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lundi 10 février 2020

Gilets jaunes : ces cahiers de doléances que personne n'a l'intention de lire



Au début de la crise, le Gouvernement a lancé de grandes vagues de consultations, qui outre la campagne nationale de Macron, se sont concrétisées en diverses mesures, sans évidemment aucune portée politique, mais qui devaient permettre de gagner du temps et d'évacuer le surplus de vapeur dans la partie "tranquille" de la population. En jouant sur les associations d'idées révolutionnaires - les Gilets Jaunes se voulant révolutionnaires, mais sans prendre le pouvoir - Macron a transposé sur le plan de l'imitation un mécansme politique. Ainsi, la population a pu écrire des cahiers de doléances - que personne n'a jamais lu. Et pourquoi les élites prendraient-elles le temps de les lire, alors qu'elles sont en place justement pour réaliser cette politique, si les Gilets Jaunes, finalement, ne veulent pas prendre le pouvoir ?


Il y a un an de cela, comme le rappelle France Inter, des maires déposaient en Préfecture des cachiers de doléances citoyennes. Près de 10 000 cahiers. Concrètement, les gens ont écrit souvent sur de simples cahiers à spirales, mis à disposition dans les mairies, leurs problèmes, ce qui à leur avis ne fonctionne pas dans le pays. Parfois aussi leur tragédie personnelle.

S'il s'est agi d'un grand cri de désespoir, c'était aussi une vague d'espoir. Espoir, un peu naïf, que la politique mise en oeuvre ne fonctionne pas dans l'intérêt de la population, parce que les élites politiques ne sont pas au courant. Espoir qu'il suffit de leur dire à quel point l'on souffre, leur dire ce qui ne va pas au quotidien, pour qu'elles réalisent et prennent ensuite les bonnes décisions. Espoir que justement ces élites ne mettent pas en oeuvre le programme pour lequel elles sont en place, mais qu'elles aient commis une erreur. Espoir. Presque une prière.

Or, non seulement ces tonnes de feuilles n'ont pas été lues, mais elles ont simplement été numérisées  à la BNF et renvoyées en Préfecture aux archives. Maintenant, les scientifiques râlent, parce que les textes ont été enregistrés sous forme d'image et que les programmes ne peuvent pas automatiquement traiter ces textes, les classer, etc. Bref, quelle horreur, il faudrait les lire et personne ne semble en avoir eu l'intention.

Donc, pour résumer, non seulement les politiques n'ont pas pris la peine de lire les cahiers de doléances (et ne semblent en avoir jamais eu l'intention), mais les universitaires eux-mêmes trainent la patte, car il y en a trop. Ils ont tous oublié que la numérisation ne remplace pas la lecture ... Or, rappelons quand même que les gens qui ont versé par écrit leur douleur ne pensaient pas participer à une grande étude sociologique. Ils voulaient très concrètement faire passer un message au pouvoir. Ils attendaient une réponse politique, pas une étude de société par des laboratoires de recherche. Non seulement ces Cahiers n'ont conduit à aucune attention humaine envers une population qui souffre, mais les gens ont été transformés en souris de laboratoire, en objets d'étude.

Ce pouvoir qui n'a fait que gagner du temps et épuiser la douleur des gens. Sans même avoir la moindre volonté de résoudre leurs problèmes. Puisque cela impliquerait un changement de cap idéologique. Or, l'on ne change pas de cap idéologique avec des manifestations pacifiques, même pendant des années. Le pouvoir se permet aujourd'hui de ne tenir compte ni des doléances, ni des manifestations, car il sait pertinemment que ces mouvements ne présentent strictement aucun danger politique, autrement dit qu'il ne remet pas en cause son existence. 

Et la durée, la permanence du conflit permet au pouvoir de légitimer avec le temps une autre configuration de gouvernance, intégrant ce conflit même comme une donnée. Puisque les sociétés néolibérales ne peuvent fonctionner sans conflit, elles l'intègrent - et le digèrent. Pour ne rien changer.

4 commentaires:

  1. Dans Nineteen Eighty-Four, les proles ne font l'objet d'aucune considération, d'aucune attention. Même la novlangue ne les concerne pas - celle-ci s'adressant aux membres de l'Outer Party.

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  2. Excellent point de vue concernant cette question.
    Si ces gens de pouvoir aurait eu besoin de ce genre de "doléances" pour s'orienter, c'est qu'ils seraient fondamentalement incompétents, donc ils devraient logiquement démissionner. Le fait même d'avoir installer ce genre de consultation révèle soit cette incompétence, soit leur indifférence, un subtil mélange des deux n'étant bien entendu pas exclu. En conclusion, la seule option qui reste honorable est la démission (du pouvoir) mais quand on en est à crever des yeux et arracher des mains juste pour le pouvoir et son argent, il ne faut pas trop compter dessus, je ne parlerai même pas de l'honneur, on sait tous où l'on en est sur ce sujet avec ces gens là.

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  3. Bonjour, point de vue intéressant sur les gens du politique, qui je pense ne se limite pas à la France, ni au seul domaine politique. On retrouve partout cette incapacité à diriger, à manager. Même dans les entreprises qui consulte ceux de la production pour acheter une nouvelle machine qui les conserne directement? Toujours est-il que l'article est subtile et fin.

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  4. «ces mouvements ne présentent strictement aucun danger politique[pour le pouvoir en place], autrement dit qu'il ne remet pas en cause son existence» ce qui concorde avec une répression sans égal depuis un demi-siècle en France, 25 éborgnés, 5 mains arrachées, des milliers d’arrestations avec plus d’un millier de condamnations...visiblement il a besoin de faire peur après avoir eu lui-même une peur bleue au point d’envisager d’ex-filtrer Macron de l’Elysée. C’est à ce jour le seul mouvement qui a fait reculer Macron sur la taxe des carburants et lâcher des augmentations de salaire tout en cassant sa course sabre au clair pour privatiser la société française et le contraindre à reprendre la navigation à vue de ses prédécesseurs, au pas de sénateur ! La réforme sur les retraites en est à son 3ème mois et ça n’est pas fini ! Macron va amputer encore un peu plus la démocratie pour tenter de le réduire au silence ! Nous n’avons pas les mêmes lunettes pour voir ce mouvement qui sort des normes habituelles du XX° siècle, mais correspondent à celles du XXI°...qui nécessitent de remettre à plat les formes d’organisation politique qu’on prenait comme immuables..!

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