Ella Pamfilova, figure libérale de la politique russe, vient d'être élue à la tête de la Commission centrale électorale, sans grande surprise. Ce qu'elle en fera, ça, c'est une autre affaire. De grandes réformes sont annoncées, dans l'urgence, car à l'automne se dérouleront les élections législatives. Quant à la presse d'opposition, elle prend avec énervement la nouvelle: il sera plus délicat de discréditer les élections à venir.
C'est tombé, c'est officiel, Ella Pamfilova occupe maintenant, et pour le nouveau cycle de 5 ans, le poste de présidente de la Commission centrale électorale russe. L'on ne peut pas dire que les élections furent pleines de suspens. Il y a bien eu un candidat, plus pour la forme, du parti de Jirinovsky, permettant la pluralité des candidatures. La forme est sauvé: 14 voix pour Pamfilova ... sur 15. L'affaire fut emballée en moins de 40 minutes.
L'intérêt n'est pas ici. La Commission électorale n'est pas un organe de la société civile, mais bien un organe étatique. Donc devant défendre l'intérêt public. Assurer des élections propres où chacun a sa chance. Et ici le nouveau visage de la Commission est intéressant.
Son prédécesseur V. Tchurov a été largement discrédité dans les médias d'opposition et dans la presse occidentale. On le surnommait le magicien. Le premier surnom de E. Pamfilova vient de sortir par BBC: le Batman russe. On change de style, on change de rapport.
C'est la fin d'une époque, mais l'époque a changé aussi. Reste toujours cet amour aveugle pour "des élections libres et équitables". Il faut dire que la formule est rôdée. Peut être même un peu trop. Elle en devient un slogan. Espèrons que la Commission électorale nouvelle formule le comprendra et que les "réformes radicales" dont parle Pamfilova ne détruiront pas le système dans sa logique profonde et historique, pour tenter d'atteindre la chimère de le mettre en conformité avec une formule de circonstance. N'oublions pas que, même dans des élections libres et équitables, il y a des perdants, ceux qui n'ont pas suffisamment d'électorat. C'est la règle du jeu.
Mais Ella Pamfilova est une personne d'expérience. Née dans l'Ouzbékistan soviétique, elle entre au PC US en 1985 et, dès 1989, à l'heure des grandes turbulences, est élue au Soviet suprême, où elle travaille dans le comité des ressources naturelles et de l'écologie. En 1990, dans les derniers sursauts de l'URSS, elle devient membre du comité de lutte contre la corruption. De 1991 à 1994, elle est en charge, sous le très libéral B. Eltsine, du ministère difficile de la politique sociale. Aux pires heures de la "jeune démocratie" russe encore pleine d'espoir pour l'Occident. La presse retiendra principalement de son action en cette période très dure pour la population, les débuts de l'informatisation du système de pension. En 1994, en désaccord avec la politique menée, elle doit quitter son poste et entre à la Douma, au comité pour le travail et la politique sociale. Candidate aux élections présidentielles en 2000, elle fut bonne perdante face à V. Poutine. Elle devient alors plus activiste: créé une commission de la société civile pour l'enquête des crimes en Tchétchénie, met en place un Grand Forum de la société civile pour, finalement, diriger le Conseil des droits de l'homme et de la société civile auprès du Président de 2004 à 2010 et quitter son poste, n'étant pas satisfaite des résultats atteints. Ces deux dernières années, elle fut nommée au poste d'Ombudsman.
Il s'agit donc d'une personnalité forte de la société civile, mais intégrée dans la vie politique, représentant une certaine indépendance de vue et de caractère combatif, tout en sachant s'adapter aux circonstances.
Et sa nomination/élection à la veille du cycle électorale fédéral change la donne pour l'opposition. L'on pourra citer un article du journal d'opposition Gazeta.ru, qui finalement n'inspire que de la pitié à ses lecteurs. Car l'auteur mélange tout les genres.
Il regrette que le mouvement d'opposition dur se soit éteint, certains étant devenus "Crimnach" (c'est-à-dire on soutenu le référendum en Crimée), d'autres sont partis à l'étranger (ceux qui récemment à Washington appelaient de leurs voeux la partition de la Russie, sa mise sous tutelle des organismes étrangers et la répartition de ses richesses). Finalement, il ne reste que quelques fanatiques démoralisés pour mener un combat perdu d'avance. Le tout avec un popularité présidentielle à leur faire avoir un infarctus - au minimum une poussée d'ulcères - et des partis d'opposition qui ne s'opposent pas suffisamment ... à la Russie. Dans ce contexte, ils en arriveraient presque à déplorer l'élection de E. Pamfilova, qui donne une caution morale au système. Or, ce cystème ils n'en veulent pas. Ils veulent le détruire. Ils n'ont pas besoin d'une personne ayant une bonne réputation en Occident. Cet Occident ne doit à aucun prix reconnaître les élections russes, il doit soutenir les manifestations et les financer et les organiser. Sinon, comment peuvent-ils vivre ... en Russie ... sans cet Occident si beau, si grand, mais si loin?
Simplement pitoyable. Il en ressort le malaise de ces "bolchéviques du libéralisme", justement pour reprendre l'expression très juste de E. Pamfilova hier. Car ils savent qu'elle ne cherchera pas à s'en faire des amis, elle l'a déclaré. Ils doivent suivre les règles du jeu. Or, ils ne peuvent gagner avec les règles démocratiques, car ils sont extrêmement minoritaires, comme ils le reconnaissent par ailleurs. Avec dépit. Et il sera plus difficile avec une personnalité forte et consensuelle de discréditer les élections à venir.
Un regard rétrospectif sur les 25 dernières années m'incite à me demander si, pour l'avenir de la Russie, les "bolchéviques du libéralisme" ne seraient pas, en réalité, les moins dangereux de leur famille...
RépondreSupprimerEspérons !
RépondreSupprimer