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lundi 10 septembre 2018

Russie: Le recul significatif du parti dominant Russie Unie aux élections locales est un signal



Ce dimanche 9 septembre se sont tenues les élections locales dans 80 des 85 régions de Russie. Dans certaines, des députés à la Douma d'Etat ont été élus, d'autres ont choisi leur gouverneur (au scrutin direct ou indirect selon les cas), leurs assemblées locales, des maires et des conseils municipaux. Si le parti au pouvoir, Russie Unie, reste encore dominant, un net recul se fait sentir: il perd 3 assemblées régionales et 4 gouverneurs sont au deuxième tour, sans compter la baisse générale des résultats. Ce qui est un signal fort dans un système aussi centralisé: la politique néolibérale soutenue par le Gouvernement et Russie Unie commence à provoquer des remouds populaires.


Les résultats intermédiaires des élections du 9 septembre 2018

Les députés de la Douma d'Etat

Dans 6 régions, les électeurs ont choisi leurs députés à la Douma d'Etat, avec un taux de participation moyen de 30%. Ces élections sont celles qui ont produit le moins de surprises. Si Russie Unie (RU) garde la main, l'on ne peut pas dire que les résultats soient extraordinaires:
  • Région d'Amour: A. A. Kouzmine (LDPR) 31%; T. A. Rakoutina (PC) 29% - pas de candidat RU.
  • Région de Kaliningrad: A. G. Yarochuk (RU) fait environ 40%, suivi du communiste I. A. Revine (PC) à 22%. 
  • Région de Nijny Novgorod: D. B. Svatovsky (RU) 47%, N. P. Riabov (PC) 22%.
  • Région de Samara: A. E. Khinchtein (RU) 57%, M. A. Abdalkine (PC) 14%.
  • Région de Saratov (2 députés): O. N. Alimova (PC) 46 %, D. S. Pianykh (LDPR) 16% - pas de candidat RU, et E. A. Primakov (RU) 65%, E. V Chalina (Communistes de Russie) 12%.
  • Région de Tver: S. A. Veremeenko (RU) 36%, V. S. Soloviev (PC) 21%.
Les deux gros scores de députés appartenant à Russie Unie viennent des deux grandes figures du Parti, Primakov et Khinchtein. Pour les autres, les scores sont moyens. S'ils n'ont pas été officiellement battus, puisque des candidats d'autres partis ont pu accéder à la première place lorsqu'il n'y avait pas de candidat RU, leurs résultats sont mitigés.

Les assemblées locales

Tous les résultats ne sont pas encore tombés, mais certains éléments montrent un retrait surprenant de Russie Unie et une remontée des partis d'opposition dans les régions. 

Même si le Parti du pouvoir reste dominant dans les régions, l'on note certains reculs, même là où ils restent majoritaires. Par exemple, dans la région de Tioumen, Russie Unie a obtenu 39%, LDPR 24%, PC 18%, Russie Juste (RJ) 12%. Or, lors des dernières élections de 2013, Russie Unie avait obtenu 56%. La baisse des résultats est significative. Dans trois régions, Russie Unie perd le contrôle des assemblées locales. Il s'agit des régions d'Oulianovskd'Irkoutsk ou de Khakassie, où le PC gagne avec 31%.

Dans différentes villes, par exemple à l'assemblée locale de Veliky Novgorod, les communistes sont en tête: PC 30%, RU 24%, RJ 17%, LDPR 12% et Iabloko 11%. Le PC est également en tête dans les élections des assemblées des villes de Toliatta et Syzrana (région de Samara) au scrutin de liste, ce qui indique une confiance en le parti.

Les élections locales à l'intérieur des régions montrent également un retour de l'opposition. Ainsi, dans la région d'Amour, l'opposition a remporté la plupart des élections des conseils et des présidents des conseils municipaux dans les municipalités de cette région où des élections avaient lieu.

Les gouverneurs

22 régions ont choisi leurs gouverneurs et ici aussi beaucoup de questions se posent autour de la popularité réelle de Russie Unie. Les gros poids, comme le gouverneur de la région de Moscou ou le maire de Moscou sont évidemment passés, mais pas si bien que ça. En ce qui concerne le gouverneur de la région de Moscou, Vorobiev, ses résultats sont en baisse notable avec 62,52%, quand il faisait 78,94% en 2013. La réélection du maire de Moscou Sobianine est une autre histoire et il peut largement remercier les ressources administratives dont il a bénéficié: aucun autre candidat n'a eu accès aux chaînes fédérales qui diffusaient quantité de reportages positifs sur lui, le jour des élections on le voit à l'inauguration de la salle de concert de son parc Zaradié avec Poutine, Medvedev et toute "l'élite" politique, salle qui pourtant avait déjà servi pour le forum d'urbanisme et ne semblait pas nécessiter une inauguration tardive et pour boucler la boucle, en pleine journée électorale, le Président Poutine après avoir voté à Moscou se fend d'une déclaration dithyrambique sur la politique de la ville menée à Moscou ces dernières années qui doit continuer ainsi. Il semblerait que la Commission électorale n'ait rien remarqué, pas d'infraction à l'obligation de silence médiatique ce jour-là. Avec difficulté le taux de participation a réussi à atteindre 30% malgré une politique plus qu'incitative au vote. Il faut dire aussi que les bureaux de vote étaient exceptionnellement ouverts jusqu'à 22h. Peut-être par peur de se voir contester cette étrange victoire, ou simplement par goût du pouvoir, Sobianine s'est empressé de déclarer, avant le prononcer des résultats officiels, sa victoire. Les exits poll lui donnaient en effet près de 74%. Il a vraiment fallu sortir l'artillerie lourde.

Mais les surprises ne s'arrêtent pas là. Il est déjà évident que pour quatre régions, il faudra un second tour. Dans les Primoriés, à Khaborovsk, en Khakassie et dans la région de Vladimir, les gouverneurs portés par Russie Unie n'ont pas pu obtenir de majorité et doivent repasser devant les urnes le 23 septembre.  Pourtant, certains d'entre eux avaient bénéficié d'une mise en place soutenue par le Président lui-même, envoyé en première ligne. Tel est le cas pour le gouverneur des Primoriés. L'ancien gouverneur avait été démis de ses fonctions et le nouveau, Tarassenko, nommé par intérim, bénéficiant ainsi de tout le soutien fédéral nécessaire. Il n'a pu pour autant dépasser les 46,57%, quand son concurrent, sans ressources administratives, A. Ichenko (PC) a fait 26,64%. Dans la région de Vladimir, la gouverneur sortante Orlova, qui s'était faite remarqué lors de la ligne directe avec le Président pour sa morgue soviétique, a de la peine à dépasser les 30%. Avec 36,42%, elle se fait talonner par son concurrent LDPR V. Sipiaguine qui obtient 31,19%. Dans la région de Khabarovsk, le candidat RU V. Chport actuellement en poste, est à 35,62%, se faisant dépasser sur le poteau par le candidat LDPR S. Fourgal à 35,81%. Dans la république de Khakassie, c'est le candidat communiste qui marque la distance. Avec 44,81%, V. Konovalov (PC) a de bonnes chances au deuxième tour face au candidat RU et gouverneur en poste V. Zimine qui a obtenu 32,42%.

Dans d'autres régions, où le parti Russie Unie a gardé le pouvoir, les résultats sont en baisse. Dans la région d'Ivanovo, le nouveau gouverneur, comme dans les Primoriés, avait bénéficié de tout le poids du soutien présidentiel. Son prédécesseur avait été démis de ses fonctions par oukase présidentiel en 2017, S. Voskrensky a reçu son poste de gouverneur par intérim sur un plateau d'argent et n'a fait "que" 65,72% - quand le gouverneur démis de ses fonctions avait obtenu en 2014 plus de 80%. Dans la région de Tioumen également, le gouverneur par intérim A. Moor a obtenu 65% quand son prédécesseur dépassait lui aussi les 80%.

La baisse significative de Russie Unie dans le pays

S'il reste dominant, le parti Russie Unie subit un recul significatif qui doit le faire réfléchir, avant que la situation ne devienne grave. 3 régions perdues au niveau des assemblées locales et 4 gouverneurs au second tour, ce n'est pas anecdotique pour un système politique aussi centralisé qu'est le système russe. Plusieurs éléments de réflexion peuvent être soulevés, sans être exhaustifs.

Plusieurs réformes menées et passées en force ne satisfont pas la majorité de la population qui, comme l'indiquent régulièrement les statistiques, n'est pas favorable aux politiques sociales et économiques idéologiquement marquées qui sont mises en oeuvre. Ces politiques, que l'on peut qualifier de néolibérales, même si elles sont adoucies par nombre de compromis après intervention ponctuelle du Président, ce qui ne les rend pas plus lisibles et ou plus efficaces mais socialement plus "digestes", font baisser le soutien du parti au pouvoir, dont les membres paient logiquement le prix politique de l'engagement de leur parti. D'une certaine manière, cette bulle politique a voulu gouverner à l'européenne (par la minorité et pour la minorité), elle en perçoit les conséquences.

La technologie politique employée à l'adresse des élections de gouverneurs, voulant préserver l'apparence électorale mais avec la certitude de la nomination, a atteint ses limites. Les élections des gouverneurs ont toujours été assez particulières. Annulées, elles furent rétablies en 2012 après les évènements de Bolotnaya, mais avec méfiance. Vue l'étendue du pays, trop d'autonomie locale, trop de légitimité politique des élites locales, portent en soi les risques d'un éclatement du pays. Une certaine technique de "neutralisation" a donc été développée, mais le très controversé responsable pour la politique intérieur russe à l'Administration présidentielle, S. Kirienko, l'a utilisée avec une vigueur conduisant logiquement à produire des résultats négatifs. Ainsi, au lieu de lancer dans la campagne un candidat neuf et de respecter la durée du mandat électif des gouverneurs en fonction (puisqu'ils sont élus et non nommés), par oukase le Président russe les démet de leurs fonctions un à deux ans avant terme et nomme un remplaçant qui reçoit toute l'aide financière, technique et médiatique nécessaire pour son lancement politique. En général, il passe ainsi facilement les élections. L'on voit aujourd'hui que le schéma fatigue à force d'avoir été utilisé abusivement ces dernières années et la personnalité des nouveaux "managers" -  non politiques - peut aussi jouer son rôle dans cet échec. Lorsque l'on demande aux gens de voter, l'on respecte leur choix. Ces techniques de management que développe à marche forcée Kirienko commence à produire ses effets (politiques) négatifs, car elles sont une négation du phénomène politique.

L'abus de ces méthodes manageriales remet en cause les effets bénéfiques des réformes menées suite à Bolotnaya, lorsque Sourkov a été démis de ses fonctions à la politique intérieure de l'Administration présidentielle et qu'il a été remplacé par Volodine. Le remplacement de ce dernier par Kirienko, qui continue les mêmes méthodes que Sourkov en les employant sans la finesse de son mentor, de manière beaucoup plus primitive, produit les résultats attendus. En soi, le recul du parti dominant, qui ouvre un espace pour l'opposition serait une excellente nouvelle, si ces méthodes n'avaient asséché le milieu politique qui commençait juste à émerger. 

Une réflexion systémique s'impose en Russie, au moment où en Occident l'on voit réémerger des méthodes de gouvernance réelle aux Etats-Unis, en Angleterre, en Italie, où de nombreuses analyses sociologiques remettent sérieusement en cause l'efficacité de ces "nouvelles" méthodes manageriales jugées assez primitives. 

2 commentaires:

  1. Si Poutine accorde un référendum pour régler le problème de l'âge de départ à la retraite, la grogne tombera et Poutine remontera dans les sondages. Mais que se passera t-il lors des prochaines réformes? 70 ans que les russes prennent leur retraite à 55 ans pour les femmes, 60 ans pour les hommes, y a t-il un pays au monde qui applique la même chose?

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  2. Il est temps que Poutine redresse la barre car il n'y a pas que la politique internationale..Qu'il vire Medvedev qui est usé et inefficace et qu'il engage un vrai dialogue avec l'opposition et se défasse du rêve néolibéral destructeur....

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