Publications

vendredi 10 mars 2017

Les "groupes de la mort": repenser notre rapport à internet est une urgence



Des "groupes de la mort" ont été créés en Russie incitant les adolescents au suicide, en prenant petit à petit contrôle de leur esprit. Au minimum, 130 morts à leur actif en moins d'un an et 3 millions de pages sur Vkontakte ayant un hashtag lié au suicide. Certains organisateurs ont pu être arrêtés, d'autres continuent. Et les "Baleines bleues" arrivent en France. Au-delà d'une réponse pénale, n'est-il pas temps de repenser notre rapport à internet? Le réel est bien plus intéressant et riche que le virtuel.


C'est le journal Novaya Gazeta qui a attiré l'attention de la société et des organes publics sur l'ampleur de la catastrophe qui touche la société russe: les groupes sur les réseaux sociaux incitant les enfants au suicide. Dans une grande enquête publiée le 15 mai 2016, l'on apprend que, au minimum, 130 adolescents se sont suicidés en Russie entre novembre 2015 et avril 2016.

Les mécanismes d'incitation au suicide ont pris des allures presque industrielles. Des groupes sont créés sur le réseau social très à la mode en Russie VKontakte sous des appellations diverses et innocentes et les jeunes sont incités à réaliser des challenges, tout d'abord innocent, mais qui montent en intensité: mettre un hashtag je suis dans le jeu, dessiner une baleine bleue, résoudre des algorythmes ésotériques, puis se scarifer les mains et finir par se pendre ou se jeter dans le vide. Le Courrier de Russie a publié un excellent article en français reprenant les informations de la presse russe à ce sujet et montre le côté viral de ce phénomène chez les adolescents.

L'enquête de Novaya Gazeta démonte les mécanismes de "mise en condition". Le symbole est devenu Rina, cette jeune fille de Sibérie qui a changé son nom pour prendre celui-ci est s'est faite décapiter par un train en Sibérie. Sa photo est devenue un symbole pour les adolescents. Plus de 1500 groupes sur VKontakte. L'administrateur de ce réseau social a lancé début 2016 une vaste opération de monitoring et a trouvé plus de 3 millions de message contenant un hashtag lié au suicide. Des mesures ont été prises. Les auteurs ont été contactés individuellement. Il leur a été demandé pourquoi ils mettaient ça en ligne. Selon la réponse, leur page fut temporairement ou définitivement fermée, lorsqu'ils apparaissent comme victime, ils furent orientés vers un soutien psychologique. Par ailleurs un bouton spécial a été mis en place pour prévenir de tout contenu inadéquate.

En novembre 2016, un des organisateurs de ces groupes, Philipp Lis, a été arrêté et est actuellement incarcéré pendant que l'enquête se poursuit. Il a à son compte la mort de 15 enfants et 5 tentatives.  Il n'a que 21 ans. Dans différentes régions de Russie, des "administrateurs" sont interrogés, pour l'instant en tant que témoins. 

Un groupe particulièrement dangereux, la Baleine bleue, incite les enfants à se lever à 4h20. Ce qui peut paraître innocent, mais permet de les mettre en manque de sommeil et de renforcer leur vulnérabilité. Surtout qu'ils doivent ensuite regarder des vidéos spéciales, écouter de la musique. C'est un conditionnement mental. Puis le décompte de 50 jours se met en marche et les challenges sont de plus en plus important, ils sont "validés" et l'enfant est sous la pression de la communauté. S'il refuse, il reçoit des menaces. Ce jeu morbide arrive en France et la police nationale a déjà prévenu de ses dangers. 

Sur Instagram aussi, plus de 45 000 post contenaient des hashtags contenant les mots liés à ces groupes de la mort. L'on y retrouvait les réveilles-moi à 4h20, des photos de bras avec des baleines artisanalement tatouées, des mains blessées etc.

Pour autant, ce jeu morbide n'est pas le seul. Il existe une tendance à utiliser les réseaux sociaux à des fins de manipulations. Conduire l'individu à se détruire, partiellement comme avec Salt and Ice Challenge, qui lui vient des Etats Unis, à mettre sa vie en danger comme ce défi lancé aux enfants russes de traverser les rues à la barbe des voitures par le "jeu" Cours ou meurs, ou l'incitation directe au suicide.

Mais d'où vient ce phénomène? L'on aurait pu penser qu'il s'agit d'un problème intérieur russe, si justement ce Bleu Whale Challenge n'exitait aussi dans l'espace post-soviétique (Kazakhstan Kirguisie ...) et maintenant il arrive en France. Des enfants meurent, des organisateurs locaux, d'une vingtaine d'année sont arrêtés ou sous surveillance, déclarent qu'il ne s'agit que d'un jeu ... qui est allé trop loin. Mais est-ce vraiment un jeu, même morbide? Vue l'ampleur, ce peut aussi être une arme.Une arme de manipulation massive.

Les autorités réagissent, le législateur russe est en train de discuter d'un renforcement de la responsabilité pénale pour les responsables de ces groupes, mais les autorités seules ne sont pas aptes à lutter contre ce mouvement. Il nous faut absolument repenser notre rapport à la technologie en général et à internet en particulier.

Le développement technologique présenté comme une révolution permettant la libération de l'homme de ses contraintes objectives conduit à une aliénation. Sans même parler des problèmes d'atteinte à la liberté liée à la surveillance générale dont nous faisons l'objet, illégalement avec les CIA ou légalement avec toutes les informations que nous donnons de nous-même en ligne, nous assistons à la transformation de ces outils en une "arme" qui se retourne contre nous-mêmes.

Et les adultes sont en partie responsable. Pourquoi donner des téléphones connectés à internet aux enfants? Pourquoi normaliser le tchat chez les ado et même chez les enfants? Mettre l'enfant tout d'abord devant l'écran de la télé pour qu'il ne pleure pas, ensuite avec une tablette dans les mains pour qu'il laisse nous tranquille et ensuite se demander où est passée la communication, lorsque d'un coup l'on sort la tête du sac. De cette manière, les enfants sont devenus particulièrement vulnérables, ils ont été déconnextés du monde réel, se renferment sur eux-même parce que le monde des réseaux sociaux est extrêmement violent et l'est en toute impunité. Ils se trouvent au milieu de "faux" amis oubliant qu'il peut en exister de véritables. Ce n'est pas qu'un monde virtuel, c'est un monde trompeur, destructurant au moment où les individus forment leur personnalité.

Vous avez remarqué ces tablées de "jeunes adultes", tous assis autour de la même table, ne parlant peu ou pas ou simplement pour commenter ce qui se passe sur l'écran de leur IPhone? L'on pourrait en rire si ce n'était en fait angoissant.

Les parents ont créé ce problème, eux-mêmes, parce que "tout le monde" utilise ces gadgets, parce que c'est "tellement pratique", parce qu'il "faut vivre avec son temps". Dans ce cas, nous avons créé un monde particulièrement dangereux et vicieux. Est-ce réellement ce monde dont nous avons besoin? 

NON


2 commentaires:

  1. "Repenser notre rapport à internet est une urgence…"
    Oui vous avez totalement raison mais il serait préférable de repenser notre rapport à la vie au préalable.
    Pourquoi ne montrer que les côtés obscurs d'internet ? Pour amener à renforcer la censure légale ainsi que l'officieuse ?
    Pourquoi ne pas mettre en évidence que la seule cause réelle profonde est tellement ancienne qu’ elle s'est perdue dans les fantasmes de possession matérielle. La seule cause est le manque d'amour dans les rapports familiaux et si les enfants d'aujourd'hui peuvent être fascinés par la magie d'internet c'est parce que leurs parents l'ont été avant eux par la magie de la consommation à crédit.
    Celle qui prive le futur de sa présence puisqu'il est déjà consommé au présent.
    Que reste-il comme futur aux enfants de ces parents-là ?
    Une même force magique et celle-là est pire encore que celle qui a fasciné leurs parents. Celle-ci ne fait appel qu'à l’imaginaire en proposant des quêtes dont le but est inaccessible puisque dans l’imaginaire le crédit n’a plus court. Dans l’imaginaire tout devient possible, il s’agit d’une quête sans but parce que sans limite accessible.
    La mort peut inconsciemment présenter l’intérêt d’une telle quête par l’image fascinante qu’elle procure en tant que limite ultime aux enfants fragilisés.
    Tant que l’on ne mettra pas plus d’énergie à repenser notre rapport à la vision matérialiste de l’existence, tant que l’on n’osera pas remplacer les gadgets électroniques par la présence affective, par les jeux partagés, par les histoires racontées le soir avant le sommeil, tant que l’amour humain restera étranger aux enfants, il n’y aura pas de rapports familiaux permettant aux enfants de devenir des adultes authentiques. Tant que les parents vivront à crédit leur vie entière.
    Il serait peut-être temps de replacer les choses dans l’ordre.
    Alors NON les adultes ne sont pas en partie responsables! Ils sont TOTALEMENT responsables. Il est inutile d’attendre d’instances étrangères à nous-mêmes qu’elles se dotent de facultés transformatrices que nous ignorons en nous-mêmes.
    Mais je conviens que ça peut paraître plus difficile à accomplir que de se plaindre et toujours demander plus de coercition pour combattre le côté sombre de la force. Le noir ne combat pas l’ombre, il la renforce.

    RépondreSupprimer
  2. Je me sers beaucoup d'Internet et j'y suis venue très tard, avec de solides anticorps culturels, je conçois que des enfants à la cervelle piratée dès leur plus jeune âge soient sans défense devant les suggestions. quand on m'amenait un enfant de 3 ans à l'école en m'annonçant triomphalement qu'il savait se servir d'un ordinateur, je déconcertais les parents en leur demandant s'il savait se servir d'un crayon, d'une paire de ciseaux et s'habiller tout seul. Contrairement à l'idée reçue, l'ordinateur ne développe pas l'intelligence, ce qui la développe, c'est d'utiliser ses mains, son corps, ses perceptions, et de communiquer directement avec les autres, notamment par un travail collectif motivant ou des activités créatives communes, dans un esprit affectif et tribal. Notre société mutile profondément les gens, je le pense depuis longtemps, en voici une preuve supplémentaire, et je rêve parfois que survienne quelque chose d'analogue à la disparition de tout lien électronique, comme dans le roman de Ioulia Voznessenskaïa Путь Кассандры, или Приключения с макаронами. Ce serait la fin du monde, ce monde vaut-il encore la peine d'être sauvé?

    RépondreSupprimer

L'article vous intéresse, vous avez des remarques, exprimez-vous! dans le respect de la liberté de chacun bien sûr.