Nous avions parlé il y a quelques jours de cette décision surprenante de la CEDH concernant l'obligation de versement par l'Ukraine des retraites aux habitants du Donbass (voir notre texte ici). La Cour avait très hypocritement conclu que vues les circonstances, l'Ukraine avait fait tout ce qu'elle pouvait en instaurant une juridiction en dehors de la zone qu'elle ne contrôlait pas militairement et que les habitants du Donbass, cette fois-ci sans tenir compte pour eux de la réalité du conflit, pouvaient sans difficultés se déplacer et obtenir justice devant les juridictions ukrainiennes et satisfaction devant les administrations ukrainiennes.
Puisque derrière le droit, et encore plus en ce qui concerne des décisions de justice, il y a des hommes et des femmes, des destins brisés, des souffrances et des espoirs, je me suis adressée à Mme Natalia Tkatchik, l'avocate qui a représenté une partie des plaignants. Notamment sa mère. Voici son histoire. Une histoire que la CEDH n'a pas voulu entendre. Une CEDH qui semble elle aussi être devenue partie prenante au conflit.
Non, ni l'avocate ni la plaignante ne peuvent se déplacer, car N. Tkatchik est dans la base de données ukrainienne Mirotvorets, en faisant une terroriste. Non, les gens n'obtiennent pas toujours les documents des administrations ukrainiennes. Et les déplacements ne sont pas toujours sans risque. Physique.
Je m'appelle Natalia Andreevna Tkatchik. Toute ma vie, je l'ai passée dans ma ville, Donetsk. J'y ai terminé la faculté de droit, j'y ai pratiqué comme avocate indépendante du Barreau ukrainien et à partir de 2016 comme avocate au Barreau de la République populaire de Donetsk.
Toute ma vie j'ai habité à Donetsk. Et ma mère aussi. Le conflit armé n'a rien pu y changer, pourtant nous habitons le quartier de Petrovsk, très fortement touché, qui est devenu une zone de front avec l'intervention militaire ukrainienne en 2014. La question du départ s'est naturellement posée, et tout aussi naturellement a été écartée. Ma mère a catégoriquement refusé de quitter la terre qui l'a vue naître, la terre où reposent ses parents, où repose son mari, mon père. Comment quitter sa terre? Sa Patrie, sa terre natale?
Je suis restée avec elle. En 2015, je me suis adressée au ministère de la Justice de DNR pour obtenir le droit d'exercer la profession d'avocat dans la République. A ce moment-là déjà, dans les médias ukrainiens et dans les réseaux sociaux, les avocats qui restaient dans le Donbass et décidaient d'y exercer leur métier étaient considérés comme des séparatistes. Je suis alors entrée dans la tristement célèbre base de données ukrainiennes Mirotvorets, qui regroupe les "ennemis" de l'Ukraine post-Maïdan.
Comment s'adresser à la justice ukrainienne? Comment m'adresser aux administrations ukrainiennes pour obtenir les certificats nécessaires. Dès l'automne 2014, les organes de justice et les services postaux ukrainiens ne fonctionnaient plus. Je ne peux pas me déplacer en Ukraine, sans mettre en danger ma sécurité et celle de ma famille.
En septembre 2014, l'Ukraine a cessé de payer les pensions de retraite et les aides sociales aux personnes résidant dans le Donbass. Je suis moi-même une invalide du deuxième groupe, j'élève seule mon fils après la mort de son père. Théoriquement, j'ai également droit à une pension d'invalidité et à des aides sociales pour mon fils. Mais ces paiements ont également cessé en 2014 et je n'ai pas pu obtenir les certificats nécessaires avant que les organes compétents ne cessent de fonctionner. Ma mère, elle, heureusement, a réussi à obtenir le certificat confirmant son droit à une pension et le non-paiement de cette pension.
J'ai donc eu la faiblesse de croire qu'il était possible de s'adresser à la CEDH, puisque l'accès aux juridictions ukrainiennes est impossible pour nous. En raison du conflit, il m'a été extrêmement difficile de transmettre ce recours à la Cour. J'ai dû passer par l'intermédiaire d'amis en Ukraine, qui l'ont déposé. Lorsque la Cour européenne a accepté le recours, mes amis qui ont reçu la lettre m'en ont fait passer une copie par internet, l'espoir est revenu. Le juge européen allait nous rendre justice, puisqu'à la différence de l'Ukraine il existe réellement une justice européenne. Lorsque nous avons été débouté, le choc a été rude.
Nous avons alors compris que la justice européenne commençait à prendre des décisions non pas fondées en droit, mais en vue de la défense de certains intérêts politiques. Et l'Ukraine en a profité pour déclarer qu'elle était libérée de l'obligation de payer les pensions de retraite aux résidents du Donbass.
Pour autant, je m'apprête à faire appel de cette décision. Cette fois-ci, il va être encore plus difficile de passer par des amis ukrainiens pour transmettre le recours. Il faudra trouver des relais en Russie. Etant toujours sur le site Mirotvorets, mes proches et moi-même ne pouvons passer en Ukraine sans danger réel pour notre sécurité. Il est vrai que l'intermédiaire de certaines organisations, comme la Croix Rouge ou l'OSCE pourraient nous aider ...
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Personnellement, je suis curieuse de voir l'argumentation de la décision d'appel, enfin si la Grande Chambre accepte de réexaminer le recours, ce qui est loin d'être évident. Car comment justifier en droit une telle décision, qui n'a plus grand-chose à voir avec la justice?
Il n'y a pas grand chose à espérer d'organismes inféodés à l'UE, inféodée à un Empire inique, mais ce genre de démarches et leur triste conclusion peut peut-être ouvrir les yeux de ceux qui se bercent d'illusions sur l'Europe et sa démocratie...
RépondreSupprimerLe "droit" sert à présent d'instrument pour la politique (du mensonge). Un autre exemple https://francais.rt.com/france/48413-mise-examen-marine-pen-pour-diffusion-photos-daesh
RépondreSupprimerIl n'y a rien à espérer de la CEDH, pas plus que de l'ONU ou de n'importe quelle instance internationale, dans ce monde tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Les étasuniens chapeautent tous ces machins et font absolument ce qu'ils veulent.
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