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vendredi 18 octobre 2013

L'idéologie de l'Open Government et le rôle grandissant de la société civile en Russie

Un nouveau projet de loi doit être déposé, préparé par le Conseil des droits de l'homme et la Chambre sociale, afin de donner un cadre juridique à l'activité d'expertise et de conseil des organes de la société civile. Autrement dit, un nouvel acteur doit être intégré dans le processus législatif, un acteur qui n'est pas élu, qui n'est pas nommé par des élus à des fonctions étatiques, un acteur autoproclamé, dont l'activité justifie le titre. Ce phénomène est une constante. Ce phénomène est une dérive de l'idéologie de l'Open Government lancée par B. Obama. Et comme d'habitude, si le mécanisme peut être constructif dans son pays d'origine (renforcement de la transparence), les procédures d'exportation ont une furieuse tendance à le radicaliser pour le pays de réception.
 
L’idée du Gouvernement ouvert, ou Grand Gouvernement, a été lancée par Barack Obama en 2009 et s’intitulait « Open Government Initiative », devant assurer une plus grande transparence dans la gouvernance et la participation des citoyens à la politique.[1] En 2010, 9 pays avaient mis en place cette institution.[2] Pour sa part, D. Medvedev, alors Président, en décembre 2011, reprend l’idée dans le but de mettre en place une structure assurant le lien entre la société civile et les organismes étatiques, afin de faire remonter l’information vers l’Etat et de travailler avec des experts stables sur des questions de politique intérieure. Il fut créé par oukase le 8 février 2012[3]. Puis, par l’oukase du 20 mai 2012[4], M. Abyzov a été nommé ministre pour les relations avec le Gouvernement ouvert lors de la confirmation de la composition du Conseil des ministres, après les élections présidentielles, par le Président Poutine. Une commission pour la coordination des activités entre le Gouvernement et le Gouvernement ouvert a été ensuite crée par arrêté gouvernemental le 26 septembre 2012 et enfin la composition du Conseil des experts auprès de ce Gouvernement ouvert a été fixé le 26 juillet 2012 par arrêté gouvernemental.
 
Autrement dit, le cadre juridique tant demandé de l'activité des organes de contrôle de la société civile existe déjà. Mais il ne semble pas suffisant. Comme le précise l’arrêté gouvernemental du 26 juillet 2012 dès son premier point, le Conseil des experts est un organe mixte qui doit à la fois apprécier l’importance économique et sociale des décisions du Gouvernement et formuler les positions de la société civile. Il doit en la matière apporter son concours à tous les organes de pouvoir. Mais le point 5 précise beaucoup plus ses missions : participation à l’élaboration et à la réalisation des actes gouvernementaux, participation de représentants du Conseil des experts aux réunions du Gouvernement, exercice du contrôle de la société sur l’efficacité du travail du Gouvernement, monitoring de l’efficacité des dépenses budgétaires fédérales ... Ici déjà commencent à poindre des conflits de compétences qu’il faudra résoudre. Un conflit évident apparaît avec la Chambre des comptes qui prend en charge l’appréciation de l’efficacité des dépenses budgétaires. Le monitoring de l’exécution des actes de droit est pour sa part de la compétence du Ministère de la Justice.
 
Donc si l'activité est déjà encadrée, on pourrait se demander si l'amélioration que pourrait apporter le projet ne concernerait pas la structuration des organes consultatifs, qui se sont démultipliés ces dernières années. Car, si l'on regarde la composition du Conseil d'experts du Gouvernement ouvert, certaines questions deviennent incontournables.
 
Tout d’abord, parce que dans le Conseil des experts du Gouvernement ouvert entrent des personnes qui font déjà partie d’autres Conseils auprès du Président. Ainsi en est-il de A. A. Auzan, grand libéral, membre du Conseil auprès du Président pour la modernisation et le développement technologique. Ou encore est-ce le cas de V. F. Abramkine, qui dirige une ONG pour la réforme de la politique pénale et fait partie du Conseil auprès du Président pour les droits de l’homme et le développement de la société civile. Se pose dès lors ici la question du doublement et donc de la nécessité de cette structure. A moins, bien sûr, que le Gouvernement ne travaille pas en coordination avec la présidence, ce dont il est possible de douter. Pourtant, la nécessité apparaît lorsque l’on voit que la composition regroupe les représentants les plus « durs » du clan libéral. Tendance qui se retrouve également dans la composition de la commission étrangement appelée « gouvernementale ». Etrangement, car si l’on y retrouve logiquement des membres du Gouvernement, elle contient aussi le recteur de l’Ecole supérieure d’Economie, Kuzminov, qui est le mari de E. Nabiulina, Conseillée du Président et également membre de cette commission. Sans compter, les entreprises d’Etat comme Rosnano, le président du Tatarstan ou le maire de Moscou, l’incontournable Ombudsman pour les entrepreneurs etc. Autrement dit, la composition est plutôt hétéroclyte et dépasse largement le cadre gouvernemental. Elle devient en elle-même un organe mixte.
 
Or que nenni. Le projet de loi ne va pas organiser et rationnaliser les organes consultatifs, ce qui est dommage. Le but est de rendre l'expertise "sociale" obligatoire pour l'adoption des projets de loi, pour la prise des décisions etc., sauf lorsqu'un conflit d'intérêts est perceptible (voir l'article http://www.kommersant.ru/doc/2322344).
 
En d'autres termes, il ne s'agit pas de renforcer l'efficacité de la procédure, mais de transférer doucement, pas à pas, le centre de prise de décision, donc le pouvoir. L'activité normative est traditionnellement un monopole étatique, car lui seul défend l'intérêt général et non des intérêts sectoriels. C'est un changement de paradigme qui est en train de s'opérer dans l'indifférence générale. L'on passe d'une consultation, qui est normale, qui est nécessaire, d'un élément extérieur à la participation d'un élément incorporé. En poussant à son paroxysme l'analyse des mécanismes et des concepts, on peut dire que la société civile entre dans la sphère étatique, détruisant dans une vision post-moderniste la logique étatique, mais se perdant en même temps, car sortant de son rôle. Le risque est donc d'avoir une société civile qui n'en est plus une et un Etat paralysé. Il est à douter que ces procédures de perfectionisme démocratique permettent d'atteindre une amélioration du fonctionnement du système juridique et de l'Etat, en d'autres termes, une amélioration pour les individus, ce qui doit être le but non seulement de l'Etat mais aussi de la société civile.
 


[1] Voir le discours de B. Obama du 23 avril 2009 ici http://www.youtube.com/watch?v=i1-W7QSXT_c&feature=player_embedded
[2] Pour une théorie du Gouvernement ouvert, voir O’Reilly, Open Government, Collaboration, Transparency and Participation in Practice, Edited by D. Lanthrop and L. Ruma, 2010

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