Non, il ne s'agit pas de Boris Godounov, mais d'une bien plus piètre représentation, Ivan Golounov. Une étrange affaire d'arrestation d'un journaliste d'investigation, qui travaillait à la commande pour des médias dits "libéraux", donc indépendants puisque d'opposition. Seulement, il a été interpellé pour trafic de drogue. Ce que chacun semble oublier, puisque a priori c'est un coup monté. Interpellé le jour où il aurait transmis une véritable bombe sur la corruption à Moscou, avec des noms et des preuves. Toujours pas publiée, la bombe. Pour autant, les pressions sur la justice et les enquêteurs rappellent à s'y méprendre l'affaire Magnitsky. A l'époque, les médias russes n'étaient pas prêts à se jeter contre l'Etat. Ils sembleraient l'être aujourd'hui. Quelques questions autour d'une affaire trouble, où le dindon de la farce n'est pas forcément celui que l'on croit.
Comme chacun le sait, Ivan Golounov, journaliste d'investigation qui a réalisé plusieurs enquêtes pour différents médias dits "libéraux", d'opposition, a été interpellé par la police qui était déjà depuis plus de trois mois sur l'affaire. Il était en possession de drogue, il en possédait à son domicile, il en vendait en boîte de nuit. Il nie les faits, les policiers l'auraient battu et mis la drogue dans son sac, dans son appart de location. Le commissariat du quartier de Moscou en charge a diffusé des photos, dont une seule a été prise au domicile, la mélangeant avec d'autres prises dans des lieux, que les policiers estiment être en lien avec Golounov. Les confusions continuent : un médecin qui a conduit Golounov à l'hôpital a déclaré à la presse qu'il y avait des traces de coups et des risques de fractures des cotes (la presse reprend à loisir cette déclaration), le médecin-chef de l'hôpital où le journaliste a été examiné pendant plusieurs heures n'a rien vu qui justifie une hospitalisation et déclare à la presse avoir des doutes quant aux coups soi-disant portés par les policiers (la presse s'indigne qu'un médecin fasse des déclarations publiques au sujet d'un patient). Golounov aurait demandé à ce que des examens soient réalisés pour prouver qu'il n'a pas de drogue dans l'organisme, mais une fois dans le laboratoire, s'il a donné son accord pour une prise de sang, il a refusé toute analyse de ses ongles et cheveux (qui gardent plus longtemps les traces de consommation de drogue). Devant le tribunal, il a déclaré être innocent, ne pas reconnaître les charges reconnues contre lui, le juge l'a assigné à résidence avec contrôle judiciaire.
Cette affaire est louche, ressemble beaucoup à un coup monté, mais par qui et pour quoi ? Déjà à ce niveau, l'on peut souligner le manque de professionnalisme du commissariat de quartier qui a publié en vrac les photos. Mais y avait-il volonté de tromper ? Il faut enquêter pour savoir. Et le Kremlin a demandé à la Procuratura de comprendre ce qui s'est passé avec les photos. De la drogue a bien été retrouvée sur Golounov et à son domicile, qu'il en consomme ou pas n'y change rien. Et pourquoi avoir changé d'avis au sujet des examens? L'on peut toujours dire que tout a été monté, mais pourquoi? Ce journaliste ne fait pas tant de bruits que cela quand même ... Et dans ce cas, pourquoi ne pas avoir immédiatement publié l'enquête soi-disant sensationnelle qu'il vient de transmettre et en raison de laquelle il aurait été interpellé ? L'affaire aurait été désamorcée.
Au lieu de cela, nous observons un phénomène aussi étrange que désagréable. Le pauvre petit a été battu, mais quelques difficultés avec les traces, notamment des coups de poing donnés soi-disant au visage, lors de l'audience, où il a été filmé sous toutes les coutures :
En revanche, l'on voit se profiler le spectre de l'affaire Magnitsky : en raison de son état de santé, il doit être laissé à domicile. Quel est sont état de santé ? Quelle est sa maladie ? Soit il a été frappé à coups de poing et de pied comme il l'affirme et ça laisse beaucoup de traces (les Gilets Jaunes le savent parfaitement, eux) et il doit être soigné, les policiers écartés et une enquête interne doit mettre un terme à ces crimes rappelant les années 90, soit il n'a rien et la décision du placement doit être prise sereinement par la justice.
Mais point de sérénité ici. Ceux qui sont tellement attachés à l'indépendance de la justice, encore une fois, estiment quelle décision la rendra plus "indépendante" et celle-ci, effectivement, permet à Golounov d'être à la maison. Peut-être sans tout ce cinéma la décision eut été la même, mais alors les bonnes consciences auraient perdu le privilège, justement, de la bonne conscience. Au-delà de cette action organisée de discrédit de la justice et des forces de l'ordre, un autre aspect est lui aussi à souligner.
L'on retrouve dans le même camp des personnalités qui sont, au moins théoriquement, censées représenter des camps idéologiques différents.
Que des journalistes russes travaillant pour la presse anglo-saxonne et d'opposition soutiennent le light motif de leurs chefs, c'est logique. Ilya Barabanov, bel exemple du genre :
"Bientôt 50h qu'un individu absolument innocent se trouve prisonnier de bandits en uniforme, ne sachant que dissimuler de la drogue. Ivan Golounov doit être en liberté".
Evidemment, Golounov a fait trembler tout Moscou, voire Poutine, et rien de plus discret que de lui mettre quelques sachets de poudre pour très discrètement éviter un scandale. La logique est imparable ... et elle marche. Peut-être parce que justement elle est attendue ? Au cas où, d'autres précisent :
Certes, l'on trouve de plus en plus de reportages au 20h révélant des problèmes de corruption et de dysfonctionnement, mais seul un Golounov, très loin des vedettes de l'enquête, a fait tellement peur que vite toutes les polices de Russie se sont jetées sur lui pour le faire taire. Ce qui permet d'en parler. Beaucoup. Et dans des langues très différentes ... Il y a une disproportion qui fait réfléchir.
L'on trouve évidemment nos chers Dupont et Dupont, j'appelle Khodorkovsky et Navalny, les figures bien rentabilisées du combat (contre) en Russie. Pour Khodorkovsky tout est très simple : "Ivan Golounov a de la chance qu'ils soient si stupides". Selon lui, tout s'explique par la stupidité des forces de l'ordre russes. En passant, il laisse avec tout le sérieux du monde sous-entendre qu'il a été incarcéré en raison ... de ses écrits. Cela se passe de commentaire, mais Khodorkovsky fait partie des soutiens du site avec lequel collaborait ces derniers temps Golounov.
Je passerai la série de tweets de Navalny, pour n'en retenir que deux, assez significatifs. Le premier sur l'importance de l'assignation à résidence, qui est a priori une victoire de la rue :
Et le second où Navalny déverse toute sa haine, d'un pouvoir "bestial", d'une Russie "occupée" :
Evidemment, l'ambassade américaine, qui ne s'inquiète pas trop du sort des journalistes en Ukraine ou de la centaine d'années de réclusion qui attend Assange, va prendre l'affaire Golounov sous son contrôle. Logique. En Russie. Sans qu'aucun citoyen américain ne soit impliqué. Normal, ce sont les Etats-Unis. Normal, c'est la Russie.
"Nous nous joignons aux milieux médiatiques et exigeons la libération de Ivan Golounov, une enquête pointilleuse et transparente de cette affaire. Golounov, comme n'importe quel autre journaliste, ne doit pas être poursuivi en raison de son activité professionnelle".
C'est vrai, j'oubliais, les Etats-Unis ne reconnaissent pas la qualité de journaliste à Assange, donc pour lui pas de problèmes.
Bref, que tous ces gens et groupuscules ne croient pas en la capacité des organes de justice et en la police russe, c'est normal ils sont payés pour ça. C'est leur travail de faire en sorte que personne n'y croit. Ce qui est plus surprenant, c'est de trouver un soutien de la part de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, avant même la comparution de Golounov devant la justice. Participant donc à ce mouvement de pression et de discrédit. Certes sur sa page Facebook. Certes à titre personnel. Mais elle est en fonction et s'exprime publiquement. En faisant attention, puisqu'elle soutient Andrey Medvedev, le journaliste russe du service public, qui lui soutient Golounov :
Un grand journaliste ce Golounov, un grand reporter ... Donc, il n'est même pas envisageable que la police ne soit pas vendue, que la justice ne soit pas perdue. Qu'il ait vendu de la drogue à ses confrères, non pardon, à d'autres, depuis son appart de location. Et cette attitude quelque peu surprenante vient de personnes qui sont censées ne pas jouer contre la Russie, ne pas être contre l'Etat en tant que tel. Par ailleurs, ce journaliste du groupe public VGTRK, sur sa page Facebook, sort un texte particulièrement émotionnel, mettant sur le même pied Golounov et ses sachets de drogue, Vychinsky arrêté en Ukraine pour haute trahison en raison de ses publications et risquant sa tête, les journalistes russes tombés à Lougansk. Il est difficile de faire plus absurde. Un peu de calme et de contrôle seraient le bienvenu, laissant la justice fonctionner avant de s'emballer - à moins que tous ces gens déclarent simplement qu'ils n'ont strictement aucune confiance dans le système judiciaire russe. Et qu'ainsi ils tombent le masque de leur "patriotisme" conformiste.
Une autre intervention oblige aussi à s'arrêter un instant. Celle de Margarita Simoniane, à la tête de Russia Today.
"Ce qu'il faut faire immédiatement, c'est libérer Golounov sous assignation à résidence.
En tenant compte de son état de santé. Et en principe.
Ensuite alors présenter les preuves à la société - si elles existent.
Pour qu'il puisse attendre la fin de cette affaire non pas dans une cellule qui pue, mais au moins à la maison"
Tout d'abord, je me suis demandée, comme pour Zakharova, si le compte n'avait pas été piraté. Mais non. Et pourquoi ne libérer que Golounov, parce que c'est un des siens? Les autres peuvent être dans des "cellules qui puent". Ca ne dérange pas, ils puent aussi eux ? Au passage, les preuves doivent être présentées au juge et non pas au public, donc à la presse. Car il n'y a pas en Russie de tribunal populaire.
En revanche, il semblerait que toute cette corporation, peut-être sans s'en rendre compte, réponde parfaitement aux attentes réitérées de mettre en place des tribunaux médiatiques. Ceux qui ont permis à Macron de prendre le pouvoir, à Zelensky de s'imposer dans le champ politique ukrainien, ceux contre lequel est obligé de combattre Trump au lieu de pouvoir gouverner - et malgré lequel il gouverne quand même.
L'on n'a jamais vu les médias occidentaux, les pouvoirs étrangers lancer une campagne d'une telle ampleur à l'international parce qu'un Russe se retrouve avec de la drogue, que l'on en trouve chez lui. Certes dans ces milieux créatifs l'on ne fume pas (de tabac), l'on ne boit pas d'alcool, l'on fait du yoga, l'on est "tolérant", bref l'on est absolument "pro-occidental", jusqu'à la caricature de ce que l'Occident produit ces derniers temps. Mais tout cela avec le masque bien planté du patriotisme-qui-ne-se-discute-pas. Pourtant, l'on ne touche pas au soldat Ivan, qui fait partie de ce monde, avec ses reportages et ses sachets. Il ne peut pas être lié à la drogue, car nous ne pouvons pas être liés à la drogue et il est innocent car nous sommes patriotes. Et la justice pour être indépendante doit le confirmer.
C'est une tendance particulièrement dangereuse à observer.
Je dois avouer que j'ai été sidéré par les articles de RT et Sputnik et la réaction de Margarita Simonian sur cette affaire Golounov. Etre du côté de Khodorkovsky et Navalny ne les gênent pas beaucoup apparemment, quant à Zakharova, c'est juste invraisemblable. Il est tellement extraordinaire que ça en Russie qu'un Journaliste consomme de la drogue et en vende à ces potes? Qui est visé exactement dans cette cabale, Poutine?
RépondreSupprimerMadame,
RépondreSupprimerSurtout ne lâchez pas la rampe. Vous faites un travail plus qu'utile.
La M.... semée à ce point me ferait plutôt penser, moi, à quelque prolongement délocalisé de l'affaire Skripal. Quelqu'un a pensé au MI6 ? Comme s'ils n'avaient pas l'habitude de venir chez vous s'occuper des Raspoutines.
Que les organisateurs du chaos quels qu'ils soient ait réussi à manipuler Simonian (à l'insu de son plein gré ?) ne me paraît pas si anormal que cela. Les patrons de presse élastiques ne sont pas vraiment rares (vous voulez une liste ?), mais que Zakharova se laisse emberlificoter (à moins qu'en service commandé) signifie que pour le moine on "mean business" et que les Russes qui ne sont aux commandes de rien ont intérêt à se tenir bigrement sur leurs gardes.
Quant au "journaliste d'investigation" qui fume de temps en temps un bout de sa moquette, il paraît bien loin tout à coup. Pigeon ?
Dans tous les cas, bonne continuation et courage.
Théroigne
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