Le secrétaire d'état américain et le ministre allemand des affaires étrangères arrivent, en même temps à Moscou, pour rencontrer leur homologue russe et le Président V. Poutine. Pour autant, la presse reste plus qu'évasive sur la teneur de cette rencontre. Peut être parce que plus que la teneur, c'est justement le fait qui est important.
Les chefs des diplomaties américaine, en la personne de J. Kerry, et européenne, en la personne Frank-Walter Steinmeier (dans le sens où l'Allemagne dirige de facto les pays de l'UE), sont arrivés à Moscou, en urgence. L'annonce en a été faite immédiaitement après que la Russie ait décidé de retirer une partie de ses forces aériennes de Syrie.
A l'ordre du jour, l'impossible sortie de crise ukrainienne et le processus de politique syrien. Le tout sur fond d'attentats à Bruxelles et de crise politique européenne. Sans oublier les élections américaines qui se profilent et introduisent une inconnue de plus dans les régulations géopolitiques à long terme.
Pour autant, la presse regorge des plaisanteries lancées de part et d'autre.
Vladimir Poutine déclare:
"On the one hand, it’s quite a democratic way of conduct, but on the other hand, I thought probably the situation in the United States is not that good and there is no one to assist the secretary of state in carrying his luggage"
Ou encore fut-il question de l'échange de plaisanteries entre Kerry et Lavrov:
"Au début de la rencontre, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a félicité Sergueï Lavrov pour son anniversaire, qui a eu lieu il y a quelques jours.
"J'espère que notre entretien d'aujourd'hui sera productif. Je veux profiter de cette occasion pour te souhaiter un bon anniversaire. J'espère que cette date (66 ans, ndlr) te donnera un supplément de sagesse, notamment dans la conduite des négociations. Pour tes 39 ans, tu te portes parfaitement".
La réponse de M.Lavrov ne s'est pas fait attendre: "Merci, John, mais si la sagesse se mesure au nombre d'anniversaires, je ne pourrai jamais te rattraper", a ironisé Sergueï Lavrov. "
L'on passera sur la guitare de Kerry, objet qui ne le quitte jamais et que l'on voit pour la première fois, ou sa jolie valise rouge contenant une surprise que le Président appréciera. Bref, beaucoup de bruit pour rien. Beaucoup de bruit sur rien.
Que dire? Pendant que les discussion vont bon cours, les forces aériennes russes bombardent les alentours de Palmyres et l'armée régulière syrienne peut libérer la vieille ville. La ville moderne ne va pas tarder à tomber. C'est une ville tout autant stratégique que symbolique.
Et cela se fait, et est très bien médiatisé, alors que J. Kerry tente de comprendre la position de Moscou face à Assad. La réponse est claire.
Tout cela se passe pendant que, parallèlement aux négociations qui ont eut lieu à Genève, l'armée russe, sur le terrain, en Syrie - et non à Genève - rencontre les chefs de villages, les forces armées non régulières, les "opposants" qui posent les armes. Et négocie, pas à pas, village après village, la paix avec eux. Une paix d'hommes et de femmes ancrés sur leur terre. Et ça marche.
Alors quand Kerry vient parler de la paix en Syrie, le seul accord tombe sur la nécessité d'une réforme constitutionnelle. Avec toutes les parties syriennes, qui ne soient pas combattantes.
La Russie a gagné la partie. Les représentant de "l'autre" clan viennent sur son terrain en fonction d'un ordre du jour qu'elle a fixé. Que reste-t-il? Oui, l'Ukraine. Quand la Russie n'avait pas réagi assez rapidement. Et les déclarations restent toujours les mêmes. Réaliser les accords de Minsk, enlever les sanctions. Plus Savchenko. V. Poutine, grand seigneur, rassure Kerry. Sur ce point, Savchenko, on pourra voir en temps voulu. Quoi et quand? Evidemment ne sont pas précisés. En temps voulus. Il garde la main sur le prix. Et sur le calendrier. Puisque les représailles ne marchent pas.
Et comme l'a très justement déclaré, et avec beaucoup de finesse, la porte-parole du ministère des affaires étrangères, Maria Zakharova, lors de son brieffing d'hier: la question des sanctions ne nous concerne pas, puisque ce n'est pas nous qui les avons adoptées. S'il faut les lever, que ceux qui les ont prises en dicutent entre eux, pas avec nous, et prennent leur décision.
Mais aucun Président sortant ne peut prendre une telle décision.
Ce que montre cette arrivée conjointe et coordonnée des chefs de la diplomatie occidentale est que le dialogue avec Moscou passe à un nouveau stade. Les petites menaces ne fonctionnent pas, la Russie a pris la maîtrise de l'ordre du jour, il faut faire avec. Ils doivent maintenant adapter leur politique et la vague d'élections qui se profile en Europe et aux Etats Unis pourra être utilisée pour institutionnaliser, sans perdre la face, cette évolution incontournable.
Merci pour l'analyse pertinente, qu'aucun de nos médias occidentaux ne parvient, ni ne risquerait, à nous proposer. Le voudraient-ils qu'ils n'y seraient sans doute pas autorisés.
RépondreSupprimerComment la Russie est-elle parvenue à retourner la situation,alors qu'il lui a fallu remonter un fameux handicap?
Il est vraisemblable que la différence dans l'articulation de la structure décisionnaire en Occident et en Russie y soit pour quelque chose, sans pour autant tout expliquer, évidemment. En Russie, les orientations globales, et particulièrement celles en matière de politique étrangère, sont fixées par la partie supérieure de la pyramide politique, et fortement influencées par les siloviki. Les hommes en place ont un objectif et des marges de manœuvre pour y parvenir.
En Occident, la classe politique est largement inféodée à la sphère économique, et surtout financière, mondialisée. L'autonomie des hommes politiques est limitée car ils font figure de "seconds couteaux".
En outre, les positions de la Russie sont largement fondées sur des principes. Les occidentaux ont depuis longtemps abandonné les principes, au profit des "valeurs", toujours négociables... et toujours façonnées par le "sophisme économiciste".
Dans le cas qui nous occupe, il est donc très intéressant de constater qu'une position de principe mise en œuvre par des décideurs autonomes prend le dessus sur une position "pragmatique" mise en œuvre par des décideurs qui ne sont que des "relais" par rapport à un enjeu dont ils ne seront pas concrètement les bénéficiaires.
Pardonnez-moi d'avoir été long, et merci encore.
T'est tout pardonné, Serge! Je suis sûr que Karine appréciera autant que moi. Ça lui changera de mes remarques "allégées", enfin du sérieux!:). Avec ta permission je poste ton comment su ma page de fesse bouc. Sinon, "les positions de la Russie sont largement fondées sur des principes. Les occidentaux ont depuis longtemps abandonné les principes, au profit des "valeurs", toujours négociables... et toujours façonnées par le "sophisme économiste". J'étais toujours intéressé par des " ligne de conduite" idéologiques de deux camps lors de la guerre froide. l'URSS se manifestait sous le drapeau de "la Paix d'abord", l'Occident sous la bannière "La liberté avant tout". Nous voyons où nous en sommes. Bon, bon, très vaste sujet.
SupprimerExcellent article et commentaire.
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