L'on n'aurait jamais vu autant de monde dans les rue de Paris depuis la Libération. Plus de 4 millions de gens dans les rues de France ce dimanche pour manifester. Il aurait simplement, peut-être, fallu préciser pour quoi l'on manifestait. En soutien humain aux familles des personnes violemment et froidement assassinées du 7 au 9 janvier en France? Ce soutien est inconditionnel et ne se discute pas. Ou seulement aux journalistes de Charlie Hebdo? Est-ce pour la liberté d'expression, pour la liberté de la presse, pour toutes les presses, toutes les libertés? Est-ce donc un mouvement libertaire qui doit enfanter le nouveau corps de la Nation? Ou est-ce encore en soutien finalement aux juifs qui selon nos dirigeants fondent la France? Et si l'on n'y participe pas, on est rejeté de la nouvelle Nation? Voir de la République? Beaucoup de questions et aucunes réponses.
Pourtant, si l'on veut réellement renforcer la République, il est urgent d'y répondre, au minimum pour ne pas laisser d'autres faire le choix pour nous. Et l'on voit déjà Valérie Pécresse appeler de ses vœux twitteriens un Patriot Act pour la France, autrement dit légaliser une politique liberticide et meurtrière, à l'encontre de ses propres citoyens. Ce qui n'est pas particulièrement dans l'esprit français, mais il est vrai que celui-ci est passablement malmené ces derniers temps.
Il faudra bien entendu un Patriot Act à la française. Il faut une réponse ferme et globale #renseignement #securité #laicite #education
05:36 - 11 janv. 2015
L'on appréciera le "bien entendu" à sa juste valeur, même s'il est des évidences dont il vaut mieux parler. C'est aussi dans ces situations que les masques tombent. Et pour continuer dans la série mascarade, certaines déclarations, à la veille de la grande messe démocratique de dimanche, furent surprenantes. Ainsi, tout d'abord le Premier ministre E. Valls, ensuite le Président de la République, F. Hollande, déclarent dans les mêmes termes:
"La France, sans les juifs, n'est plus la France".
Et moi qui pensait , naïvement, que la France n'était pas la France sans les français, mes compatriotes, quelles que soient leur confession, leurs opinions politiques et religieuses, leur droit à l'absence d'opinion, simplement parce que nous formons tous un corps unique, la Nation, qui veut construire un même pays, chaque jour à chaque instant. Mais à la place de cette vision traditionnelle des valeurs républicaines françaises, l'on est en train de nous servir une France communautarisée, morcelée, qui se découpe et se déchire en fonction de ses croyances religieuses et politiques. Car, dans la série, des responsables du PS déclaraient devant les caméras, spontanément (avant que le message n'ait été corrigé), que ceux qui ont un pied à l'intérieur de la République et un pied à l'extérieur ne sont pas les bienvenus à la grande manifestation républicaine. Mais qui va décider? Les organisateurs, qui organisent par cooptation. Le message d'unité nationale en aura pris un coup et la question dépasse de loin celle du Front National, comme parti politique légal et autorisé par les lois de la République. Car l'anathème touche également les électeurs, membres de droit de la République française, qui peuvent soutenir ou non la vision politique du Gouvernement.
Mais peu importe, nous sommes dans un grand mouvement. Et le terme de mouvement est fondamental. Car il faut faire bouger les choses .. et les gens. Le mouvement est plus important que le but. Pour certains, c'est un soutien personnel aux journalistes. Pour d'autres, c'est le besoin de se sentir ensemble dans la vraie vie, et pas seulement dans les réseaux sociaux, face à la menace terroriste, dont ils viennent juste de prendre conscience. Cette menace, loin d'être nouvelle et déjà depuis longtemps universelle, vient, en France, d'être déclarée mondiale, car elle a touché Paris, le centre du Monde.
Mais à côté de l'aspect humain, c'est la récupération qui est à l'oeuvre. L'on passera sur la compagne démentie par la famille de Charb qui fait les plateaux depuis la mort de "son compagnon". La vie privée pourrait et devrait rester privée, le débat n'y perdrait rien. Non, ce qui est plus important, c'est la récupération idéologique et politique. Car d'aucuns enjoignent tous les médias à reprendre les caricatures anti-islamistes de Charlie Hebdo s'ils veulent avoir le droit d'user de la pancarte Je suis Charlie. Ainsi, Michèle Tribalat , qui a une vision très moderne semble-t-il de ce que signifie être français, se fout et se contrefout de l'aspect humain de la tragédie et donc du soutien à apporter. Pour elle, le mouvement doit être idéologique. Donc choisissez votre camp gentil camarade, avant que vous n'en ayez plus le droit:
"Le slogan «Je suis Charlie» ou «Nous sommes Charlie» me paraît relever à la fois du romantisme, du narcissisme et de l'indécence. Nous ne sommes pas Charlie pour la bonne raison qu'ils sont morts en raison des risques qu'ils ont pris de continuer à faire leur travail, souvent sous les accusations les plus odieuses de ceux qui ont invoqué le manque de respect, le mauvais goût, l'abus de la liberté d'expression, le racisme ou l'islamophobie… La presse pourrait légitimement arborer ce slogan si, de concert, elle republiait l'ensemble des caricatures qui a valu la mort à ces valeureux caricaturistes. À cette condition seulement."
Car il est déjà délicat d'oser considérer ces caricatures comme relevant plus du mauvais goût que de l'humour, d'une crise éternelle d'adolescence assez répandue dans notre société déresponsabilisée. Et par ailleurs, cette liberté reconnue post mortem comme la règle journalistique, ne semble pas s'appliquer à tous les journaux, à toutes les publications. Ainsi, le Gouvernement n'aime pas une publication du journal Le Point, qui ose montrer le policier abattu à terre. L'image dérange le pouvoir, plus la liberté du journal en l’occurrence ne l'inquiète. Un dirigeant politique qui exprime publiquement son "dégoût" face à une publication, fait pression sur la presse. Alors il faut choisir, soit c'est possible, soit c'est interdit.
Ce qui est envisageable, mais il faudrait alors oser formuler des critères. Si la caricature sarcastique est un trait du journalisme français, faut-il pour autant réduire cette profession à cela, sans en faire une sorte d'éructation de perpétuel adolescent? C'est aussi possible, mais il faut aussi le dire.
Il serait manifestement déjà fortement déplacé de se demander pourquoi l'humour de Charlie Hebdo devient le parangon de la République en péril, quand ce même humour, à mon sens tout autant de mauvais goût, de Dieudonné donne lieu à des interdictions et des actions pénales:
"Dimanche 11 janvier, après avoir participé à la grande marche à Paris, Dieudonné avait écrit sur son profil Facebook à 20 h 34 : « Après cette marche héroïque, que dis-je… Légendaire ! Instant magique égal au Big Bang qui créa l'Univers… Ou dans une moindre mesure (plus locale) comparable au couronnement de Vercingétorix, je rentre enfin chez moi. Sachez que ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly. »"Cet humour très discutable, faisant un pied de nez à l'auteur du massacre du magasin Cacher a fortement choqué notre cher ministre de l'intérieur qui déclare:
« Ces propos sont une abjection. J'ai donné des instructions à la direction juridique et des libertés publiques du ministère de l'intérieur pour examiner immédiatement la suite qui peut être examinée en droit »
De la liberté de la presse, l'on passe à la liberté d'expression pour en finir avec l'indépendance de la justice, la boucle est bouclée. Cela peut-il inciter à la haine pour des fondements de race ou de religion? Oui, certainement. Tout autant que les caricatures. D'un côté, on provoque les juifs, de l'autre les arabes. D'un côté une enquête pénale est lancée, de l'autre le monde musulman modéré doit soutenir l'action de grâce républicaine et faire amende honorable. Les présidents s'inclinent, les dessinateurs du Maghreb soutiennent. Au risque de provoquer un rejet chez les croyants et de favoriser la radicalisation. Mais peu importe.
Enfin, car on peut continuer longtemps sur le sujet, juste un mot concernant la brochette politique du premier rang. L'on passera sur le ministre de la justice américain après le rapport sur les tortures exercées par la CIA que ce même ministre ne veut pas juger. Non, regardez mieux, qu'il est magnifique ce président ukrainien, venant défendre les droits des journalistes, la liberté de la presse et la lutte contre le terrorisme. Ce terrorisme qui l'a porté au pouvoir et la lutte contre la presse qui lui permet d'y rester. Avec les journalistes arrêtés et torturés par ses hommes en Ukraine, ceux qui sont bloqués à la frontière car ils risquent de ne pas bien expliquer ce qui se passe. Avec Odessa et le massacre organisé de simples personnes qui osaient penser différemment de ce nouveau pouvoir et n'étaient pas non plus armés. Avec les morts civils dans le Donbass et le bombardement, ce dimanche, pendant qu'il défile, des quartiers de Donetsk. Juste pour le plaisir pendant le cessez-le-feu. Juste pour montrer à quel point il est important de bien faire son métier. Juste pour montrer que tout lui est permis. 20 civils morts entre le 3 et le 12 janvier à Donetsk. Mais pas de manifestation. Mais quelle importance? L'on ne défile pas pour le droit à la vie. L'on ne défile pas pour la liberté de la presse française, qui n'en parle parle pas et a autre chose à faire qu'être indépendante. L'on défile pour être dans le mouvement. A la place de la pensée. On y revient aux modernes contre les anciens ...
D'une certaine manière, c'est aussi pour cela qu'ils sautaient sur le Maïdan. Pour être dans le mouvement et dans la nouvelle République. La transition sera moins douloureuse en France, elle a commencé il y a longtemps. Et l'on voit ces caricatures se répandre dans d'autres pays. Par exemple, des bloggers russes les reprennent, appellent à les publier, les diffusent. Alors que personne ne connaissait en Russie Charlie Hebdo avant cela. Alors que personne ne connait ces journalistes. Alors que les tensions interconfessionelles ont été dépassées, mais que tout équilibre est fragile. Il faut utiliser pour provoquer. Et pour destabiliser. Pour que le sang coule à nouveau.
Que toutes ces victimes d'attentats reposent en paix, car ce sont des victimes. Mais, cela ne doit pas servir de clivage entre une société autoproclamée moderne et développée, celle des caricatures, parce qu'elle tient les médias et une société de seconde zone, provinciale, qui ne comprend rien à la finesse de cet humour et qu'il faut remodeler tout en reniant les réfractaires. L'on ne créé pas l'unité nationale dans un carnaval. Après, il faut rendre les clés de la ville pour que la vie reprenne.
La France aurait donc vécu sa deuxième Libération. Espérons qu'elle n'ait pas été libérée d'elle-même.
Bonjour Karine,
RépondreSupprimerA un moment, j'ai cru que finalement mes compatriotes allaient ouvrir les yeux sur la réalité, sur les deux poids deux mesures.
Hier soir j'ai lu une info : 45 conteneurs d'armement militaire envoyés du Canada arrivent en Ukraine ! Et on parle de paix ?
Hélas, aujourd'hui je suis encore déçue : la liberté d'expression devient apologie du terrorisme et bien que les mosquées subissent des attaques ce sont les écoles juives et les synagogues qui vont être protégées.
Je respecte toutes les religions mais montrer du doigt l'une et protéger l'autre ne peut qu'entrainer une radicalisation du discours et du comportement.
Je me dis, franchement, dans quel monde vit-on ?
La liberté d'expression, c'est de critiquer des opinions, pas de calomnier des personnes. La liberté d'expression ne doit pas être confondue à la tenue de propos licencieux, vulgaires et immoraux.
RépondreSupprimerCaricaturer Mahomet c'est critiquer une opinion ?
SupprimerLa caricature a eu pour objectif depuis des lustres, de moquer les puissants, les forts, la classe au pouvoir... Ici il s'agit d'une catégorie de français déjà stigmatisés par certains... N'est-ce pas un peu lâche? Y aurait il une frontière si ténue entre "miberté d'expression" (à la sauce qui nous est présentée là) et acharnement ou sadisme?
SupprimerJe sais que ce n'est pas très original, mais je veux le dire et le redire: dimanche j'ai assisté aux funérailles de la France.
RépondreSupprimerEt moi qui croyais que ces funérailles avaient du lieu en 2005.
SupprimerIl peut y avoir 2 temps : la mise en bière et l'incinération...
SupprimerL'impertinence est une clé de la démocratie mais l'ignorant ne peut comprendre l'impertinence dans toutes ces subtilités.
RépondreSupprimerHier il s'agissait d'une marche du peuple pas d'une manifestation.
Le jour d'après la vigilance continuera
Je partage sans réserve l'avis de Lio de France. Il ne faut même pas chercher plus loin, on y gagne en débat, en temps et en valeur humaine.
RépondreSupprimerJe ne suis pas Charlie. Non je ne suis pas un idiot utile
RépondreSupprimerTiens ! Charlie c'est très proche de charia pensez-y !
RépondreSupprimerCharpie est encore plus proche -vous n'avez pas assez pensé- ce qui me fait plutôt penser à l'état du pays à bien des niveaux. C'est la première chose qui me fait réellement peur.
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