A force de vouloir prendre fait et cause pour l'Ukraine, la CEDH rend des décisions de plus en plus étranges. Non seulement elles se contredisent sur le fond les unes les autres, mais elles portent même des contradictions juridiques internes. Tel est le cas de la très surprenante décision de la juridiction européenne accordant le droit à l'Ukraine de ne pas payer les pensions de retraite et diverses prestations sociales aux habitants du Donbass.
Ce 13 février, la CEDH vient de rendre un arrêt dans l'affaire Tsezar et autres contre Ukraine. Les faits sont simples: les septs requérants, de nationalité ukrainienne, nés entre les années 20 et 60 s'adressent à la Cour européenne car depuis le lancement de la dénommée "Opération antiterroriste" dans le Donbass par le gouvernement post-Maïdan, ils ne perçoivent plus leurs pensions de retraite et prestations sociales, étant citoyens ukrainiens et ayant travaillé toute leur vie.
L'Ukraine explique que, en raison du conflit, la question de la gestion des pensions a été transférée dans la région voisine, sous contrôle de Kiev, ainsi que la juridiction compétente pour les recours. Ce qui, théoriquement, est logique.
Il est donc reproché aux requérants de n'avoir pas utilisé toutes les voies de recours - théoriquement - à leur disposition, puisque l'Ukraine a mis en place une juridiction - théoriquement - compétente. Et que, vues les circonstances - concrètes - l'on ne peut pas en demander plus à Kiev. Autrement dit, le droit à l'accès à un tribunal n'est pas violé et les requérants ne sont pas fondés à s'adresser à la CEDH, puisqu'ils n'ont pas épuisé les voies de recours internes.
Et c'est ici que, justement, le raisonnement de la CEDH ne tient pas sur le plan juridique, au minimum car elle mélange les niveaux d'analyse: théorique pour imposer plus d'obligations sur les requérants, concret pour alléger les obligations de l'Ukraine. Les voies de recours sont garanties, mais dans la pratique elles ne sont pas utilisables en raison du conflit même, qui dédouane Kiev de devoir les garantir effectivement. Avant, la CEDH affirmait que la justice, pour être justice, devait avoir aussi l'image de la justice. Maintenant, la mascarade suffit.
Tout cela fonde le rejet pour non-épuisement des voies de recours internes, qui est obligatoire pour pouvoir s'adresser à la CEDH, la juridiction européenne ne pouvant remplacer les tribunaux nationaux. Dans cette logique, les habitants du Donbass, qui ne peuvent garantir leur sécurité en se rendant dans les tribunaux ukrainiens vu le nombre incroyable de "disparitions", risquent de se faire systématiquement rejeter devant la CEDH, ce qui est le but recherché.
Mais ici aussi il y a contradiction dans la jurisprudence européenne et déformation du sens de ses principes. Les voies de recours nationales qui sont obligatoires sont celles qui sont considérées comme "efficaces". Or, dans un arrêt de Grande chambre du 12 octobre 2017 (Burmych et autres contre Ukraine), la CEDH a reconnu la défaillance systémique de l'ordre judiciaire ukrainien:
"Les présentes requêtes font partie d’un groupe de 12 143 requêtes similaires actuellement pendantes devant la Cour. Elles procèdent toutes du problème systémique identifié dans l’arrêt pilote Ivanov, à savoir de divers dysfonctionnements du système judiciaire ukrainien qui entravent l’exécution de jugements définitifs et entraînent ainsi un problème systémique de non-exécution ou d’exécution tardive de décisions judiciaires internes, combiné avec l’absence de voies de recours internes effectives quant à ces défaillances."
La CEDH (voir notre analyse à ce sujet) reconnaissait alors que les décisions internes étaient systématiquement non exécutées et qu'il n'existe pas en Ukraine de voies de recours internes permettant d'y remédier. Mais dans le dernier arrêt, la Cour estime que l'Ukraine a mis en place un système judiciaire compatible avec l'art. 6. Il y a une contradiction totale entre ces deux arrêts, puisque les réformes législatives tant appelées n'ont évidemment pas été adoptées dans ce laps de temps.
Pour renforcer l'incohérence totale de cette décision, la CEDH justifie le non-paiement des pensions aux habitants du Donbass par le fait qu'ils se trouvent dans une situation objective différente. Et juridiquement, il n'y a pas de rupture du principe d'égalité justement lorsque les personnes considérées se trouvent dans des situations différentes. Il n'y a donc pas de discrimination. Donc, le fait qu'ils se trouvent dans une zone de conflit justifie le non-paiement des pensions, mais ne justifie pas les difficultés objectives pour accéder physiquement à un tribunal se trouvant de l'autre côté de la ligne de front? A un tel niveau d'argumentation, l'on ne parle même plus de deux poids deux mesures.
Si juridiquement la décision de la CEDH est un acte visant à légitimer le blocus économique, social et juridique du Donbass, même politiquement, elle est surprenante. Car par cette décision, la Cour ampute l'Ukraine d'une partie de son territoire: si les obligations de l'Etat ukrainien envers les populations s'arrêtent à la ligne de front, la souveraineté sur son territoire également. De facto, cela entraîne la prise en considération de l'autonomie des républiques du Donbass. Ce qui est, du point de vue de la juridiction européenne, une erreur politique étonnante. A déformer le droit dans un but politique à court terme, elle commet des erreurs stratégiques et porte un sérieux coup à l'étaticité ukrainienne.
De toute façon ça ne change rien à la situation des gens qui ne touchent plus rien depuis longtemps; il est douteux également que l'Ukraine paierait les pensions si la cour du roi Pétaud l'y "obligeait". L'avantage (comme vous dites à la fin) c'est que les nouvelles républiques s'éloignent de plus en plus de l'Ukraine, avec l'aval du roi Pétaud européen.
RépondreSupprimerQu'attend le Donbass pour demander son rattachement à la Russie? Il n'y a rien à espérer de l'Ukraine qui est sous la coupe des EU et qui ne fait que ce que les EU lui disent de faire.
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