin du décompte, les négociations ont commencé et les luttes également. Le Président Poroshenko annonce tout de suite son plan de coalition, plan que Yatséniuk rejette par principe: c'est lui le vainqueur des élections parlementaires, c'est à lui de constituer la coalition pour le Gouvernement. Or sa position est encore plus radicale que celle de Poroshenko. La paix a peu d'avenir en Ukraine, car les élus sont arrivés à la Rada en surfant sur la vague agressive du nationalisme guerrier. Ils ont plus un plan contre la Russie et pour l'UE, qu'une politique socio-économique pour l'Ukraine.
Plusieurs questions viennent à l'esprit lorsque l'on regarde ce qui se passe dans cette phase incertaine de négociations. Tout d'abord, pourquoi Yatséniuk s'annonce-t-il vainqueur alors qu'il a moins de députés que le Bloc Poroshenko? Ensuite que contiennent les accords de coalition des deux grands prétendants ? La composition de la Rada laisse-t-elle encore une chance à un Gouvernement "pacifiste"?
Le combat ouvert entre Yatséniuk et Poroshenko
Alors que leur lutte d'influence était plus ou moins souterraine avant les élections, maintenant les enjeux sont tels que le combat ne peut qu'être ouvert. D'un point de vue personnel, c'est la lutte pour le pouvoir entre deux personnalités. Les deux bénéficient du soutien de l'Occident. Les deux ont été montés et mis en place pour ensuite que le choix soit validé par des élections. Pourtant, ils ont une certaine différence et c'est justement ce qui a justifié que Yatséniuk soit au Gouvernement et Poroshenko à la présidence.
Yatséniuk est considéré comme une marionnette des Etats Unis, notamment en raison de ses orientations religieuses, ou sectaires. Il est un membre influent de la scientologie, sa sœur vivant aux Etats Unis depuis plus de 15 ans y dirige une très importante organisation. Comme instrument placé au pouvoir, il est un levier particulièrement important de la politique américaine en Ukraine. Et si l'on regarde sa rhétorique fondée sur la haine de l'autre, le culte de la force, il est évident que l'avenir de la paix est faible. Pour sa part, Poroshenko est un oligarque, dans le sens classique du terme dans l'espace post-soviétique. Il est donc par nature plus orienté vers le dialogue et le compromis, ne serait-ce que dans l'intérêt du business. Si Poroshenko peut envisager un dialogue avec la Russie, Yatséniuk ne le peut pas.
C'est pourquoi, Poroshenko doit être à la présidence. Il permet de garder une apparence de bonnes relations avec la Russie, d'initier des négociations ou de prendre des décisions - qui ne seront pas toujours appliquées. Parallèlement, le centre du pouvoir doit rester entre les mains de Yatséniuk. Ainsi, les négociations du gaz sont torpillées de l'intérieur, les commandants de bataillons peuvent choisir à qui obéir etc. Un certains chaos reste en permanence en place, permettant selon les circonstances soit d'en appeler à la législation révolutionnaire à titre d'exception (les lustrations, les expropriations, le maintien de l'ordre par des structures non étatiques ...) soit à l'ordre constitutionnel.
Et ici Yatséniuk fait une intéressante pirouette. Il affirme avoir gagné les élections et donc avoir le droit de former lui-même la coalition gouvernementale, dans la bonne vielle tradition européenne. Donc, en l'occurrence on rejette les circonstances révolutionnaires. Mais Yatséniuk a-t-il réellement gagné? Non. Il a eu plus de voix que le Bloc Poroshenko lors des élections de liste, mais pas en ce qui concerne les élections nominatives. Car finalement Poroshenko va compter environ 130 députés et Yatséniuk 100. Or, a gagné celui qui a le plus de députés au final. Donc, ici, Yatséniuk n'a pas gagné et selon la tradition européenne le Premier ministre peut être un des membres du Bloc Poroshenko.
Ce qui serait inacceptable pour l'Occident. Le tandem doit tenir, avec un Président affaibli et petit à petit décoratif, et un Premier ministre qui gouverne, dans l'intérêt exclusif de l'Occident. Donc la communication autour des résultats est déjà faussée. Yatséniuk doit prendre le premier rôle dans le pays. La question qui se pose est Poroshenko aura-t-il suffisamment de ressources pour faire face à cette attaque? La question de la formation des coalitions sera fondamentale. Soit c'est Poroshenko qui arrive à garder l'initiative et le Président pourra avoir une chance de gouverner, soit Yatséniuk prend l'avantage suite à sa déclaration refusant a priori le plan Poroshenko, car justement il vient de Poroshenko, et dans ce cas la tournure des événements va encore se radicaliser plus vite.
La teneur des plans de coalition de Poroshenko et Yatséniuk
Le plan de Poroshenko est largement inspiré de ce qu'il avait alors intitulé Stratégie-2020, accompagné d'une liste de projets de lois que la coalition parlementaire devra rapidement adopter. Il envisage également une réforme de la doctrine militaire du pays avec entre autre la création de forces d'interventions rapides, de forces de protection des frontières, etc. Le plus intéressant est l'adoption progressive des standards de l'OTAN et le développement de la coopération militaire avec les Etats Unis, le Canada, l'Asie du Sud-Est et l'UE. En ce qui concerne l'indépendance énergétique, il est proposé de prévoir en 2018 une limitation à 30% des besoins annuels en gaz pour chaque compagnie fournissant du gaz. Afin de compenser l'importation de gaz russe, il est proposé de développer le gaz en provenance de l'UE par un gazoduc Nord-Sud. Il faut également mettre en place la libéralisation du secteur de l'énergie électrique et la diversification des fournisseur en ce qui concerne les centrales nucléaires fournissant l'électricité. La libéralisation du marché du travail, en fait sa dérégulation, est prévue, notamment par la simplification extrême de la procédure de licenciement et d'embauche.
Pour Yatséniuk, l'important est qu'il ait le pouvoir de former la coalition. Sur le fond, peu de différences affichées. La concurrence ici est plus institutionnelle qu'idéologique. Il insiste sur l'implantation de l'accord de coopération avec l'UE, annonce aussi avoir exactement 36 projets de lois qu'il faudra rapidement adopter. Son cynisme est incroyable: il affirme qu'il n'est pas nécessaire de faire semblant d'imaginer un plan politique, il existe déjà et a été mis en place par l'UE. Au moins, il est clair. Si Poroshenko fait encore semblant de mener une politique "nationale", Yatséniuk, lui, revendique son affiliation. Et d'ailleurs il entend appeler sa coalition "européenne".
Lundi les négociations doivent commencer et chacun envisage une alliance avec les radicaux et les extrémistes. Les deux hommes, devenus "partenaires stratégiques" selon Yatséniuk, vont se confronter pour savoir qui a le leadership. Même si la part des pacifistes dans la Rada semble plus que réduite.
La paix faiblement représentée
A la rada sont entrés des partis et des personnalités qui connaissent mieux la guerre que la politique. Qu'il s'agisse des membres du Secteur droit, à titre individuel même si le parti n'a pu en tant que tel être représenté, avec notamment son président Iaroch. On y voit également le commandant du bataillon Azov, A. Biletsky. Sans oublier la dizaine de commandants des divers bataillons qui ont combattu dans le Donbass.
Au niveau des partis politiques, Liachko a eu un faible résultat car ses voix ont été reprises par le parti du maire de Lvov, qui est financé par Kolomoïsky. Ce parti "Samopomoch" est une version politisée du combat armé, donc ne prévoit rien de bon non plus. Sans oublier que de toute manière, la rhétorique politique des partis, à l'exception du Bloc d'opposition qui fait à peine 10%, est fondée sur la victoire, la guerre, la lutte contre la Russie et l'asservissement à l'Ouest comme voie de libération nationale.
Dans ces conditions la paix a peu de chances de survivre. D'autant plus que l'UE menace la Russie de sanctions aggravées si elle reconnait les élections du Donbass.
Pour autant, peut-on réellement maintenant parler de paix? Et cette "paix"-là est-elle réellement dans l'intérêt tout autant de l'Ukraine, de l'UE et de la Russie? On peut en douter.
Comme à votre habitude, il faut encore que vous glissiez dans votre article des propos visant à condition vos lecteurs contre le Libéralisme (libération du secteur de l'énergie et du travail, vu d'un mauvais oeil) alors que vous n'avez pas encore compris de quoi il s'agissait malgré déjà mes interventions nombreuses sur le sujet et les liens qui vous auraient permis de vous documenter.
RépondreSupprimerSeriez rentière, au sens où Charles Gave l'entend dans cet article?
http://www.les-crises.fr/capitalisme-de-connivence-et-liberalisme/
Non je ne pense pas.
Mais alors que vous avez une bonne culture et écrivez des articles intéressants, pourquoi vous obstinez vous à rester dans l'inculture de ce qu'est le libéralisme?
A Monsieur ou Madame l'anonyme,
RépondreSupprimerLes lecteurs de Karine Béchet Golovko, sont déjà tout à fait conditionnés, car ils ont parfaitement compris dès la première lecture ce que voulait dire le terme de "libéralisation du travail" d'autant qu'en apposition il y avait le terme "dérégulation" .
Il n'y a pas eu besoin pour ce faire d'analyse théorique, la pratique effective depuis de longues années hélas en France,de ce marché du travail et en suivant un peu l'activité syndicale et les événements de chaque jour leur font comprendre immédiatement ce que cela veut dire "libéralisation" du marché du travail, ils comprennent aussi ce que veut dire libéralisation du secteur de l'énergie en ce jour de début novembre où les tarifs du gaz comme de l'électricité augmentent.
Ils ont quelques faculté "spontanée"( en fait faculté formée par de très longues années à vendre sa force de travail et à payer ses factures) à voir ce qui est en jeu dans le combat qui s'annonce et les stratégies qui sont en train de s'élaborer.
Merci à Karine d'éclairer la lanterne des lecteurs déjà conditionnés à voir le libéralisme d'un mauvais oeil, mais qui sont soucieux de comprendre au plus près et au plus concret, ce qu'il en est des forces en présence et des stratégies en cette phase précise en Ukraine après ces élections (car c'est de cela qu'il s'agit, je crois).
Dominique.
Vous n'avez pas compris mon propos.
RépondreSupprimerJe ne conteste pas que le marché du travail et de l'énergie se tend. Par contre je conteste tout à fait que cela vient du libéralisme, le terme n'ayant rien à voir à la pratique sur le terrain. vous continuerez à être des idiots utiles à l'Etat et vous n'êtes pas près d'y mettre un terme puisque vous refusez obstinément de vous informer sur ce qu'est le libéralisme que vous confondez avec le capitalisme de connivence.
Et vous osez parler de l'activité syndicale, pauvre fou! Les syndicats, organisés en monopole depuis 1945 et qui ne représentent qu’environ 5 % des salariés Français et ont un financement complètement opaque, ont pris le contrôle d’un certain nombre de secteurs tous nationalisés (énergie, transports, éducation, santé) dont le blocage suffit à mettre l’économie Française par terre à chaque fois.
J'ai posté le lien de Charles Gave parce qu'il est publié sur Les Crises.fr. Ce site, bien connu de tous les partisans de la République du Dombass ,n'a plus besoin de faire ses preuves. Olivier Berruyer se donne la peine de comprendre ce qu'est le libéralisme, plus que KBG. Il a compris que ce qui se passe en Ukraine et contre la Russie est une attaque contre la liberté, les ressources et le marché libre. Et surtout M Poutine l'a très compris également et il suffit de voir son dernier discours au club Valdai pour comprendre qu'il défend le libéralisme, le vrai, pas celui, déformé, auquel vous croyez, parce qu'il vous arrange et fournit un coupable tout désigné.
Un exemple tout vrai de ce que vous prenez pour du libéralisme. La nomination du fils cadet de Joe Biden au CA de Burisma, le holding Ukrainien de production de gaz et d’huile qui a aussi le droit de développer le gaz de schiste dans le bassin du Dnieper. Cela ne vous fait-il pas penser plutôt à du capitalisme de connivence???
RépondreSupprimerPS: merci à KBG de publier mes commentaires, qui pourtant ne vont pas dans son sens. Vous et moi avons grand respect de la Russie. S'il vous plait, prenez le temps de découvrir le libéralisme pour cesser de vous trompez d'ennemi. Bien à vous