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mercredi 25 janvier 2017

Non, la Russie ne légalise pas la violence familiale



La Russie est en train d'adopter un texte de loi dépénalisant les voies de fait sans préjudices. Pour mettre immédiatement les points sur les i, quelques remarques préliminaires:

  • Les coups et blessures ou toute autre voie de fait entraînant même un léger préjudice restent pénalisés aux articles 115 et 117 du Code pénal;
  • Les voies de faits sans préjudice (petite fessée ou petite giffle, bousculade) sont pénalisées en cas de récidive;
  • Les voies de faits sans préjudices ne sont pas légalisées, puisqu'elles sont transférées vers le Code des infractions administratives et sanctionnées par des amendes et des peines alternatives.
Donc, pour remettre les choses en place suite à la vague de propagande qui s'est emparée de la question, notamment dans la presse française.

L'article 116 du Code pénal "Voies de faits", dont il est question dans cette affaire avant la réforme de 2016, visait les actes ainsi définis:
Le fait d'exercer des voies de fait ou autres actes violents ayant causé une douleur physique, mais sans entraîner les conséquences visées à l'article 115 (à savoir des troubles passagers de la santé).
Ces infractions étaient punies d'amendes ou de peines alternatives, comme le travail d'intérêt général.

Traditionnellement, l'action en justice relève ici de l'accusation privée, sur le modèle allemand. Autrement dit, la poursuite est de nature pénale, mais uniquement sur requête de la victime, le procès ressemble à un procès civil, sans enquête ni instruction préparatoire. La seule exception où l'accusation sera publique, c'est-à-dire menée par un procureur et conduite sur le modèle des procès pénaux avec enquête, c'est lorsque la victime est particulièrement protégée (mineure, handicapée ...), lorsqu'elle a une incapacité ou lorsqu'elle est en situation de dépendance (épouse par rapport au mari, employé face à l'employeur, etc.).

L'autre particularité du système russe par rapport au système français est là aussi s'apparente au système allemand: à côté du Code pénal, il existe un code des infractions administratives, qui prévoit une procédure simplifiée pour les infractions légères.

Afin de désengorger les tribunaux, par exemple entre deux voisins qui se bousculent pour une place de parking, sur initiative de la Cour suprême, le législateur a dépénalisé cette infraction en adoptant la loi cet été. Ce qui ne signifie pas qu'aucune sanction n'est prévue, cela signifie simplement qu'elle passe du Code pénal au Code des infractions administratives. Il y a eu beaucoup de discussions pour savoir s'il fallait simplement supprimer cet article, ou s'il fallait trouver un compromis. Finalement, un compromis a été trouvé: en cas de récidive, la sanction est pénale. 

Il faut préciser que la discussion n'a pas concerné en particulier les violences familiales, car elles sont comprises dans cet article et ne font pas l'objet d'un traitement particulier: toute violence est condamnable, n'en déplaise aux tenants de ce mouvement politique des Domestic violence.

Or, sans aucun débat public ni discussion dans les assemblées, d'un coup d'un seul, apparaît dans le texte définitif de cet été une deuxième exception à côté de la récidive: les violences exercées dans le cadre familiale garderont un caractère pénale. Ce mouvement globaliste est donc bien implanté en Russie aussi.

Entre temps la nouvelle Douma entre en fonction après les élections législatives et s'attèle à cette question. Car la situation est ubuesque. Prenons un ado. S'il reçoit une giffle du voisin, celui-ci encourt une responsabilité administrative; s'il reçoit une giffle de son père, la responsabilité sera pénale.

Nous sommes face à ce virage idéologique de notre époque, celui débuté avec l'enfant-roi. Or, le corps du Roi est inviolable. La moindre giffle n'est plus considérée comme "éducative", elle est une atteinte à l'intégrité physique de l'enfant, un acte de Domestic violence. En voyant le résultat avec certains sales gosses à l'ego surdimensionné sur les bancs de la fac, j'aurais aimé que les parents jouent un peu plus leur rôle et moins celui du "copain-conseiller psychologique".

Juridiquement, cela conduit à une absurdité; un étranger à plus de droit sur votre enfant que vous même. Mais cela découle aussi de ces deux mouvements idéologiques contradictoires: l'humanisation du droit pénal (autrement dit, la remise en cause par étape de la sanction et de la réponse pénale) et le renforcement de la lutte dans le cadre bien connu des Domestic violence, ce mouvement qui appelle au renforcement de la sanction pénale pour les parents et les conjoints. Certaines violences semblent donc plus acceptables que d'autres pour ces personnes ...

Or, la Douma a décidé d'égaliser les statuts, une violence restant une violence: soit tout repénaliser, soit tout dépénaliser. Elle a fait le choix de l'humanisation du droit pénal et a transféré les giffles familiales vers les sanctions administratives, la récidive étant pénale et les coups et blessures et autes violences ayant des conséquences restant pénalisées, puisqu'il n'a jamais été question d'y toucher.

Cette humanisation du droit pénal déplait fortement au Conseil de l'Europe et à son Secrétaire général, T. Jagland, qui envoie une lettre aux présidents des chambres du Parlement russe et s'emmêle totalement les pinceaux:

« Je vous demande de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour renforcer le droit des familles russes à vivre à l’abri de la violence et de la peur, a-t-il déclaré.
La maltraitance physique et psychologique des femmes est un crime extrêmement grave, qui porte atteinte à leurs droits humains, écrit M. Jagland. La violence domestique fait aussi du mal aux enfants, qu’ils en soient les victimes directes ou les témoins.
Dépénaliser les « coups et blessures dans le cadre familial » pour les ramener à une simple infraction administrative, passible de peines plus légères pour leurs auteurs, serait une régression manifeste de la Fédération de Russie et mettrait à mal les efforts déployés à l’échelle mondiale pour éradiquer la violence domestique. »
 Mise à part la grandiloquence burlesque du texte, soit T. Jagland n'a rien compris au texte de loi, soit il n'a rien voulu comprendre, soit - soyons gentils - il a eu une mauvaise traduction. Nous ne pouvons imaginer que la réalité de la défense des droits des victimes ne l'intéresse pas. Rassurons donc M. Jagland et répétons-nous: la maltraitance, la violence, les coups et blessures restent pénalisés. M. Jagland et toute sa tribue peuvent donc retourner dormir en paix.

Les présidents des chambres ont réagi avec beaucoup de calme: il semblerait que T. Jagland n'ait rien compris et ils prendront leur décision en fonction de l'analyse de l'opinion publique ... nationale. Bientôt le texte doit passer en deuxième (sur les 3) lecture devant la chambre basse, ensuite il doit encore être adpoté en termes identiques par la chambre haute. Nous verrons donc l'évolution du bras de fer qui ressemble à s'y méprendre à de l'ingérence.


14 commentaires:

  1. il serait bon de voir ce que la Russie considère comme un préjudice, la Russie ne considère pas comme préjudice une violence ayant entrainé une commotion ou une perte de dent par exemple, il semble donc que ce texte soit une régression alors qu'il aurait fallu faire l'inverse, bien définir la notion de préjudice dans une conformité au préconisations du CE

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  2. De plus vous oubliez la raison pour laquelle la pénalisation était effective dans le cadre domestique, cela date de l'ex URSS où le législateur avait, à juste titre selon moi, considéré que dans le cadre familial les violences était plus fréquentes et faciles à exercer, le faible étant constamment à disposition du fort et dans ce cadre avait du mal à aller devant la justice, cette réforme est donc à l'envers et non favorable à une harmonisation faite uniquement dans un but de désengorgement des tribunaux.

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  3. quelles sont vos sources quant à la pratique judiciaire concernant ces 2 dents ou une commotion? Et pourquoi cette commotion et ces 2 dents n'inquiètent pas le CE lorsqu'il s'agit d'un tiers? Ca fait moins mal?

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  4. Mon épouse est russe et a été confronté à ce genre de choses, le problème est la non définition du préjudice dans ce cadre, et pour le conseil de l'europe il souligne "la violence domestique", cette Loi est en régression sur ce point.

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  5. en ce qui concerne le droit soviétique, il n'y a jamais eu d'agravation en cas de violence familiale, les violences étaient également réprimées au plan pénal. Je vous rappelle que l'idéologie de Domestic violence n'existait pas à l'époque, en occident non plus.

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  6. Les violence familiales étaient pénalisées.... tout ramener à une simple gifle est réducteur, encore une fois ce texte dépénalise sans fixer de définition à la notion de préjudice.

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  7. Pourquoi vous avez frappé votre femme)))) Bref, rien à dire.

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  8. Bel article. J'ai lu votre discussion avec intérêt. Si la récidive va au pénal, exemple la gifle, je pense que ce nouveau texte est pas mal. Connait on la notion de léger prejudice en termes précis? Merci

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    1. Merci! Oui, c'est défini par le Code pénal et la jurisprudence.

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  9. Sur France Culture, ce matin 8h30, un commentaire d'une mauvaise foi incroyable au sujet de cette loi. A les entendre c'était un permis de tuer que Poutine et son parti Russie Unie venait de voter.

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  10. Merci Madame pour votre excellente mise au point. J'ai beaucoup apprécié votre "la grandiloquence burlesque du texte, soit T. Jagland...." !
    Ces gens du conseil de l'UE oublient avec facilité la violence exercée par les fonctionnaires abrutis des pays comme la Finlande ou la Norvège, qui soustraient un enfant aux familles dont un des parents est russe, pour des raisons futiles et le mettent en internat ou le confient à des couples "homos" (encore pire).

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  11. Il n'y a pas que dans la presse française que la désinformation fait modèle. Chez nous, hier dans le Journal Radio-Canada Information diffusé aussi sur Facebook et aujourd'hui dans le Journal La Presse de Montréal. Je me suis permis de mettre votre excellent article en lien pour répondre à certains commentateurs et aussi me servir d'extraits de votre article pour leur montrer mon indignation de la façon que c'est rédigé.

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  12. Bonjour,

    voyant la polémique entre les prorusses qui défendent cette loi (qui sont des journaux subventionné par l'état russe tel que RT ou simplement des blogs comme celui-ci) et les journaux francophones mainstream (tel que le monde) et qu'aucun de tous ces journaux n'a donner un lien de cet extrait original + traduit, je dois avouer que c'est assez frustrant.

    Étant donné que vous avez trouver ces informations, serait-il possible de donner un lien de la source originale de cette réforme svp ?

    Cordialement.

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  13. L'association Comitas Gentium France-Russie prépare la traduction d'un article de doctrine rédigé par un professeur de droit pénal russe sur cette réforme et je vous donnerai le lien dès qu'il sera publié. En attendant, voici http://publication.pravo.gov.ru/Document/View/0001201702070049?index=0&rangeSize=1
    Précision: ce blog n'est pas subventionné et n'est pas "pro-russe" dans le sens où vous l'entendez. Ce blog analyse des questions et présente un point de vue, celui de l'auteur. Certes, sans tomber dans l'hystérie collective qui berce l'Occident. Cette absence d'hystérie peut sembler suspecte pour certains ...
    Autre précision: tous les actes juridiques russes sont disponibles sur les bases de données juridiques Garant ou Consultant plus, en plus de leur publication officielle. Donc si réellement ce texte vous intéressait, vous pouviez le trouver sans difficultés.

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