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lundi 13 juillet 2020

Russie : L'étrange interpellation du gouverneur de Khabarovsk qui met le feu aux poudres



Il y a quelques jours, Sergueï Fourgal, gouverneur de la région de Khabarovsk, appartenant au parti d'opposition modérée de Jirinovsky le LDPR, a été interpellé pour avoir commandité des assassinats d'hommes d'affaires ... dans les années 2004-2005. Pas pour corruption, pour assassinats. Après tant d'années, cette démarche est assez surprenante, tant juridiquement que politiquement. Personne ne savait rien pendant tant de temps ? Et si l'on savait, alors pourquoi maintenant ? Cette décision, incomprise par la population et rentabilisée par l'opposition, a provoqué des manifestations sans précédent dans la région de Khabarovsk. Pourtant, des députés avec un passé douteux existent, et beaucoup dans ce parti. Mais cette affaire prend une tournure (géo)politique inhabituelle. Une affaire étrange qui va être utilisée à 200%, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, surtout après le vote de la réforme constitutionnelle et en période d'impossible transition du pouvoir.


Le 9 juillet, Sergueï Fourgal, gouverneur d'opposition de la région de Khabarovsk, a été interpellé pour avoir commandité des meurtres sur plusieurs hommes d'affaires en 2004 et 2005. Il a été transféré à Moscou et le 10 juillet, le tribunal d'arrondissement Moscou (Basmanny sud) a décidé de le placer en détention provisoire jusqu'au 9 septembre 2020. Selon l'enquête, Sergueï Fourgal a, en 2004-2005, organisé la tentative de meurtre sur Alexandre Smolsky, entrepreneur, et a organisé les assassinats de deux businessmen, Evguény Zoria et Oleg Boulatov. Selon le Comité d'enquêté fédérale, il serait également impliqué dans d'autres crimes graves non seulement dans les régions de Khabarovsk, mais également de Primorié et d'Amour. Quatre figurants ont été interpellés et ont déposé contre Fourgal, le désignant comme le cerveau de l'affaire.

Ce n'est pas le premier gouverneur interpellé ces dernières années, notamment du parti présidentiel Russie Unis, mais en général ils le sont pour corruption, pas pour assassinat et pas plus de 15 ans après les faits. Fourgal fut entrepreneur avant de devenir député dans le parti LDPR, de 2007 à 2018. LDPR est bien connu pour abriter dans ses rangs des personnalités au passé douteux. Donc, a priori, rien ne permet de penser qu'il s'agit d'une affaire fabriquée. Mais, au minimum, les délais surprennent.

Et en effet, la dimension politique n'est pas à écarter. Sergueï Fourgal est l'un des (très) rares gouverneurs d'opposition élu ces dernières années. Il a largement écrasé le candidat sortant Russie Unie, Viatcheslav Chport, avec 70% des voix. Et ce malgré des pressions très fortes de l'appareil central, qui aurait bien aimé le voir se désister - et ensuite le voir partir. Il est vrai que Russie Unie est impopulaire dans la région. A l'assemblée de la ville de Khabarovsk, pas un seul élu de ce parti et à l'assemblée de la région, l'on ne compte que 2 députés Russie Unie sur les 36. 

Un gouverneur populaire écarté pour une affaire vieille de 15 ans, un gouverneur d'opposition qui se veut justement indépendant, ça pose des questions. Et provoque des réactions. Dans la région, des manifestations de 10 à 35 000 personnes selon les sources sont organisées, les gens demandent la libération de leur gouverneur. Ponctuellement, un rejet du Centre et un rejet de Poutine personnellement, qui apparaissent avec des slogans demandant sa démission ou "Moscou vas-t'en!", "Il n'a pas permis à Russie Unie de voler ici, libération pour Fourgal!":



Si l'opposition radicale est aux anges, Navalny en profite même, tout à coup et par hasard, pour être fier de son peuple, la presse étrangère en fait également ses choux gras.

Que ce soit Le Monde, qui en profite pour s'attaquer au système judiciaire russe : 


Ou bien le New York Times, qui apprécie l'ampleur des manifestations et la demande de démission de Poutine :

Le point-clé pour le NYT, est l'affaiblissement politique de Poutine ici illustré :
"But events in Khabarovsk and angry grumbling across the country over growing economic hardship suggest that Mr. Putin has lost his aura as an invincible leader supported by a large majority of the public."
L'on peut se demander en effet, pourquoi, après tant d'années, ce gouverneur a été interpellé. Est-il vraiment possible que de tels faits soient restés inconnus aussi longtemps ? Deux versions sont principalement avancées dans les médias russes:
  • La version la plus simple est strictement politique : le parti présidentiel n'arrive pas à tenir la région de Khabarovsk, de vieilles affaires sont ressorties des placards pour reprendre la main et écarter un gouverneur trop indépendant. L'arrivée de Kirienko à l'Administration présidentielle a en effet relancé le contrôle sur les régions et la prise en main des élections locales, mais en arriver à commettre une telle faute politique serait quand même surprenant, même si cette équipe de méthodistes ne comprend strictement rien, justement, à la politique. 
  • La version du grand nettoyage est également avancée, afin d'assainir la vie politique intérieure, qu'il s'agisse de corruption (au moins 5 gouverneurs sont tombés ces dernières années, dont du parti Russie Unie). Cela va dépendre de la solidité du dossier. Et de la systématicité de la méthode.
Reste une question, particulièrement délicate, surtout posée par un juriste : est-il toujours souhaitable de porter devant la justice toutes les affaires ?

Choquante comme question ? Peut-être, en tout cas fondée. Interpeller 15 ans après une personne oblige à se demander ce qui a été fait en attendant, pendant toutes ces années. C'est d'ailleurs pour cela que les délais de prescription existent. Et dans ce cas, au lieu de renforcer la confiance de la population en l'Etat, ce qui ressemble beaucoup plus à un dysfonctionnement du système d'enquête et du système judiciaire produit l'effet inverse. Comme nous le voyons aujourd'hui avec cette affaire, dans un contexte politique très sensible. Les faits ont pu être commis, mais puisqu'il s'agit d'un rare gouverneur d'opposition, qu'il bénéficie d'un fort soutien populaire, que les faits sont très anciens, le doute s'installe, réduit l'approche rationnelle à peau de chagrin. Le doute se matérialise et sort dans la rue : si c'est maintenant, c'est qu'il y a une raison. Et cette raison n'est pas juridique, mais politique. Et la spirale s'emballe. Certains analystes politiques estiment qu'il s'agit, ici, d'une grave erreur politique. C'est effectivement un point de vue à ne pas négliger.

Pour quel résultat ? Donc, je repose ma question - dérangeante : est-il toujours souhaitable de porter devant la justice toutes les affaires ? 

La réponse ici sera un choix politique. Mais qu'il faut ensuite assumer, justement dans sa dimension politique, jusqu'au bout. Et de manière systématique, non individuelle.




2 commentaires:

  1. N'aurait-il pas des visées indépendantistes ce gouverneur? Peut-être que c'est ce qui a déclenché son arrestation. Khabarovsk est si près de la Chine et si loin de Moscou... Ces crimes passés seraient remis sur le devant de la scène pour camoufler le véritable motif, beaucoup plus grave, de sa détention. Et puis, quand Navalny est là, on peut être sûr que les USA ne sont pas loin et, le plus grand désir des américains n'est il pas le démantèlement de cet immense pays?

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