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mercredi 20 mai 2020

Russie : une distanciation dangereuse des élites et de la population s'instaure sur fond de coronavirus



L'intelligence d'un pouvoir se mesure à la faisabilité des règles qu'il impose. Sinon, l'absurde l'emporte et la population organise une vie parallèle. Que le discours officiel ait quelques distances avec la réalité est une norme, car il porte l'image d'une réalité, mais lorsque l'écart ente les deux est trop importante, c'est l'existence même de ce pouvoir qui est en jeu. La radicalité des mesures prises en Russie, la rigidité des dirigeants locaux allant jusqu'à la provocation et l'amoralité (interdiction faite aux proches d'assister aux enterrements, amendes imposées à une personne invalide du 1er groupe alitée pour violation de l'assignation à domicile, etc), conduit au rejet par la population d'une situation devenue absurde et sans porte de sortie rationnelle. Seulement 23% de la population soutiennent les mesures d'assignation à domicile imposées. Il serait bon de se souvenir de l'importance, comme le Roi du Petit Prince, de donner des ordres raisonnables, ce qui permet, faute de contrôler la situation, tout au moins d'en donner l'impression. Les poussées caractérielles face à la montée d'une désobéissance massive - et assumée, ne sont pas les réactions politiquement les plus intelligentes pour préserver la paix sociale. Le pouvoir n'existe pas dans son propre intérêt et ne tire sa légitimité que de sa capacité à intégrer la volonté populaire. Ce simple bon sens semble être absent des manuels du parfait petit manageur, qui traînent un peu trop sur les coins de bureau.


Les règles en Russie sont des plus contraingnantes, dans un pays qui par une politique de dépistage massif, qu'aucun autre pays n'a eu l'idiotie politique de mettre en oeuvre, se trouve en deuxième place du nombre de cas détectés, mais très loin en bas du tableau, heureusement, pour les décès, avec un peu plus de 2 300 cas. Il est vrai que tout est fait pour que la médecine se focalise sur le virus, comme l'a affirmé la vice-présidente du Gouvernement, Golikova, puisque chaque cas de coronavirus pris en charge, même si après il se trouve que ce n'en était pas un, est surrémunéré (même plus cher que la cardiologie). Et tout le système médical est lancé dans cette voie, le reste ne prend en charge que les urgences. Comme elle l'a dit, les structures médicales sont intéressées pour annoncer un maximum de cas.

Et sur la base de ces données, des mesures aussi strictes que rigides écrasent la population et le pays. Des mesures parfois odieuses. Ainsi en est-il des régions, notamment Saint-Pétersboug, qui pour cause de coronavirus interdisent à la famille et aux proches d'accompagner leurs morts, quelle que soit la cause du décès, vers leur dernière demeure. Alors que l'OMS a déclaré que les cadavres ne présentaient aucun risque de contagion. 

Le confinement n'en termine pas dans certaines régions. Et le Maire de Moscou a annoncé, avec sa morgue habituelle, que ces mesures étaient là pour longtemps, il fallait attendre qu'il y ait quelques centaines, voire dizaines de cas par jour (actuellement environ 3 000). Et d'ajouter, certainement pour entretenir la paix sociale, que les gens peuvent bien vivre sans aller chez le coiffeur.


Certaines personnalités médiatiques, sportives et loin de la politique, commencent à s'interroger sur le sens d'une telle politique ? Il est vrai qu'avec le dépistage massif et la réorientation budgétaire, la situation peut durer très très longtemps. Question d'un ancien sportif
Au début il fallait attendre qu'il y ait assez de lits. Maintenant qu'il y en a assez, il faut encore attendre autre chose. Attendre quoi, la révolte populaire ?
Selon l'Agence de surveillance de la consommation (qui est assez significativement en charge de la gestion de la crise "sanitaire" du coronavirus), le régime d'assignation à domicile est massivement violée, notamment à Moscou ou à Saratov. D'ailleurs, à Saratov, pour punir la population de sa désobéissance, les mesures d'allègement ont été annulées. Cela est aussi pour la paix sociale. Selon le dernier sondage sur la question, seulement 23% de la population soutiennent les mesures d'assignation à domicile et 63% exigent leur allègement. D'autant plus que cela conduit à des cas d'une amoralité impardonnable, comme celui de cette personne invalide du 1er groupe, alitée. Après avoir eu un rhume, elle devait enregistrer une application de suivi sur son téléphone portable et envoyer des photos de contrôle. A la fois malade, prisonnière et maton. Son téléphone n'est pas adapté, elle n'a pas pu envoyer des photos et a reçu une amende pour violation du régime d'assignation à domicile, sans n'avoir eu de visite médicale par ailleurs. Après la révélation scandaleuse de la première amende, elle a été annulée, mais le lendemain, elle en a reçu une autre. Cela aussi va aider à maintenir la paix sociale.

Massivement, les gens veulent retourner au travail. Le mythe du télétravail n'a pas réussi, pas plus que l'enseignement à distance (les écoles ont été fermées plus tôt), pas plus que la justice à distance (les parties peuvent à nouveau se présenter physiquement au procès), l'économie du pays s'effondre et le fantasme de "l'économie tout-numérique, économie de l'avenir" s'est écroulé dans le présent. Le monde merveilleux n'a pas pris. Les gens veulent leur vie, ils veulent travailler. Le Roi est nu.

Par exemple, à Saint-Pertersbourg, une bonne vingtaine de centres commerciaux ont violé l'interdiction d'ouvrir. Si vous prenez le taxi, l'obligation faite de porter gants et masques étant objectivement impossible à suivre pour les chauffeurs, sauf à augmenter les risques d'accidents pour perte de contrôle du véhicule, ils ne portent démonstrativement plus rien (testé pour vous à Moscou). Pourtant, à Moscou les gens sont très disciplinés pour le port du masque. Ce qui n'est pas le cas partout. Dans la région de l'Altaï, les organes de contrôle ont dû avouer un rejet massif de la population de porter des masques, chacun y trouvant sa raison.

La dernière nouvelle et la plus inquiétante concerne, une fois n'est pas coutume le Caucase. Le Ramadan doit finir le 23 mai, ce qui est l'occasion traditionnelle de grandes fêtes, les gens se rendant visite mutuellement, recevant famille et voisins. Et Poutine demande au Daghestan d'annuler ces fêtes religieuses, ce qui est une première dans l'histoire du pays. Cela, très étrangement après que la pression ait été mise sur la situation sanitaire dans cette région, aux prises cette année comme beaucoup d'autres avec la pneumonie virale : 23 morts du coronavirus et 481 de la pneumonie. Ces chiffres ne plaisent pas et la machine s'emballe, toutes les ressources globalistes et russophobes s'en donnent à coeur joie - Poutine a enfin pris la mesure du danger et réagi.

Et le mouvement viendrait du ministre de la santé du Daghestan - c'est en tout cas la version officielle, sauf que le Covid est mélangé à la pneumonie. Quelle importance, on pourra à l'automne y ajouter aussi la grippe saisonnière. Finalement l'on en revient au médecin de Molière, mais transformé en cosmonaute pour les besoins de la cause, c'est ça le progrès. Et toujours ces mêmes ressources qui mettent la pression :


La Caucase est une région sensible, dans le meilleur des cas, l'interdiction ne sera pas suivie et les autorités et les médias tourneront la tête (ce qui n'aura pour conséquence que d'affaiblir le pouvoir, et local et central), soit des mesures de coercition seront prises, avec toutes les conséquences de déstabilisation de la région que cela peut comporter. C'est peut-être ce qui est attendu - et pas uniquement dans le Caucase ?

Comment expliquer cette fuite en avant ? Les élites dirigeantes sont-elles, pour une raison étrange, tombées dans le chaudron magique de la croyance en ce dieu global Covid et ainsi, dans la foulée, en chaîne, les élites locales parfaitement disciplinées, se font concurrence pour briller ? A chaque niveau, chacun s'adaptant et essayant de trouver - ou garder - sa place. 

Dans tous les cas, les élites se distancient de plus en plus dangereusement de la population et affaiblissent l'Etat. La cote de popularité de Poutine pour avril est à son plus bas niveau historique, avec 59%. Ce qui, certes, ferait pâlir d'envie la plupart des dirigeants occidentaux, mais la Russie, à la différence des pays occidentaux, a un mode de gouvernance centralisé autour d'une personne. Cela implique la nécessité d'un très fort soutien populaire. Rien n'est critique, heureusement, mais la tendance est à la baisse. Quant à l'oracle du Covid, à savoir Sobianine, il a la même cote de popularité que ... Navalny dans ce sondage Levada, à savoir 4%. Un peu court en matière de légitimité pour donner le ton ...

Le Roi fantasmé du nouveau monde est nu. La population ne l'a pas adulé. Mais à la différence du conte, il ne court pas, éperdu de honte, se rhabiller, criant un peu tard que l'on ne l'y reprendra plus. Non, il intime à ses sujets de se taire et d'obéir, "pour leur bien", et de faire la claque dans cette pièce de théâtre surréaliste, jouant les prolongations, quand les spectateurs cherchent avec insistance les portes de sortie de secours.







3 commentaires:

  1. Une situation bien triste qui montre a quel point la Russie moderne a besoin de mecanismes de contre-pouvoirs reels et solides.
    Et encore une fois sur le plan interieur V.Poutine laisse la main a d'indignes fonctionnaires megalomanes.
    J'espere que cela reveillera la classe moyenne des grandes ville qui comme a l'ouest ne s'interesse plus qu'a son porte-monnaie et ses sorties en ville.

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  2. Poutine se tire une balle dans le pied . C'est très triste .


    Nicodème

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  3. Merci pour cet article. C'est une image bien différente qu'on en donne dans la presse canadienne. Pas un mot sur cette indiscipline et refus des nouvelles normes des Russes. Faut dire que la correspondante vit à Moscou...

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