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jeudi 12 novembre 2020

L'enseignement supérieur en Russie : exemple de désorganisation et globalisation de la gouvernance à l'ère du Covid


Après le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, le ministre russe de l'enseignement supérieur de la recherche a lui aussi adopté un acte normatif mettant les établissements supérieurs de Moscou et Saint-Pétersbourg dépendant de son ministère à distance jusqu'au 6 février 2021 et recommandant aux autres régions de le faire aussi en fonction des recommandations de l'Agence fédérale de la consommation, qui est en toute logique post-moderne en charge du coronavirus. Mais surtout, cette Agence collabore très étroitement avec l'OMS, depuis l'arrivée du coronavirus. J'avoue que pour un juriste la nouvelle hiérarchie des normes et des organes en Russie à l'ère du Covid laisse pantois. En tout cas, elle illustre parfaitement ces nouveaux mécanismes de globalisation, laissant à l'Etat l'apparence de la gouvernance, quand les décisions sont finalement prises ailleurs. Ce qui se passe avec l'enseignement supérieur l'illustre parfaitement.

Si l'on reprend les choses dans l'ordre. Le 10 novembre 2020, le maire de Moscou, qui est aussi le chef du Sujet de la Fédération russe que constitue la ville de Moscou, adopte un acte normatif local plaçant obligatoirement à distance tous les établissements d'enseignement supérieur dépendant de la ville de Moscou. Mais, dans le texte de cet acte, apparaît ce bout de phrase, pour le moins étrange :

"Le gouvernement de Moscou recommande aux fondateurs des établissements supérieurs et des établissements d'enseignement professionnel secondaires fédéraux et privés d'adopter des mesures similaires."

Pour le privé, soit. Quoique, rien n'empêche la mairie de Moscou de fermer des établissements de nuit à partir de 23 heures. Donc cette délicatesse à l'égard des facultés privées, dont le niveau est particulièrement nul, est surprenante. Tout comme les écoles privées peuvent rester ouvertes, quand les élèves du public sont mis à distance. Si risque sanitaire il y a, n'est-il pas le même pour tous ?

Mais de quel droit, un responsable d'un sujet de la Fédération  peut-il recommander au niveau fédéral, c'est-à-dire aux ministères et au Gouvernement fédéral, de prendre des mesures analogues aux siennes ? La hiérarchie des normes et des organes ne devraient pas le permettre. Et le simple fait que cela soit envisageable montre la désorganisation des institutions étatiques résultant de l'ère du Covid.

Et voilà que hier soir l'on apprend que le ministre de l'enseignment supérieur et de la recherche, tenant compte manifestement des "recommandations" de Sobianine, décide, lui aussi, dans un acte du 11 novembre, de passer à distance les établissements supérieurs dépendant de son ministère. Formellement, les apparences sont sauves, le fondement juridique est trouvé dans cette loi fédérale de 1994, heureusement modifiée grâce au coronavirus, qui permet de faire à peu près tout et n'importe quoi pour raison sanitaire. Mais au-delà des apparences, un ministre fédéral a suivi les "recommandations" d'un dirigeant de sujet de la Fédération.

Ici aussi des questions politiques apparaissent en plus de la hiérarchie des organes. Pourquoi l'imposer à Moscou et Saint-Pétersbourg et le recommander aux autres régions en fonction de la position sur le sujet de l'organe locale de l'Agence fédérale de la consommation ? Pourquoi cette Agence de la consommation ? Dans notre article concernant les mécanismes de gouvernance globale à travers, notamment, l'OMS (voir l'article ici), nous avons souligné l'importance d'un relai dans les Etats, afin de permettre la modification de facto du circuit de prise de décision, sans entraîner un changement institutionnel. C'est exactement ce qui se passe en Russie avec cette Agence fédérale de la consommation, qui a renforcé sa collaboration avec l'OMS, grâce au Covid.

Donc, formellement, l'organisation institutionnelle en Russie n'a pas changé, mais le processus de décision, désormais, inclut la décision d'un des organes de l'Agence fédérale de la consommation, qui elle collabore étroitement avec l'OMS. Finalement, c'est ça la globalisation : quand l'Etat reste formellement responsable de sa politique devant la population, d'autant plus qu'il ne peut pas déclarer ne plus décider grand-chose dans certains domaines, mais que, en substance, il applique des schémas qui sont décidés ailleurs.

1 commentaire:

  1. C'est un cas avéré de "l'habit ne fait pas le moine" à l'envers. - N'a-t-on pas vu, en France, une "ambassadrice des Pôles"(?!)
    A l'envers - oui, c'est bien connu, la Russie adore les mesures "miroir" - or, dans un miroir la gauche devient la droite et vis versa
    Quand enfin ces ânes comprendront qu'il est impossible de gérer un pays "comme on gère une entreprise" - pour la simple raison, qu'un pays ne se résume pas à la simple addition de données telles que l'économie ou la santé de ses citoyens (et encore, faut croire en courbes et autres camemberts).
    Un pays serait plutôt comme une famille où, en dehors du budget familial et l'état de santé des membres, il existe des bricoles aussi irrationnelles comme sympathie /antipathie, coups de gueule et crises de nerf, vielles rancunes et règlements des comptes. Amour et haine. Mémoire. Souvenir de votre enfance. Échelles des valeurs. Heurts entre générations... et j'en passe.
    N'a-t-on pas vu ce qu'ont coûté à Pachinian (et à l'Arménie) ses relations perso avec Poutine (et encore, bien dissimulées derrière les choix politique de ce premier).
    En résumé, Sobianine ne se résume pas à son étiquette du Maire de Moscou. Sobianine est beaucoup beaucoup plus que Sobianine.
    Et qui plus est- quel scandale - il ne pille pas ouvertement!!!
    De quoi devenir nostalgique de Sobtchiak et Loujkov...

    En fait, ILS sont loin d'être des ânes.

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