Les errances de la société américaine pourraient nous faire sourire, si elles n'étaient le paroxysme des tendances destructrices qui s'emparent de nos sociétés spectacles occidentales. Comme le démontre cette farce de pseudo-justice politique qui est montée à l'occasion de la nomination par Trump du juge conservateur Brett Kavanaugh à la Cour suprême. Qui peut être contre le viol? Qui peut être contre les agressions des femmes? Qui peut être contre l'exemplarité morale et éthique des magistrats? Mais quand toutes ces bonnes idées deviennent une caricature d'elles-mêmes à travers l'image d'une femme accusant sans l'ombre d'une preuve un futur magistrat (trop conservateur) de l'avoir agressée plus de trente ans plus tôt, sans se souvenir ni où ni quand, sans même un seul témoin et que tout ce cirque est pris au sérieux, où les têtes sont déjà tranchées sur le bucher médiatique, c'est le fondement même de notre société qui chavire. Christine Ford ou la théorie du chaos moral.
Ainsi, après plus de trente ans, Christine B. Ford, professeur de psychologie, apprenant la possible nomination de Brett Kavagaught à la Cour suprême, commence à raconter son histoire, celle d'une tentative de viol à une soirée de lycée ou d'étudiants (ce n'est pas clair), dont elle ne peut préciser ni la date, ni le lieu, où aucun témoin n'a jamais entendu parler de la scène, où ses amis disent ne pas connaître Brett Kavanaugh, mais qui est pourtant accusé par toute la presse.
Jusque-là, pourtant, nous avions l'image d'une femme épanouie, internet n'a pas été totalement nettoyé:
Mais cette image inapropriée veut être remplacée dans l'inconscient populaire par celle plus adaptée à une victime, où le bourreau doit être agressif - et la photo est devenue virale:
Il est vrai que sur le fond il n'a pas grand-chose à dire, surtout que le mouvement Me Too a eu de la chance avec cette affaire pour relancer les affaires, mises à mal dernièrement avec l'apparition de femmes prédatrices de jeunes viandes. C'est l'occasion rêvée, Kavanaugh est condamné sur le tribunal médiatique, les déclarations d'accusation sont suffisantes, avant même l'audition. Les manifestations sont organisées, le show peut reprendre.
A l'audition, Christine Ford raconte une histoire émouvante.
A 15 ans, elle va dans une soirée, elle boit une bière, Kanavaugh et un de ses amis ivres lui tombent dessus quand elle entre à l'étage dans la salle de bain, la poussent dans la chambre en face. Ivre, Kanavaugh n'arrive à rien qu'à la tripoter, en plus elle porte un maillot de bain une pièce sous ses vêtements (sic), l'ami de Kavanaugh saute sur le lit (sic) et la deuxième fois suffisamment fort pour les faire tomber du lit. Elle en profite pour se sauver dans la fameuse salle de bain et attend qu'ils partent en riant, pour en sortir et quitter cette maison de malheur, qui a marqué toute sa vie. Et dont elle ne se souviendra pas ...
Vous alliez souvent à des soirées avec un maillot de bain une pièce sous vos vêtements??? C'est quoi de chimpanzé qui saute sur le lit??? Peu importe ...
Si elle se souvient parfaitement du maillot de bain (ce devait être une habitude alors ...) et affirme reconnaître Kavanaugh, elle est incapable de dire où cela se produisait, ni à quelle date, bref, une soirée comme les autres. En maillot. Ses amis ne se rappellent rien non. Mais l'absurdité des déclarations ne choque personne. Il est même interdit de s'interroger. Une femme est en danger, voyons, un peu de sérieux. On ravale le sourire narquois, on redescend le sourcil dubitatif, on passe à un encéphalogramme plat, comme la ligne bleue des Vosges.
Evidemment, tout le monde doit la croire sur parole (de toute manière il n'y a aucune autre raison ...), car l'histoire est émouvante. Ne pas y croire est inadmissible, comme de sénateur qui remet les choses à leur place et est largement attaqué dans la presse pour cela:
"C'est une gentille femme, qui est venue raconter une histoire très dure, mais sans aucune preuve pour l'étayer. Point. Sur la base de ce que j'ai entendu aujourd'hui, on ne pourrait pas obtenir de mandat de perquisition ou de mandat d'arrêt. Parce qu'on ne nous a donné aucun lieu, aucune date, aucune preuve"
Il s'agit bien de croyance, de cette nouvelle religion sociale. Alors comment ose-t-on dire une chose pareille? Au tribunal des bonnes âmes, fi des preuves et des procédures, c'est le règne de l'émotion. L'émotion, orientée, dirigée, dosée. L'émotion des bonnes âmes, confortablement installées dans leurs certitudes, loin des doutes inconfortables qu'implique un minimum de réflexion.
Et puis de toute façon cet homme est absolument infréquentable: blanc, marié à une femme, croyant, conservateur. Homme. Bref, le type même à abattre. Alors la presse s'en charge et les idiots utiles se mettent à l'oeuvre.
Nous vivons une époque merveilleuse où la justice est rendue devant caméra et dans la rue, sans procédure, sans droits de la défense, où le coupable est accusé avant l'enquête, où en fonction de l'accusé, de sa couleur de peau, de sa religion, de ses convictions il est possible de l'accuser de tout sans preuves ou il est obligé de se taire et de ranger les preuves. L'émotion à la place de la raison.
La société du spectacle. C'est aussi la société du non-droit. Le processus de barbarisation, de subjectivation à l'extrême. Le chaos moral.
Les USA renouent avec les racines de sa civilisation, le western? on pend d'abord, on jugera ensuite. L'avocat de Lucky Luke demande à être payé avant sa pendaison. ce que vous écrivez est dans les bandes dessinées.
RépondreSupprimerje suis totalement d'accord avec vous.
RépondreSupprimerPour être convaincu de la culpabilité de quelqu'un, aujourd'hui, particulièrement dans les pays anglo saxons, nul besoin de preuve, une forte probabilité est largement suffisante pour déchaîner, contre la personne ou le pays que l'on accuse, la vindicte des médias, de la justice, des politiques. Je ne peux m'empêcher de penser à l'affaire Skripal. Nous vivons une époque de régression terrible.
RépondreSupprimerBullshit...she is telling a lesson to get money
Cette histoire est aussi peu crédible que possible. Une fille de quinze ans qui boit de l'alcool chez des particuliers sans aucune surveillance parentale, et cela dans l'Amérique pudibonde…!
RépondreSupprimerC'est American Pie 1,2,3,4 ou 5? Mais en moins drôle, de toute manière ça revient grosso modo au même...
SupprimerLecture jouissive, c’est terrible plus besoin de crédibilité ni de preuves, vomit suffit.
RépondreSupprimerExcellent Karine. On ne peut faire plus sordide dans le genre.
RépondreSupprimerThis blog was... how do I say it? Relevant!! Finally I have found something that
RépondreSupprimerhelped me. Many thanks!
Avant de lire l'article ci-dessus j'avais seulement regardé une courte vidéo de RT France sur cette affaire. J'avoue que les extraits des auditions de ces deux andouilles m'ont bien amusé, en particulier un passage où le lascar raconte en larmoyant que sa fille de dix ans a prié POUR l'accusatrice... La pureté de la pieuse enfant contre les délires de la mythomane : trouve-t-on plus délectables âneries ailleurs au monde ? " This is a unique, exceptional country " disait Mike Pompeo...
RépondreSupprimerIl se trouve que j’ai toujours été jusqu’ici d’accord avec les analyses de ce blog : à la fois avec la vision qui y est inlassablement mise en œuvre et les exemplifications qui y sont proposées. Lorsqu’elles ne me sont pas directement accessibles par le biais de mon expérience personnelle ou d’un témoignage complémentaire, elles brillent par leur sens commun (ou bon sens), leur cohérence et leur applicabilité.
RépondreSupprimerIl n’est pas nécessaire de rappeler aux lecteurs l’état de destruction (de déréliction) du tissu social US-américain et, plus particulièrement, l’exploitation systématique des émotions privées là où un débat rationnel devrait orienter la sphère publique. C’est d’autant plus remarquable que Tocqueville (1835), Debord (1967) et bien d’autres, ont rapidement percé le code de cette nouvelle forme d’aliénation capitaliste.
Cela étant dit, les propos ci-dessus manquent cruellement de discernement clinique. Il n’est pas nécessaire de reprendre ici une analyse qu’on retrouve, par ex. dans _Pouvoir, sexe et climat. Biopolitique et création littéraire chez G. R. R. Martin_ (2017) : la question fondamentale est celle du mécanisme de défense dissociatif qui s’active lors d’un trauma. Il peut être résumé par toute une série de privations qui vont rendre difficile, voire impossible de rendre compte des faits de manière rationnelle et empirique, comme on peut le faire lors d’un accident qui n’est pas traumatique. La victime est privée de son entendement, de ses sensations, de sa mémoire, de son jugement… Il ne lui reste qu’un sentiment effroyable tissé de honte et de culpabilité. En somme, et pour le dire de manière caricaturale, le fait qu’il soit difficile de préciser les circonstances exactes et que tout semble incohérent, éparpillé, constitue la _preuve_ du traumatisme, pas l’inverse !