Le gouverneur Belykh arrêté pour corruption: le clan libéral s'insurge

Après les gouverneurs des régions de Sakhaline et des Komis, c'est au tour du gouverneur de la région de  Kirov, Nikita Belykh, d'être arrêté pour corruption, trosième gouverneur en moins d'un an. Pour autant, cette fois-ci, la lutte contre la corruption ne plait ni aux libéraux, ni à Transparency International. J'oubliais de préciser: Nikita Belykh était un des dirigeants du parti très libéral Les Forces de Droites (SPS). Il semblerait que ça change tout ... Du coup, il ne peut plus être question de corruption.

Vendredi soir, dans un café branché du centre de Moscou, le gouverneur Nikita Belykh se fait prendre avec la dernière tranche d'un paiement très spécial se montant en tout à 400 000 euros. Les coupures et le sachet avaient été traités avec une peinture spéciale qui laisse des traces sur les mains lorsqu'on la touche. Les traces sont sur les mains de N. Belykh.

L'affaire est somme toute très banale. Le business du bois est très rentable en Russie, quoi que pas forcément pour le budget. La région de Kirov, dirigée par N. Belykh, est une des régions où cette activité commerciale est fleurissante, on se souviendra à cet égard de la condamnation de Navalny liée justement à l'entreprise régionale de coupe de bois Kirovles, alors que celui-ci était justement conseiller de N. Belykh. Pour autant, ces deux affaires ne sont pas liées, comme l'affirme le Comité d'enquête.

Non, il faut regarder ailleurs. N. Belykh devient gouverneur en 2009 et ce n'est pas la première fois que le business du bois l'éclabousse. En juin 2015, Laritsky, qui dirigeait des entreprises de coupe de bois dans la région, avait obtenu des crédits pour moderniser les appareils et développer le traitement du bois, par ailleurs ils avaient reçu en bonus est hectars de forêts. Rien n'a été fait, mais le bois a été coupé comme avant et revendu tel quel à un prix très loin de celui du marché. Laritsky fut arrêté pour escroquerie, il est en prison. Entre temps, en 2013, ces entreprises ont été revendues à un allemand, qui a fait la connaissance de N. Belykh par l'intermédiaire de ce fameux Laritsky.

Finalement, l'investisseur allemand s'est adressé au FSB affirmant que N. Belykh demandait de l'argent pour "protéger" les intérêts de ces entreprises. C'est ce qui a permis de lancer l'opération de marquage des billets qui se sont retrouvés dans les mains du gouverneur.

Lors de son émission analytique hebdomadaire, D. Kisselev pose très bien la question: est-ce parce que ce gouverneur est libéral qu'il doit être traité différemment?

N. Belykh reconnait avoir reçu l'argent, après que la peinture soit apparue sur ses mains, mais il déclare que ce n'est pas pour lui, qu'il s'agit d'un don pour le développement de la région. Don donné dans un sachet plastique, en liquide (ici 100 000 euros) dans un bar de Moscou. Le donateur n'a pas de compte bancaire ou bien la région de Kirov n'a-t-elle pas de banques? Pas de reçu, pas de contrat, rien. Etrange donation ... Difficile à croire.

Immédiatement toute la bulle libérale s'enflamme. La première à réagir est Elena Panfilova, vice-présidente de Transparency International Russie, déclare sur les Echos de Moscou:

"Il y a de la corruption dans toutes les régions, a déclaré Elena Panfilova, vice-présidente de Transparency International aux Echos. Selon ses paroles, l'arrestation de Belykh n'est pas liée à la corruption"

Est-ce qu'ils réalisent ce qu'ils écrivent? L'enchaînement des phrases est très significatif. Pas d'explication du pourquoi. L'impossibilité est a priori. Pas Belykh, parce qu'il appartient à notre clan, presque à notre meute, la réaction ressort quasiment du réflexe animal.

Ce que confirme le très libéral journal financier Vedomosti en titrant:

L'arrestation de Nikita Belykh est un coup porté aux libéraux et renforce les positions des silovikis (note - ce qui correspond aux forces pro-étatiques, conservatrices)

N. Belykh est le troisième gouverneur tombé en une année dans le cadre de la lutte contre la corruption. Etrangement, lorsque les deux autres gouverneurs, ceux de Sakhaline et des Komis ont été arrêtés, Vedomosti n'a pas titré "un coup porté aux silovikis". 

Il faut dire que ces gouverneurs n'avaient pas eu le privilège de faire partie des fondateurs et dirigeants du parti Les Forces de Droites (1999-2008) qui a eu l'honneur de regrouper l'élite libérale, comme les "réformateurs" des années 90 (Khakamada), ceux qui sont partis dans le business d'état (Tchubaïs - Rosnano), ceux qui défendent les intérêts du business (Titov - Ombudsman des entrepreneurs), les radicaux de l'opposition devenus marginaux (Nemtsov, Gozman) et bien d'autres constituant la colonne vertébrale de cette bulle néolibérale.

Il n'est donc pas étonnant de voir Tchubaïs immédiatement réagir sur son Facebook, prenant la défense de N. Belykh, mais tout en douceur, la pente est glissante. En substance: 

mon ami a des problèmes, les enquêteurs sont certains qu'il est corrompu, mais lui ne reconnaît pas cette corruption, j'ai du mal à croire qu'il puisse être corrompu, mais attendons de voir ce qui arrivera.

 Parmi ses amis, qui sont cités comme "experts" par Vedomosti, la réaction est unanime: 

C'est impossible, le schéma est trop simple, il n'aurait jamais pris de l'argent comme ça devant tout le monde, en public dans un café. En général, il suffit d'ouvrir un Fond et d'y faire verser l'argent.

Il semblerait, à lire les réactions (ici sont cités Chokhine - patron des patrons, Gozman - ex membre du parti, V. Ryjkov - Parnas, etc) que ce n'est pas tant le fait de prendre l'argent qui surprend "l'élite" libérale", mais la manière dont cela a été fait. Quelque uns, toutefois, estiment que N. Belykh, bénéficiant d'une très forte protection du clan libéral et de Tchubaïs en particulier, a perdu le sens des réalités.  

En attendant N. Belykh a été déféré devant le juge et sa détention préventive fut prononcée jusqu'au 24 août.