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Le mythe du pluralisme politique en Russie

Le mythe du renforcement du multipartisme en Russie
Karine Bechet-Golovko
Revue Est europa 2011

La Russie est à la fois un pays où règne l’illusion et où la prééminence du politique est poussée à l’extrême. Au-delà d’une apparente normalisation du mode de gestion de la société après la chute de l’Union soviétique, le droit n’a toujours pas pu s’émanciper des mécanismes politiques et n’est souvent qu’une façade permettant à un groupe limité d’exercer son pouvoir sur une majorité qui n’a, elle, que peu d’espace pour s’exprimer. La doctrine française peut remettre en cause le fait que la tendance semble être celle d’une remise en question de la « position suréminente » de l’Etat qui « se subordonne dorénavant à la « société civile » ou à ceux qui parlent en son nom »[1], pour sa part le système politique russe relève de la continuité indépendamment des apparences. Si le multipartisme est une réalité juridique, le monopole partisan est pour sa part une réalité politique ; si la société civile comporte des organes de représentation dont l’existence juridique ne peut être remise en cause, ils n’ont qu’une représentativité minime et une indépendance toute relative.
Le danger de cette organisation virtuelle de la vie politique pour la stabilité du pays est encore renforcée par l’apparition de la crise financière et économique mondiale, entraînant dans son sillon une crise sociale, dont l’ampleur est parfois niée. Or, le contrat social informel conclu entre la population et le pouvoir est très simple : vous décidez des modalités de gouvernance, mais nous pouvons vivre décemment. Pour avoir une certaine stabilité, les russes ont accepté de rogner sur leurs libertés, mais justement, cette stabilité est aujourd’hui remise en cause et des forces d’oppositions se réveillent, tant dans la société que dans les milieux politiques les mieux intégrés.
Or, pour que le pouvoir ne perde pas le peu de confiance que la population lui accorde encore, un véritable débat « politico-sociétal » est une urgence. Il est dangereux que la rue soit l’unique réceptacle de la contestation montante. Mais sans en tenir compte, les structures de pouvoir continuent à fonctionner comme ces dix dernières années, à dénigrer toute possibilité d’expression et d’existence à une opposition, quelle qu’en soit la modalité, et les guerres internes, dues au flou entourant le processus de décision réel, ont créés une nouvelle ligne de démarcation clanique qui échappe à toute visibilité partisane, donc à tout fonctionnement normal et démocratique des institutions, écartant par là même la société civile. Le pluralisme politique russe construit en trompe-l’œil (1) cache mal une peur viscérale et irrationnelle de toute forme d’opposition (2).

1. Une carte politique en trompe l’oeil

            La difficulté principale de l’analyse de la carte politique russe réside en le fait que tous les mouvements politiques ne correspondent pas à des partis politiques et que tous les partis politiques ne correspondent pas à des mouvements politiques différents, voire réels. A la Douma d’Etat, chambre basse du Parlement en Russie, sont représentés quatre partis politiques : Edinaya Rossiya [Russie Unie] dirigé par le Premier ministre Vladimir Poutine (dont il n’est officiellement pas membre), Spravedlivaya Rossiya [Russie juste] dirigé par le président du Conseil de la Fédération – chambre haute du Parlement – Sergueï Mironov, le LDPR (Liberal’no-democratitcheskaya partiya Rossii) [Parti libéral démocratique de Russie] dirigé par Vladimir Jirinovsky, un des neufs vice-présidents de la Douma d’Etat et le Parti communiste de Guénadi Ziouganov qui en dirige la fraction à la Douma d’Etat. Actuellement, le parti du pouvoir, Edinaya Rossiya, domine avec 70% des sièges (soit 315), puis vient le Parti communiste avec 12,67% (57 sièges), ensuite Spravedlivaya Rossiya avec 8,89% (40 sièges) et enfin le LDPR avec 8,44% (38 sièges). Mais sans s’arrêter à cet apparent multipartisme, il est important de revenir sur chacun des partis « d’opposition », car seuls les partis politiques sont à même de faire remonter les attentes de la population et de défendre en amont leurs besoins[2]. Or, mis à part le PC qui est réellement dans l’opposition, les autres partis sont soumis au pouvoir, laissant le choix entre une gauche asservie (1.1) et une droite contrôlée (1.2). Ce qui fait une majorité réelle pro-kremlin de près de 88% !


            1.1 Une gauche asservie
A gauche se trouvent le Parti communiste bien sûr et surtout son concurrent Spravedlivaya Rossiya[3].
Ce dernier a été fondé le 28 octobre 2006 par la réunion de trois partis de gauche : Rodina [Patrie], le Parti russe des pensionnaires et le Parti russe de la Vie. Ils se considèrent comme une alliance des gauches actuelles, à l’encontre du Parti communiste qui représente pour eux le passé. Et leur succès – et peut être leur mission – est effectivement de jouer sur le passé encombrant du Parti communiste pour occuper le champ à gauche et discréditer un parti d’opposition qui n’est pas passé sous contrôle du pouvoir actuel. Le procédé de constitution de ce parti est en effet révélateur de l’emprise du Kremlin et de la faible part d’indépendance dont il est doté. Sergueï Mironov et Alexandre Babakov ont décidé en juillet 2006 de réunir tous les partis de gauche dans une nouvelle alliance[4], à l’exclusion formelle du Parti communiste – ce qui permet de sous-entendre que l’action était en partie dirigée pour l’affaiblir – et du Parti national-bolchévique de E. Limonov. Ce fut un moyen de vouloir poser une frontière artificielle, du moins en ce qui concerne le PC, entre gauche « fréquentable » et extrême gauche à interdire. D’ailleurs, si le parti de E. Limonov fut enregistré comme parti politique en 2006, en 2007 une décision de justice a qualifié son activité d’extrémiste et l’a interdit. Ses membres ont rejoint la coalition d’opposition dure Drougaya Rossiya [Autre Russie]. Mais pour revenir au parti de Mironov, son caractère d’opposition laisse d’autant plus à désirer qu’il n’a présenté aucun candidat aux élections présidentielles de 2008, qu’il n’a jamais voté contre un texte proposé par Edinaya Rossiya, dont il a toujours publiquement soutenu la politique menée par Vladimir Poutine et, fait remarquable, le jour de la constitution officielle de ce parti le Président russe Poutine ainsi que le Patriarche de toute la Russie Alexis II ont envoyé un message de félicitation. Le soutien qu’il apporte au Parti du pouvoir se renforce encore aujourd’hui, en période de crise. Il est possible, par exemple, de lire sur son site officiel la déclaration suivante de S. Mironov : « Nous voulons que toutes les structures de pouvoir, tous les partis politiques, les syndicats, les chefs d’entreprise (…), en un mot tous ceux dont aujourd’hui dépend le destin de millions de personnes, prennent sérieusement leur responsabilité. Il est indispensable de trouver le fondement d’un nouveau contrat social, ou si vous voulez, d’un nouveau compromis social. C’est seulement en étant tous solidaire que le pays peut sortir de la crise »[5]. Donc, actuellement, non seulement les partis politiques doivent parler d’une seule voix, mais également l’alliance entre le business et le politique doit être renforcée … pour fonder un nouveau « compromis social ». Le terme même de compromis est choquant et révélateur de l’inconscience d’une partie de la classe politique russe dont le message en substance se résume à cela : comme il y a péril en la demeure, faisons quelques aménagements de pure forme pour calmer le bon peuple, mais une fois la turbulence passée, tout doit redevenir comme avant.
La situation du Parti communiste de la Fédération de Russie est aujourd’hui inquiétante. Dernière force d’opposition représentée à la Douma, sa position est de plus en plus faible. Constitué en juin 90 par la réunion de membres du PC US et du PC RSFSR, il comptait jusqu’en 1999 plus d’un demi million de membres. Depuis 2006, ses effectifs sont tombés à moins de 180 000. Cette régression s’explique par plusieurs facteurs. Bien évidemment, l’électorat vieillissant meurt de mort naturelle et ne se renouvelle pas suffisamment. Bien évidemment il souffre d’une image rétrograde qu’il ne parvient que difficilement à améliorer et Edinaya Rossiya est l’image même du parti moderne. Mais aussi, il est la cible de différentes attaques de part du pouvoir qui, outre sur le plan idéologique, débauche largement dans ses rangs, notamment en proposant des postes de gouverneurs ou la tête de listes Edinaya Rossiya à des élections locales, par exemple dans l’Oblast de Koursk ou dans la région de Krasnoïarsk. Sans oublier le populisme sans frein du parti au pouvoir, qui reprend un discours socialisant depuis quelques années, même si les résultats réels se font attendre, faute d’une vision systémique des réformes.

            1.2 Une droite contrôlée
Quant aux partis de droite, on trouve, pour les partis les plus représentatifs, Edinaya Rossiya, le parti de Jirinovsky (LDPR), le SPS et Iabloko.
            Edinaya Rossiya, parti dominant[6] aujourd’hui l’échiquier politique, a été fondé le 1er décembre 2001 par la réunion de trois partis : Edinistvo [Unité] de S. Choïgou, Otetchestvo [Patrie] de I. Loujkov et Vsya Rossiya [Toute la Russie] de M. Chaïmiev. De nombreuses critiques, en Russie, ont été formulées à son encontre, qu’il s’agisse des pressions faites par les fonctionnaires membres lors des élections[7] ou de sa ressemblance de plus en plus frappante avec le PCUS. Ainsi, plusieurs personnalités politiques contemporaines se sont prononcées sur cette question. Pour M. Gorbatchev, rien ne les distingue, il ne s’agit que d’une mauvaise copie du PCUS. G. Ziouganov insiste, pour sa part, sur la différence d’idéologie, selon laquelle pour Edinaya Rossiya « si tu n’as pas d’argent tu n’es pas un homme ». Cette position est reprise par N. Ryjkov (président du Conseil des ministres de l’URSS de 1985 à 1991) qui ne voit qu’une différence idéologique car leur mode de fonctionnement présente beaucoup de ressemblances. Seul, évidemment, S. Mironov voit une différence fondamentale qui ne permet pas la comparaison : Edinaya Rossiya n’est pas un parti en position de monopole.[8] La question est de savoir si S. Mironov apprécie la situation en droit ou en fait… Et la question se pose vraiment. La caractéristique principale de ce parti est sa volonté clairement affichée à monopoliser le champ politique. Sans parler du débauchage de politiciens d’autres partis, tel Nikita Belykh[9], ou de l’absorption de petits partis, comme cela est en train de se faire avec le parti agraire de Russie[10], des coups de forces sont mis en œuvres contre des partis indépendants. Ainsi, le parti de droite libérale Iabloko, dans une conférence de presse du 15 février 2009[11] s’indigne contre la peur panique qui a pris les dirigeants à l’égard des manifestations et condamne cette pratique qui tend à intimider ou à déclencher des actions pénales à l’encontre d’activistes de Iabloko suite à certaines manifestations, et ce dans toute la Russie, ce qui est le cas, par exemple, de Ivan Bolchakov (Moscou), Vassili Popov (Carélie), Vladimir Gridine (Mordovie), etc. Ces personnes ne peuvent ainsi plus se présenter aux élections municipales, libérant le champ politique. D’autres, comme ce fut le cas à Tomsk, se sont vus interdire l’enregistrement de leur candidature pour les élections locales.
            Cette attitude est plus un aveu de faiblesse que le signe d’un parti stable et fort. Mais cela est peut être compréhensible quand on se penche sur les modalités de recrutement parfois utilisées. Un exemple caractéristique est celui de l’usine AvtoVAZa. Les employés se sont vus opposés un ultimatum : s’ils ne voulaient pas perdre leur place, ils devaient entrer à Edinaya Rossiya ! Cette situation n’est pas unique et le procédé est souvent utilisé par les chefs d’entreprises qui veulent ainsi montrer leur loyauté au parti du pouvoir[12]. Les techniques utilisées par le pouvoir consistent également en un soutien apporté à la création de petits partis qui seront dociles et pourront tranquillement occuper le champ politique, sans gêner. La question se pose en ces termes quant à l’apparition d’une nouvelle coalition de droite, Pravoe Delo [La cause de droite[13]], parti constitué par l’absorption de trois partis : une grande part du SPS, le parti démocratique dont le seul programme est l’entrée de la Russie dans l’Union européenne et le parti Grajdanskaya Sila [Force civile], et qui a pour but la liberté d’entreprise, le maintien de la Constitution de 1993 et la restauration de l’élection des gouverneurs, programme pour le moins ciblé. Son apparition et l’audience dont il bénéficie sur les médias officiels, allant largement au-delà de sa représentativité, soulèvent des doutes quant à son indépendance, surtout si l’on a en vue l’intérêt de minimiser le poids de partis de droite réellement d’opposition comme Iabloko, de mettre un terme à l’indépendance déjà relative du SPS et la nécessité, à terme, de trouver un remplaçant fréquentable au parti de Jirinovsky, qui ne survivra pas à son leader, libérant ainsi un champ politique à droite. De plus, un de ses dirigeants, L. Gozman, ancien idéologue du SPS, a de nombreux liens avec les milieux d’affaires du pouvoir. Il fut lui-même conseiller à l’administration présidentielle de 1996 à 1998, proche de Gaïdar et Tchoubaïs et, de 1996 à 2000, parallèlement à son engagement politique il était le conseillé de Tchoubaïs pour l’entreprise russe d’électricité, ce qui lui a permis, en 2000, d’entrer dans le conseil de direction de trois sociétés liées à l’énergie électrique : Khabarovskénergo, Dal’énergo et Lenergo.
            Le LDPR de Jirinovsky, pour sa part, a été fondé, sous un autre nom à l’époque, le 13 décembre 1989, initialement autour de Vladimir Bogatchev. Au début de l’année 1990, le parti comprenait ... 13 membres. Toutefois, chose surprenante, malgré cela, il a bénéficié d’une large publicité dans la presse soviétique et même la radio officielle en annonçait la constitution. On peut s’interroger sur ce procédé, ne faisait-il pas parti d’une politique publique, souvent envisagée dans la doctrine, consistant en la création d’une « opposition contrôlée », puisque opposition il devait y avoir. Dès le 31 mars 1990, le LDPR comptait plus de 3000 membres dans 31 régions et était le premier parti d’opposition. Sa position pro-soviétique fut très claire et ses membres ont ainsi soutenu les putchistes en août 1991 et ont organisé une manifestation en décembre 1991 contre l’éclatement de l’URSS. Leur position était la suivante: être contre le communisme ne signifie pas pour autant être contre l’Union soviétique comme entité étatique et territoriale. Toutefois, cette prise de position publique leur a valu, par les autorités de la nouvelle Russie démocratisée, d’être dissous par une décision émanant du ministère de la justice du 10 août 1992, se fondant sur les nombreuses violations à la législation entâchant le procédé d’enregistrement du parti. Mais cela ne l’a pas empêché d’être à nouveau enregistré dès décembre 1992. Si le LDPR occupe aujourd’hui la troisième place sur l’échiquier politique russe, aux élections du 12 décembre 1993, avec 22,92% des voix, il en prenait la tête.
            Son attitude envers le pouvoir en place est faite de compromis, voire de compromission puisqu’ils ne se risquent à aucun conflit ouvert avec Edinaya Rossiya, malgré certaines critiques du mode de fonctionnement. S’ils soutiennent systématiquement sur le fond la politique qui est menée par le gouvernement, en votant toujours avec la majorité parlementaire, une certaine lucidité perce dans le discours, souvent provocateur de son leader. Ainsi a-t-il pu déclaré le 17 juillet 2009 à l’assemblée plénière des députés de la Douma d’Etat que « l’état actuel de l’opposition est une insulte à la démocratie ». Dans la mesure où ce point est reconnu par tous, dans la mesure où malgré tout il reste dans les limites informelles imposées, il continue à jouer dans l’arène politique. Ce qui ne fut pas le cas de Iabloko et dans une moindre mesure du SPS.
            En ce sens, la chute vertigineuse de Iabloko s’explique en grande partie par le conflit dans lequel ils sont entrés avec le pouvoir en place sous la présidence Poutine. Originairement constitué à partir d’un bloc électoral autour de Iavlinsky, Boldyrev et Loukine (donnant les premières lettres de l’appellation du parti), de 1993 à 2003 ils ont eu une fraction représentée à la Douma d’Etat, malgré certains conflits intérieurs. La loi de 2001 les pousse à accélérer leur constitution en parti politique, ce qui fut fait en décembre 2002 et ils prennent le nom de Parti démocratique de Russie Iabloko. En 2003, au sommet de leur gloire, ils comptent plus de 85 000 membres et ont des sections locales dans 74 régions de Russie. Leur idéologie, dès le début, est profondément libérale, politiquement avec le soutien aux droits de l’homme et aux libertés indéviduelles et économiquement avec un parti pris pour l’économie de marché. Ils s’opposaient aux deux voies d’alors qui prônaient le retour au communisme ou l’exception russe. Mais le tout était teinté d’une ombre de social. En matière institutionnelle, ils se positionnaient en faveur d’un renforcement des pouvoirs du Parlement en matière de contrôle de l’exécutif, conduisant au renforcement de la responsabilité gouvernementale et à l’intervention de la Douma lors de la nomination des ministres clefs. Ce qui, évidemment, n’a pas été suivi de résultat. Leur position était très critique et souvent ils ont refusé de voté pour des projets de loi ou d’adopter des budgets. Sous la présidence Eltsine, le pouvoir, plus faible à cause de la faible popularité intérieure du dirigeant, avait établi toute une stratégie indirecte visant à l’affaiblissement du parti, notamment en proposant des postes ministériels à des personnes de l’opposition. Ainsi en fut-il du ministère des finances ou de l’emploi, ce qui conduisait à l’exclusion de ces ministres du parti Iabloko. L’arrivée de Vladimir Poutine et sa très forte côte de popularité a changé la donne. Le mot d’ordre dans le parti était de soutenir sur le fond les réformes menées, de ne pas entrer en conflit avec lui, mais de critiquer la politique du gouvernement. Ce qui les a conduit non seulement à perdre leur identité mais, en votant en juin 2003 la motion de censure contre le gouvernement, ils ont étrangement disparu du champ politique et médiatique.
            Le destin du parti SPS, encore plus fortement libéral, n’est pas sans rappeler celui de Iabloko. Toutefois, leur position politique plus souple, leur a permis de rester individuellement dans des sphères influentes, même si le parti en lui-même est en grande parti absorbé par Pravoe Delo. Le SPS a été fondé en 1999 en qualité de bloc électoral regroupant plusieurs mouvements indépendants comme Les élections libres de Russie, Affaires publiques, Nouvelle force ou la Voix de Russie. Dès 1999, ils obtiennent 8,3% des voix et peuvent constituer une fraction à la Douma, ce qui est fondamental pour la visibilité du parti, officiellement fondé le 20 mai 2000. Ses dirigeants sont les grands noms du libéralisme réformateur des années 90 : E. Gaïdar[14], S. Kirienko[15], B. Nemstov, I. Khakamada (maintenant dans l’opposition dure aux côtés de Drougaya Rossiya) ou encore A. Tchoubaïs[16]. Mais leur grande volonté réformatrice s’est heurtée à la défaite des élections de 2003 suite à laquelle ils n’ont pu constituer de fraction à la Douma et entrent dans l’opposition. Ils déclarent alors publiquement que toute collaboration avec le pouvoir est impossible dans la mesure où sa politique a conduit à l’absence d’opposition à la Douma, à l’absence d’une économie de marché compétitive et de libertés démocratiques en Russie, à l’inefficacité des réformes en matière militaire, à la centralisation et à la monopolisation du pouvoir, à la mise sous contrôle des médias. Cependant cette opposition de principe n’a pas empêcher N. Belykh (dirigent du SPS en 2005) d’accepter de devenir gouverneur et ses membres de fusionner avec un nouveau parti de droite pro-kremlin.


2. La peur des mouvements d’opposition
            Le monopole de fait existant au profit du parti Edinaya Rossiya repose sur un mécanisme complexe qui nécessite des ajustements en temps réel. Et la temporalité politique évolue à un rythme extrêmement rapide. Pour perdurer, ce monopole exige que toute opposition soit muselée (2.1) et si elle doit absolument s’exprimer, que cela soit fait dans un cadre permettant d’en limiter les effets. Par exemple, les différents partis politiques ont été reçu par le Président pour lui présenter leur plan anti-crise. Pourquoi devant le Président et pas au Parlement ? Très simplement parce que, de cette manière, Edinaya Rossiya a eu le champ libre pour contrer les oppositions à son propre plan et pour introduire certaines propositions venant des autres partis politiques, mais sous son nom à elle. Cette attitude, quelle que peu enfantine, démontre surtout l’incapacité de penser le débat et de l’organiser aux sein des institutions prévues à cet effet (2.2). Mais en niant la nécessité d’un débat réel, les institutions en place n’en évitent pas pour autant l’existence, elles en sont simplement exclues.

2.1 La limitation de l’opposition
La faiblesse du système « Edinaya Rossiya » est perceptible grace à la peur quasi panique qui gagne ses membres dès que l’ombre d’une contradiction ou d’un débat risquant d’être réel se montre à l’horizon. Ici se trouve certainement l’explication la plus raisonnable de l’absence remarquable de tout représentant d’Edinaya Rossiya lors des débats organisés à l’occasion de la campagne législative de décembre 2007, campagne pourtant extrêmement calme. Mais la présence de députés communistes, réellement d’opposition, a pu être dissuasive. Et si le PC est victime d’une véritable campagne de déstabilisation, c’est principalement pour le museler. Plusieurs députés de la fraction Edinaya Rossiya ont, en ce sens, déclarés que le comportement de certains députés communistes relevaient de l’activité extrémiste et veulent faire reconnaître le fait que l’attitude du leader du PC est incompatible avec les exigences d’un mandat de député[17] ! Et si ces menaces sont mises en oeuvre, le risque est réel car une personne convaincue d’extrémisme ne peut plus se présenter à aucune élection.[18] C’est la manière constructive dont le parti au pouvoir, qui pourtant bénéficie d’une très forte majorité, cherche à détruire toute opposition.
Et ces espoirs sont rendus possibles grâce à la loi fédérale sur l’interdiction des activités extrémistes[19], particulièrement mal construite, dans la mesure où l’article 1er qui, conformément à la tradition législative russe, pose la définition de l’activité extrémiste, ne définit pas réellement quelle activité entre dans la qualification extrémiste, mais énumère tout un ensemble de situations dans lesquelles l’extrémisme peut apparaître. Faute de conceptualisation, il peut s’agir du changement par la force du régime constitutionnel, de la violation des valeurs de la Fédération de Russie, de l’approbation publique du terrorisme ; mais également de la ségrégation raciale, sociale, ethnique, religieuse, qui passe par la propagande de rejet d’individus pour ces raisons ou de la violation de leurs droits électoraux, de l’accomplissement d’un crime ainsi motivé ; la propagande nazie ; la diffusion massive de matériels notoirement extrémistes, leur préparation et leur conservation, etc. Mais, si déjà certaines notions peuvent faire réfléchir, comme l’appel aux valeurs ou le caractère notoire, posant de sérieux problèmes en raison de la largesse d’interprétation à laquelle ils font place, la fin de l’article premier mérite une attention particulière. Ainsi, le seul fait d’accuser faussement un fonctionnaire public, local ou fédéral, d’extrémisme est en soi une activité extrémiste ! L’article 2 est également intéressant puisqu’il pose les principes fondamentaux de la lutte contre l’extrémisme. Il se réfère évidemment à la légalité ou à la transparence mais renvoie à la priorité de la défense de la sécurité de l’Etat. La procédure établie contre les personnes physiques ou morales convaincues d’extrémisme va de l’avertissement à la cessation d’activité. En revanche, fait à souligner, cette procédure peut être mise en oeuvre soit dans les cas prévus par la loi soit dans les cas d’accomplissement par une personne de droit soupçonnée d’extrémisme d’actions entraînant la violation des droits et libertés des citoyens, une atteinte à la personnalité ou à la santé des citoyens, à l’environnement, à l’ordre public, à la sécurité publique, à la propriété, aux intérêts économiques légaux des personnes physiques ou morales, à la société, à l’Etat, ou toute activité en contenant un risque réel.[20] Bref, une personne physique ou morale soupçonnée d’avoir des activités extrémistes peut encourir une sanction parce que ses activités peuvent entraîner un risque pour l’Etat, la société, l’environnement, la santé ... Ce n’est vraiment pas sérieux ! Dans le même sens, une manifestation, qui porterait une contestation sur la voie publique – ce qui est d’ailleurs sa raison d’être –  par le risque qu’elle fait courir en soi d’une atteinte à l’ordre public entraîne le risque de dissolution des associations qui l’ont organisée et ses organisateurs encourrent une responsabilité pénale ! En ce qui concerne les partis politiques, la loi renvoie à la loi fédérale sur les partis politiques[21] qui prévoit, en cas de violation de la Constitution ou des lois fédérales, la possibilité pour la Cour suprême, après avertissement, d’interrompre l’activité de ce parti. S’il est en principe impossible de suspendre l’activité d’un parti une fois élu, une exeption est prévue en matière d’extrémisme. En ce qui concerne les médias, les juridictions de droit commun sont compétentes pour prendre des mesures allant jusqu’à l’interdiction sur requête de l’organe public chargé de l’enregistrement, de l’organe du pouvoir exécutif chargé des médias ou du procureur après avertissement non suivi d’effet ou l’envoie d’un deuxième avertissement dans un délai de 12 mois. Comme le montre la jurisprudence en la matière, les cour des Sujets de la Fédération ont souvent une approche beaucoup trop formaliste de la question et vont jusqu’à violer la procédure établie en raison du manque d’indépendance envers le pouvoir local.
Ce fut le cas, notamment, du journal ingouche « Angoucht » dont la fermeture a été demandé par le département des affaires culturelles, des télécommunications et des médias pour la République d’Ingouchétie à la Cour suprême d’Ingouchétie après qu’ait été envoyé à ce journal un avertissement le prévenant du caractère extrémiste d’un article publié, dépassant le cadre normal de la liberté d’expression occtroyée aux médias. Par une décision du 30 juillet 2008, suivant la décision de la juridiction de première instance, la Cour suprême d’Ingouchétie a décidé de la fermeture du journal, qui avait reçu un deuxième avertissement. Le rédacteur en chef du journal se pourvoie en cassation devant la Cour suprême fédérale, qui, elle, casse la décision et renvoie en première instance. Cette décision pour le moins radicale est due au fait que non seulement les juridictions ingouches n’ont pas vérifier l’existence matérielle des fait d’extrémisme, mais se sont contentées de décompter formellement le nombre d’avertissements et de fermer de journal à la demande des autorités locales, mais non contente de cela, elles n’ont pas permis au rédacteur de s’expliquer lors de l’audience en première instance, bafouant ainsi les droits de la défense ![22] La Cour suprême fédérale, loin de ces intrigues politiques locales, permet de protéger un minimum la presse régionale.
Il est en revanche regrettable qu’elle ne tienne pas une position aussi impartiale quand il s’agit du contentieux des élections nationales. Car, évidemment, un autre moyen de fausser le pluralisme politique est d’influencer les élections afin de minimiser les résultats des candidats adverses, permettant ainsi aux yeux de la population de baisser leur légitimité à contester. Deux affaires en la matière sont intéressantes et concernent les élections législatives très contestées de décembre 2007.
Certains membres du parti de droite SPS ont formé un recours en cassation devant la Cour suprême fédérale demandant l’annulation des élections législatives de 2007 pour violation de la procédure électorale, mais leur demande a été rejetée[23]. Bien qu’ayant déposée et enregistrée leur liste de candidats aux élections législatives, des orgnes du pouvoir exécutif fédéral sont intervenus en utilisant abusivement de leur pouvoir. En conséquence de quoi, la campagne électorale du parti a été, en réalité, complètement paralysée, ce qui a porté atteinte au droit des électeurs de pouvoir choisir librement et en toute connaissance de cause leurs représentants. Plus précisément, dans sept régions de Russie, dont l’Oblast de Moscou ou de Omsk par exemple, les forces de police[24] ont illégalement retiré une quantité significative de documents officiels de campagne (36 millions). La Cour suprême rappelle que seules les infractions ayant une incidence significative sur le résultat des élections peuvent entraîner leur annulation. En l’occurence, elle n’estime pas que ce soit le cas, puisque le parti a été enregistré et qu’il n’a obtenu que 0,96% des voix exprimées. De plus, il a librement établi les modalités de sa campagne électorale et n’était pas obligé de recourir essentiellement à la distribution de ses documents. La Cour, enfin, souligne que ni la « disparition » de documents ni l’intervention des forces de police n’ont pu être prouvées. La question se pose de savoir en quoi le fait que le parti ait obtenu 0,96% est important :soit la violation de la procédure électorale existe et elle exige une sanction, soit elle n’existe pas. Si elle est autorisée, de fait, à l’encontre de petits partis, cela démontre un cynisme sans précédent. Et encore faut-il savoir où est la cause et où est la conséquence.
La seconde affaire significative de la normalisation de fait des atteintes à la procédure électorale est la contestation par le Parti communiste du résultat de ces élections. Ce parti n’étant pas marginal, la Cour n’a pu faire preuve d’une telle légèreté à son encontre, même si de toute manière le résultat final ne change pas : refus d’annuler les résultats des élections.[25] Plus concrètement, des députés du PC contestent le procès verbal établi par la Commission électorale centrale le 8 décembre 2007. Pour cela, ils invoquent deux types de violations qui, de leur point de vue, ont eu une incidence directe sur les résultats des élections et le droit des partis politiques à participer à des élections libres : la violation de la procédure de décompte des voix par les organes étatiques et la violation de la réglementation du temps d’antenne par les médias. La Cour suprême a rejeté la remise en cause du résultat total du vote par une argutie prétorienne. Elle rappelle que la contestation du décompte des voix effectué par les commissions d’arrondissements électoraux doit se faire devant les juridictions de droit commun dont ressortent ces commissions et non devant la Cour suprême elle-même. Elle a ainsi écarté la déposition de 403 témoignages de violation de la procédure de décompte en différents points du territoire de la Fédération de Russie en se fondant sur le fait que le PC ne conteste que la décision de la Commission centrale, rendant automatiquement ces témoignages sans lien avec l’affaire. Mais elle écarte également l’argument fondé sur le refus de signature par l’un des membres communistes de la Commission centrale – le professeur E. I. Kolochine – du procès verbal de décompte total des voix effectué par celle-ci, car même s’il arguait de falcifications et autres violations de la procédure électorale, il n’en a apporté aucune preuve. En ce qui concerne l’égal accès au temps d’antenne, la Cour l’écarte en principe : les partis politiques ont un temps d’antenne gratuit égal, selon la loi. Ancune vérification concrète n’a été faite. L’exigence n’est évidemment pas la même pour le temps payant. Elle souligne par ailleurs, que les personnes publiques affiliées à un parti politique et exerçant une fonction au service de l’Etat ne voient pas leur temps de parole décompté de celui du parti, tant qu’elles ne parlent pas directement de la campagne. Ce qui en soi est une aberration puisque la plupart de ces individus appartiennent à Edinaya Rossiya ou à Spravedlivaya Rossiya et en défendant leurs réformes ou autres actions au sein du Gouvernement ou du Parlement participent directement à la campagne, gratuitement, sans limite de temps et sans débats. En revanche, la Cour n’a pu écarter l’argument selon lequel l’article publié par B. V. Gryzlov, président de la Douma d’Etat, dans Rossiïskaya gazeta et intitulé « Poutine reste le leader de la Russie » -  Vladimir Poutine conduisant la liste Edinaya Rossiya aux législatives – violait la législation électorale. Toutefois, si la violation de la procédure électorale fut qualifiée, elle ne put avoir eu de conséquences significatives sur le résultats des élections et ne justifie pas en elle-même l’annulation des résultats électoraux. Enfin, la Cour estime infondées et purement et simplement spéculatives les autres critiques visant les déclarations de Vladimir Poutine lors de la campagne électorale et le jour des élections.
Les derniers évènements de la vie politique russe montre que les rouages de la mécanique d’Etat font corps avec le parti dominant pour limiter au maximum la possibilité de parole des autres mouvements politiques, ainsi que leur possibilité d’existence. Car il s’agit bien de l’existence de ces partis : si un parti politique ne peut avoir suffisamment de sièges, ou s’il ne peut en voir du tout, sa légitimité à critiquer et ses possibilité d’actions diminuent d’autant car il n’est plus considéré comme représentatif de l’opinion publique. Cette manière d’évacuer le débat politique hors des sphères normalement prévues à cet effet, à savoir le Parlement, est extrêmement dangereuse car il ne suffit pas de refuser de voir la contradiction pour que celle-ci n’existe plus.
           
2.2 Le rejet d’un débat institutionnalisé  
Quand le système polico-institutionnel est verrouillé, les deux principaux lieux d’expression du mécontentement populaire et de débat politique sont la rue et internet. En ce sens, la crise financière et économique qui touche actuellement la presque totalité des Etats, s’est transformée en Russie, en crise sociale et politique. Si le pouvoir en place peut se permettre de réprimer ou d’interdire les manifestations de mouvement politiques n’ayant qu’une faible légitimité populaire, comme celles régulièrement organisées par Drougaya Rossiya, il ne peut pas se permettre de traiter de la même manière les mouvements sociaux apolitiques qui émergent dans tout le pays, qu’il s’agisse de manifestations ou de mouvements de grève, dus à la dégradation rapide des conditions d’existence de la majorité de la population[26], comme ce fut le cas à Vladivostok.
Le mythe du leader national et de son incommensurable soutien populaire a été largement mis à mal. Sa cote de popularité est d’ailleurs passée de 62% en février 2008 à 48% en février  2009, loin des chiffres officiels qui le maintiennent en tête.[27] Dans ce cas, le pouvoir ne peut encore franchir une barrière, celle du sang. Mais ne sachant non plus comment réagir, une chape de plomb est jetée sur toutes ces actions protestataires. Certains politologues, comme Glev Pavloskiï, semblent sous-entendre que certains mouvements sociaux sont issus d’un des clans au pouvoir, le « parti pro-crise » calme quand il y avait de l’argent et qui proclamerait aujourd’hui : « "Pas d’argent – va pour la liberté !" Je répète que s’il est question de l’origine des mouvements sociaux en Russie, cherchez les dans les corridors du pouvoir. »[28].
Le problème le plus important posé par l’opacité politique russe n’est pas celui d’une absence d’opposition, mais de son caractère caché. L’opposition réelle, c’est-à-dire l’existence d’une voie alternative à celle choisie pour le développement du pays, ne peut se retrouver dans la carte des partis politiques. En ce sens, certains politologues russes ont développé une analyse fort intéressante de cet état de fait, mis en lumière grâce – ou à cause, selon le point de vue – de la radicalisation et de la spécification des intérêts politiques en jeu, phénomène résultant de la crise financière et phénomène constituant une réelle crise politique. Il faut toutefois préciser à titre préliminaire que cette crise politique trouve son origine première dans le système politique lui-même qui, par excès de formalisme, fausse l’esprit de la Constitution et a favorisé un mode de gouvernance bicéphale (Président de la Fédération et Premier ministre) ne trouvant son explication que dans une conception patrimoniale du pouvoir et une peur de l’alternance. V. Poutine devait partir, car tout son discours se fondait sur le respect et la supériorité de l’acte constitutionnel qu’il se refusait à modifier et qui lui interdisait un autre mandat consécutif, mais soit par volonté personnelle soit par la volonté des groupes qui le soutiennent (et le financent), il devait rester. Or, deux personnalités ne peuvent diriger un pays en même temps, sans oblier qu’occuper une fonction donne souvent envie de la réaliser pleinement. Ce qui a produit l’émergence de deux clans, autour de ces deux personnes.
            Pour être schématique, deux visions de la société s’opposent. La première voie, incarnée par D. Medvedev et son clan qui ne veulent pas que la crise actuelle conduise à une guerre civile et au sang. Ils pensent pouvoir éteindre le feu par un arrosage massif d’argent. La seconde voie est représentée par V. Poutine et les siens qui tout en étant partisans d’un système capitaliste correspond plus à « un capitalisme pour les amis » avec, en parallèle, une peur du peuple qui confine à l’obsession, d’où cette volonté sans nuance de le tenir en main et de limiter au maximum toute contestation. La première voie a été appelée celle du Parti Babla (le parti du Fric) par A. Kolesnikov[29] ou du Parti de Février par A. Piontovsky[30] qui parle également du Parti des cleptomanes globalisés. La seconde voie est celle, selon A. Kolesnikov, du Parti du sang appelé par A. Piontovsky Parti du Bunker ou Parti des cleptomanes nationalistes. La vision développée par ces analyste est celle d’un sénario catastrophe, mais elle a le mérite de montrer l’impasse dans laquelle se trouve le système politique russe actuel si une troisième voie n’émerge pas.
            La controverse a commencé sur le site grani.ru[31] par un article de A. Piontovsky[32] fortement critique, dans lequel il envisage deux scénarios « catastrophes ». En partant de la constatation selon laquelle le système de « cleptomanie poutinienne » actuellement en vigueur non seulement n’est pas viable mais est particulièrement dangereux pour la Russie, deux évolutions sont possibles. Le premier scénario voit la victoire des cleptomanes nationalistes et ainsi le départ de D. Medvedev suivit du retour de V. Poutine, accompagné d’une politique liberticide, d’une réduction de toute opposition potentielle au silence et d’une tentative de regroupement des terres historiquement russes de l’espace post-soviétique. A. Piontovsky, dans ce cas, estime la chute de la Fédération de Russie inévitable dans un délai allant de un à deux ans. Le second scénario voit la victoire de D. Medvedev avec le départ de V. Poutine, avec un développement de l’idéologie de la concurrence en économie et en politique, mais sous l’impulsion du somment, de la réunion d’une assemblée constituante avec la promesse d’un départ de D. Medvedev. Dans ce cas, encore deux possibilités : soit une révolution extrémiste[33] qui conduit à terme également à la chute de la Fédération de Russie, soit la formation d’une coalition de gauche libérale bénéficiant d’un large soutien populaire, ce qui sauve le pays et le lance réellement sur la voie de la démocratie. Il estime les chances de ce scénario optimiste à pas même 15% …
Cet article a provoqué la réaction, toujours sur le site grani.ru, d’un journaliste analyste de Kommersant, A. Kolesnikov, proche du clan Medvedev, en défendant la position du Parti Babla, seule option libérale possible. Il confirme bien que la ligne de démarcation pouvoir-opposition n’est plus une grille de lecture pertinente. Pour lui, la distinction se fait entre les tenant du Parti Babla qui regroupe tous ceux qui, au pouvoir ou non, pensent que la solution monétaire permettra de sortir de la crise et les tenant du Parti du Sang qui s’inspirent de méthode plus réactionnaires dirigées contre le peuple. Toutefois, bien qu’appelant à la discussion entre la société et le pouvoir pour rétablir la nécessaire confiance en les institutions, il précise de manière surprenante que « les actions protestataires quelles qu’elles soient – de motivations économiques, purement politiques ou vandales – seront de toute manière considérées comme dirigées contre le pouvoir. (…) C’est une tactique de répétition de guerre civile »[34]. Ainsi, A. Kolesnikov et le Parti Babla placent eux aussi le peuple dans la zone ennemie et envisagent le recours à la force, sans le dire directement, peuple qui est décidemment rejeté en bloc par la classe politique. Position quelle que peu surprenante pour un parti qui se considère comme la seule force capable d’éviter la guerre civile ! Mais ceci s’explique aussi par la manière dont ce parti a émergé dans les années 1990. Il était alors, selon A. Piontovsky[35], le parti de la démocratie, de l’économie de marché, de la civilisation européenne[36]. En 1991 et en 1993, le peuple russe leur a donné carte blanche, mais le développement du cynisme chez ces réformateurs, leur intégration dans le parti Courchevelle a fait chuter leur légitimité, dont le signe fut alors assez fort aux élections de 1996. Il a fallu faire appel aux siloviki en 1999, qui ont petit à petit pris le pouvoir, notamment dans le domaine économique. Le problème est aujourd’hui que ce « mutant féodalo-bureaucratique » n’est plus viable et qu’aucun débat n’est ouvertement possible pour trouver une solution pour le remplacer. En effet, la chute de ce mutant risque d’entraîner tout sur son passage, tout c’est-à-dire non seulement les tenants du parti du Sang mais également ceux du parti Babla, sans qu’une solution de rechange ne soit prête, et sans que cela ne se passe sans casse. Un ex-KGBiste disait sous couvert de l’anonymat que s’il avait fallu faire exploser des immeubles à Moscou pour permettre l’arrivée de Poutine, que faudra-t-il faire pour qu’il parte …[37]
           
                       



[1] P. Beneton, L’Etat et la crise de la politique, in R. Drago (sous la dir. de), Le rôle et la place de l’Etat au début du XXIe siècle, PUF, 2001, p. 9
[2] Sur le multipartisme en Russie, voire l’article de A. N. Koulik, Mnogopartiïnost’ v elektoral’noï democratii postsovietskoï Rossii : v tchem smysl eio souchestvovaniya ?, in M. V. Iline et S. V. Rogatchev (sous la dir. de), Rossiya. Polititcheskie vyzovy XXI veka, ROSSPEN, 2002, p. 189-194
[3] Pour plus de détail sur ce parti, voir son site www.spravedlivo.ru
[4] En 2007, ils ont été rejoint par Narodnaya partiya Rossiïskoï Federatsii [le parti populaire de la Fédération de Russie] et Socialistitcheskaya edinaya partiya Rossii [le parti socialiste uni de Russie].
[5] Interview du 25 février 2009 sur le site officiel de Spravedlivaya Rossiya, www.spravedlivo.ru
[6] Sur la manière dont Edinaya Rossiya a spécialement été constitué pour être un parti dominant, voir l’excellent article deO. J. Reuter et T. F. Remington, Dominant Party Regimes and the Commitment Problem. The Case of United Russia, Comparative Political Studies, vol. 42, n° 4, April 2009, p. 501-526
[7] Voir l’exemple connu du maire de Khabarovsk qui a officiellement conseillé, avant les élections à la Douma de 2007, aux présidents des commissions électorales d’entrer dans le parti Edinaya Rossiya, vu le rôle particulier qu’il a dans le pays. Pour plus de détails, voir Kommersant, 21/09/2007
[8] Pour plus de données, voir l’article de Kommersant Vlast du 6 août 2007, Tchem « Edinaya Rossiya » otlitchaetsia ot communistov ?
[9] Nikita Belykh était un leader du SPS. Il s’est prononcé contre l’intégration du SPS dans la coalition de droite Pravoe Delo soutenue par le Kremlin et a quitté le parti. Proposé par le Président D. Medvedev au poste de gouverneur de l’Oblast de Kirovsk, il fut critiqué par l’opposition pour son acceptation.
[10] Voire le site d’informations politiques www.qwas.ru/russia/ du 5 novembre 2008
[11] Pour plus de détails voir www.qwas.ru/russia/
[12] Voir la déclaration de A. Babakov sur le site www.qwas.ru/russia/  
[13] Jeu de mots avec l’expression « cause juste »
[14] E. Gaïdar, politicien et économiste, occupa de nombreux postes ministériels sous la présidence Eltsine, comme vice premier ministre pour l’économie, ministre de l’économie, ministre des finances et premier ministre entre 1991 et 1993.
[15] S. Kirienko, politicien et économiste, fut un premier ministre de compromis en 1998 sous la présidence Eltsine et son vice premier ministre était alors B. Nemtsov.
[16] A. Tchoubaïs, économiste et homme d’affaires, il a également occupé des fonctions politiques sous la présidence Eltsine en étant vice premier ministre en 1992 puis de 1994 à 1996, membre du Conseil présidentiel pour la politique extérieure en 95-96, directeur de l’administration présidentielle en 96, ministre des finances en 97. Il dirige depuis des grandes corporations étatiques.
[17] Voir le site politique qwas.ru/russia/ du 27 février 2009
[18] Article 4-2.1 de la loi fédérale du 18 mai 2005 dans la rédaction du 3 juin 2009 sur l’élection des députés à la Douma d’Etat de la Fédération de Russie ; article 5-2.2 de la loi fédérale du 10 janvier 2003 dans la rédaction du 3 juin 2009 sur l’élection du Président de la Fédération de Russie.
[19] Loi fédérale du 25 juillet 2002 n°114-FZ dans la rédaction du 29 avril 2008 sur l’interdiction des activités extrémistes.
[20] Article 9 Loi fédérale sur l’extrémisme
[21] Loi fédérale du 21 mars 2002 n° 31-FZ dans la rédaction du 12 mai 2009 sur les partis politiques, article 39 : Interdiction de l’activité des partis politiques
[22] Pour plus de détails, voir la décision de la Cour suprême de la Fédération de Russie du 30 septembre 2008 n°26-GO8-10
[23] Voir la décision de la Cour suprême de Fédération de Russie du 11 septembre 2008 n° KAS08-459
[24] Le terme utilisé en russe est « pravookhranitel’nye organy ». Or, ce concept a subi de fortes modifications en raison de l’absence de construction théorique d’une vision globale du système judiciaire. Il regroupe ainsi tant les forces de police que tout organe qui participe d’une manière ou d’une autre au processus judiciaire, dont les procureurs, les avocats, etc. Dans une conception moderne qui tend ces dernières années à se développer, il concerne essentiellement les organes dotés de pouvoirs de police, suite à l’émergence doctrinale d’une volonté de limiter plus précisément ce concept. Dans l’arrêt, il est justement employé dans ce sens étroit, d’où la traduction proposée d’organes de police.
[25] Voir la Décision de la Cour suprême de Fédération de Russie du 8 octobre 2008 n°KAS08-478
[26] Voir par exemple le site de l’Institut de l’action collective dirigé par Carine Clément à Moscou qui recense et analyse semaine par semaine toutes les actions contestataires en Russie, www.ikd.ru .
[27] Pour plus de détails voir le site du Centre Levada, www.levada.ru
[28] Povloskiï pougaet, Budberg ouspakaivaet, www.anticompromat.ru, 3 mars 2009
[29] A. Kolesnikov, Novyï vodorazdel, grani.ru, 23 janvier 2009
[30] A. Piontovsky, Tretiï fevral’, grani.ru, 7 janvier 2009
[31] Le site grani.ru est l’un des pricipaux sites contestataires à côté d’autres comme www.specletter.com, compromat.ru et anticompromat.ru ou encore le traditionnel www.echo.msk.ru.
[32] A. Piontovsky, Razvulka-2009, grani.ru, 30 décembre 2008
[33] Sur la réalité du danger extrémiste en Russie voir Radikal’nyï rousskiï natsionalizm : strouktoury, idei, litsa, 2 mars 2009, xeno.sova-center.ru/45A2A1E/C93763D.html
[34] A. Kolesnikov, Novyï vodorazdel, grani.ru, 23 janvier 2009
[35] A. Piontovsky, Kratkiï kours istorii PB, grani.ru, 27 janvier 2009
[36] On retrouve les idéologues de ces années, non seulement à la tête de grandes entreprises stratégiques, mais également pour les plus théoriciens d’entre eux, dans des groupes de conseils particulièrements voilés, comme le groupe Sigma, ou à travers d’institutions au profil singulier comme l’Institut pour le développement national. Par l’organisation de groupes de réflexion, ils essaient de sortir d’une situation à laquelle ils ont largement contribué, ayant au moins l’intelligence de comprendre l’impasse dans laquelle ils se sont engloutis après l’euphorie des années 90.
[37] Sur ce point de vue, voir l’article de A. Grigor’ev, Teoriya zagovora, Journal Kompania, 23 février 2009, www.ko.ru