Chevtchenko et Mozgovoï |
A l'occasion d'une affaire ouverte contre l'un des participants à la résistance du Donbass dans la République de Lougansk, Alexandre Kostine, dont la réputation est quelque peu douteuse, le nom de Mozgovoï, le commandant légendaire du bataillon Prizrak (Fantôme), s'est trouvé éclaboussé. Affaire aussi étrange qu'instrumentalisée, la situation dans la région étant pour le moins instable. Pour éclaircir cette affaire, Russie Politics s'est adressé à Yuri Chevtchenko, ancien chef de l'état-major du Bataillon Prizrak, puis à la mort de Mozgovoï, commandant de ce Bataillon, qui nous a donné une interview exclusive. Selon lui, Mozgovoï est hors de cause, il ne s'agit pas d'une opération de discrédit ni du Bataillon, ni de son commandant légendaire. En revanche, se posent de nombreuses questions quant au professionnalisme, notamment du procureur, dans cette affaire. Ce qui finalement fait les choux gras de la presse ukrainienne.
La Cour de la République de Lougansk, en février, a rendu, hors présence de la presse, un arrêt condamnant Alexandre Kostine pour avoir assassiné Oleg Burikhyne (qui faisait son business dans l'extraction de charbon), sa femme et sa fille, le 9 mai 2014, alors qu'ils étaient en voiture sur la route Kharkov - Rostov-sur-le-Don, afin de leur voler la somme qu'ils transportaient. Il est également accusé d'avoir réquisitionné deux camions, afin de bloquer la route et provoquer ainsi l'incident. Mais lors des dépositions, le nom du commandant Mozgovoï apparaît. Ce serait lui qui aurait finalement tout organisé, appelé ses hommes, leur aurait dit qu'il s'agissait d'interpeller un groupe de Secteur Droit (suite à un coup de téléphone du chef de la police locale les prévenant de ce mouvement). Dans cette étrange affaire, Mozgovoï est à la fois présenté comme un bandit de grand chemin et comme un manipulateur. Un homme sans honneur, prêt à assassiner une famille pour de l'argent. Pour autant, la justice n'a pas cherché plus loin et a décidé de ne pas ouvrir d'affaire pénale contre lui, en raison de son décès (le 23 mai 2015, lors d'un attentat perpétré contre lui), laissant ainsi le doute planer. Ce qui a déchaîné la presse ukrainienne, au slogan de LNR renie un de ses héros.
Ainsi, la réputation de Mozgovoï est salie, il est mort et n'a pas la possibilité de se défendre et la justice ne cherche pas à faire la vérité. Mozgovoï est une figure-clé de la résistance du Donbass, un des commandants de la première heure. Toutes les résistances ont besoin de leurs figures héroïques, construites avec le temps, les victoires - mais aussi les discours. Cette décision de justice, qui n'est pas juridiquement principalement dirigée contre lui mais contre Kostine, lui fait presque autant de mal, ainsi qu'à la résistance dans le Donbass, que s'il était personnellement inculpé. Surtout que le combat continue.
Beaucoup de choses sont étonnantes dans cette affaire. Tout d'abord, il est absolument impossible de comprendre qui, en fin de compte, s'est adressé à la justice. Alors comment a débuté cette histoire judiciaire? La spontanéité est en général aidée ... Ensuite, beaucoup d'éléments factuels sont erronés, ce qui soulève la question du sérieux dans la préparation du dossier. Le Bataillon Prizrak, dont il est question, a été formé le 27 juillet 2014, après les bombardements de l'aviation ukrainienne, qui pensait avoir tué physiquement la résistance de ce groupe d'hommes sous le commandement de Mozgovoï. Ainsi sont nés les "Fantômes". Donc après les faits incriminés. D'autres imprécisions étonnantes concernent Kostine, l'inculpé : il est présenté comme le vice de Mozgovoï, ce qui n'a jamais été le cas. Kostine a participé avec ces hommes dans les premiers temps, mais est parti avant la création du Bataillon et fut à la tête d'une brigade de tanks, appelée "Août", tanks qui furent par ailleurs pris au groupe d'hommes de Mozgovoï.
La guerre dans le Donbass dure, les accords de paix sont difficiles à mettre en place, car les parties en jeu n'ont pas la même vision de la paix: l'Ukraine a besoin du territoire du Donbass, mais pas de sa population. L'Ukraine n'est de toute manière pas maîtresse de son ordre du jour, ni de son intérêt national - sinon, cette guerre civile n'aurait jamais commencé. Alors comment expliquer et cette décision et la vague médiatique qui l'entoure et, par le jeu des sous-entendus porte atteinte aux intérêts de cette résistance en dégradant l'une de ses figures historiques ?
Yuri Chevtchenko, commandant du Bataillon Prizrak après Mozgovoï jusqu'à ce qu'il soit rattaché à la 4e Brigade de la Milice Populaire de LNR, où il fut Commandant de la 4e Brigade de la garde, dans son interview exclusive pour Russie Politics a déclaré à propos de cette affaire :
"Il n'y a aucun procès contre Mozgovoï. Mozgovoï, selon la version de l'enquête, a été nommé par des témoins, mais l'enquête contre lui n'a pas été poursuivie en raison de sa mort. Tout le reste n'est que fantaisie.
Le problème est bien que cette affaire n'est dans l'intérêt de personne. Chacun constitue des suppositions et personne ne peut dire dans l'intérêt de qui tout cela est mené. Dans l'intérêt du pouvoir de LNR? 100% non. Je le sais. Leonid Pacetchnik (est à la tête de LNR depuis le 21 novembre 2018, après le départ mouvementé de Plotnitsky - voir notre texte ici) a toujours eu beaucoup de respect et pour notre Brigade et pour Mozgovoï. C'est nécessaire à la Russie ? Non plus. En Russie, ils sont surpris de cette version développée par certains défenseurs de l'honneur de Mozgovoï.
Il faut bien comprendre toute l'absurdité de la situation : Mozgovoï était de ces êtres humains avec une majuscule, qu'il est impossible d'imaginer à côté de voleurs ou de bandits."
Si pour Chevtchenko ce scandale n'est dans l'intérêt ni de LNR, ni de la Russie, restent alors deux hypothèses. La première qui vient à l'esprit est liée à la personnalité de Kostine. Surtout que sa présentation est surprenante: qui l'a présenté comme le vice de Mozgovoï et pourquoi ? Selon Chevtchenko, leurs relations n'étaient pas excellentes, voire même inexistantes à Debaltsevo. Et sa réputation n'est pas des plus nettes... Mozgovoï n'avait aucun respect pour lui.
Reste la question du fonctionnement du système judiaire, objectivement assez embryonnaire, dans LNR.
"Je pense que le problème ressort avant tout du domaine juridique. Il a été plus "facile" pour l'enquêteur de fermer l'affaire (contre Mozgovoï) en raison de son décès, que pour "absence d'éléments du délit". Après, tout s'est emballé sur le net. Et je ne pense pas que la Prucuratura générale de LNR soit particulièrement satisfaite de cette affaire. Bref, je ne pense pas que ce soit une opération réfléchie. En même temps, Alexeï Mozgovoï n'est pas lié au crime qui a été jugé par la cour de Lougansk. Au maximum, il aurait pu se trouver à proximité des lieux du crime, en pensant avoir à faire à un combat contre Secteur Droit. Point. Imaginer Mozgovoï assassiner des gens pour de l'argent est un non-sens."
Si l'on évacue l'intérêt de LNR (et de la Russie) de démonstrativement se distancier des commandants historiques de la résistance dans le Donbass puisque l'heure politique affichée est celle des négociations, dans tous les cas reste la question brûlante de la qualité de la justice dans cette jeune République. Dans tous les Etats, même stables, la justice occupe un rôle central de légitimité du fonctionnement des institutions, car elle doit être le garant incontestable de l'équilibre entre l'intérêt public et les droits individuels. Mais dans une zone de conflit, où l'étaticité est à la fois embryonnaire et contestée de l'extérieur, le rôle de l'institution judiciaire est encore plus fondamental. Elle peut soit permettre d'assurer le sentiment de justice au quotidien, malgré une situation extraordinaire (et ainsi contribuer au renforcement de l'étaticité), soit devenir un instrument de déstabilisation - avec toutes les conséquences que cela entraîne. Si le scandale vient vraiment d'un dysfonctionnement du système judiciaire, il est urgent d'y remédier, car ses effets seront aussi néfastes que ceux d'un groupe de sabotage.
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