Après avoir signé la première un Accord de coopération en matière de sécurité, autrement dit un accord militaire, en janvier 2024, suivie en cela notamment par la France et l'Allemagne, la Grande-Bretagne passe au stade supérieur et conclu un accord pour rien moins de 100 ans, avec une dimension idéologique et économique, qui ne sont pas moins fortes que la dimension militaire. L'Ukraine ne doit plus, comme depuis plus d'un millénaire, être russe, elle ne peut être ukrainienne, elle doit être un avant-poste du monde atlantiste, donc elle ne peut qu'être globale. C'est ce que cet accord prévoit. Quelles que soient les futures "négociations américaines" avec la Russie. Bref, la Russie ne peut garantir sa sécurité stratégique dans cette configuration du monde.
Janvier 2024 fut le mois de la conclusion des accords de 10 ans avec l'Ukraine (voir notre texte ici), janvier 2025 est celui des accords de 100 ans. Peut-on bloquer l'histoire par des actes internationaux ? Non, car ils ne sont valables que tant que les parties sont en mesure de les garantir. En revanche, l'on peut tenter de modeler la vision du monde avec ces accords et c'est ce que tente de faire la Grande-Bretagne ici.
Le nouveau Premier ministre britannique vient de faire sa première visite en Ukraine, passage obligé pour tout représentant atlantiste qui se respecte et qui veut se faire respecter. Et la presse française titre sur "l'accord historique" passé entre la Grande-Bretagne et l'Ukraine ce 16 janvier, sans surtout prendre le risque d'analyser de quoi il s'agit.
Le site du Gouvernement britannique a publié un communiqué de presse précisant les grandes lignes de cet accord. Si l'on classifie le contenu - de ce qui est publié, l'on peut déterminer trois blocs de dispositions : un bloc idéologique, un bloc militaire et un bloc économique. Ce triptyque est fonctionnellement complet : la substance du monde global s'appuie sur certains axiomes, qui par définition ne se discutent pas et permettent d'assurer la transition idéologique d'une société vers un autre modèle ; la dimension militaire doit permettre d'assurer à la fois le contrôle physique de ce territoire nouvellement idéologisé face à des sociétés ne partageant pas cette idéologie, et de tenter l'élargissement du territoire nouvellement idéologisé, notamment en déstabilisant les frontières ; la dimension économique a pour but et de rendre pérenne cette nouvelle forme de colonisation, afin que les puissances colonisatrices puissent se rembourser de leurs investissements (notamment militaires), mais aussi d'intégrer plus profondément le nouveau territoire.
Bref, l'Ukraine est morte, vive la "Compagnie de l'Ukraine globale" !
Le bloc idéologique n'a rien de très original. Il commence par la fameuse réforme de l'ONU, qui soi-disant ne marche pas et qui devrait mieux fonctionner.
DÉTERMINÉS à travailler ensemble pour défendre les principes de la Charte des Nations Unies (ONU) et pour soutenir la réforme des institutions de l’ONU, y compris la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, afin de garantir qu’elles puissent répondre aux nouveaux défis et de les rendre plus représentatives du monde d’aujourd’hui.
Mais que signifie cet "échec" de l'ONU et qu'attend-on de cette institution ? Nous en avons souvent parlé, mais pour reprendre les grandes lignes, rappelons simplement que soit une organisation internationale - supérieure donc à l'Etat - peut décider contre les Etats (c'est la globalisation), soit l'Etat garde sa puissance (car il est souverain) et un compromis doit être trouvé avec son accord. La question est de savoir où institutionnellement est le lieu de pouvoir. L'ONU ne peut régler que les différends techniques, elle ne peut résoudre un conflit existentiel, et heureusement, car sinon nous aurions basculé dans la globalisation. L'ONU, ou quel que soit le système international qui découlera de ce nouveau conflit, ne pourra fonctionner que lorsque ce conflit sera résorbé et qu'un nouvel équilibre international sera atteint, pour un certain temps. Espérons qu'alors non plus, il ne sera pas omnipotent, sinon les Etats- souverains auraient perdu et les peuples seront pris en otage.
Nous avons ensuite toute la litanie des cultes globalistes : le climat, l'IA, l'immigration, féminisme, la tolérance ... Et cela passe évidemment aussi par le contrôle des éléments constituant d'une société et garantissant la légitimité de l'Etat, comme la justice, l'enseignement, la recherche ... Et surtout par le contrôle, aujourd'hui, de l'espace d'information, c'est-à-dire et du discours produit sur le territoire contrôlé, et du contrôle des esprits sur ce territoire. Toute une série d'articles traite de ces aspects, sans originalité aucune, en reprenant le laïus établi.
La "Compagnie de l'Ukraine globale" ne peut être intégrée dans le monde global qu'à ces conditions. Ainsi, l'on comprend pourquoi l'Eglise canonique orthodoxe est l'objet d'une guerre à mort, elle est d'un autre monde, de quand l'Ukraine était elle-même. Idem en ce qui concerne la lutte contre l'histoire, la littérature, la culture en général.
Et ce but général d'une intégration globaliste d'une Ukraine fantasmagorique est posé dans le préambule de l'accord :
RÉITÉRANT l’importance de maintenir une forte dynamique en vue de satisfaire aux critères de référence de l’UE, du Fonds monétaire international (FMI) et de l’OTAN et d’autres réformes clés pertinentes qui renforceront la démocratie, la sécurité et l’économie de l’Ukraine
Le bloc militaire prévoit à la fois l'intensification et l'élargissement des relations entre le monde global et l'Ukraine. Il est important d'attirer votre attention sur l'ordre chronologique de l'accord : le but de l'élargissement est placé avant la question du renforcement de la coopération militaire, ce qui indique bien la finalité de cette dernière. Puisque la question de l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN est l'un des buts généraux, qui doit conditionner le sens de la coopération ensuite décrite, notamment en matière militaire.
RÉAFFIRMANT leur soutien aux aspirations européennes et euro-atlantiques de l’Ukraine, l’adhésion à l’OTAN étant la meilleure garantie de sa sécurité et le Royaume-Uni étant déterminé à soutenir le parcours irréversible de l’Ukraine vers l’adhésion à l’OTAN,
Et la question militaire est traitée à l'article 1, soulignant bien la prépondérance de cet aspect sur les questions économiques. Le politique détermine bien ici l'économique.
Renforcement des capacités de défense
Les Parties approfondiront leur coopération en matière de défense, renforceront leurs capacités militaires et industrielles de défense, y compris le développement des forces et la collaboration entre leurs bases industrielles de défense, renforceront les achats de défense de l’Ukraine et transféreront des technologies pour la production conjointe de produits de défense (y compris par le biais d’initiatives conjointes), en mettant l’accent sur l’innovation et le renforcement de la protection des droits de propriété intellectuelle des technologies transférées, et en s’alignant sur les exigences de l’OTAN.
Ensuite, pour la 4e fois, le texte revient sur la question de l'OTAN, cette fois-ci à l'art. 2.
Renforcer la sécurité et parvenir à un consensus sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN
Les parties s’appuieront sur les domaines qui profitent à la paix et à la stabilité euro-atlantiques bien au-delà de la guerre, en reconnaissant le rôle essentiel de l’Ukraine dans la sécurité euro-atlantique, en mettant l’accent sur l’interopérabilité de l’Ukraine et sa contribution en tant que futur allié de l’OTAN.
Et la question du contrôle des mers, pour un pays comme la Grande-Bretagne, ne peut être ignorée et est ici pudiquement dénommée "sécurité maritime" à l'art. 3. Le second alinéa est particulièrement révélateur de la vision du monde atlantiste:
Les Parties établiront un partenariat en matière de sécurité maritime, notamment dans le but de renforcer la sécurité de la mer Baltique, de la mer Noire et de la mer d’Azov.
Rappelons simplement ici que, à ce jour, la mer d'Azov est une mer intérieure russe. Ni l'Ukraine, ni la Grande-Bretagne ne peuvent avoir leur mot à dire.
Suit le troisième bloc, celui de la coopération économique en général, qui est le moins développé (art. 4), et ne se conçoit évidemment pas sans une fameuse "transition climatique" (art. 5). Il est vrai, que le passage à l'énergie verte peut être utile à l'Ukraine actuellement ... Nous ne sommes pas dans une véritable logique de relance économique au niveau national, ni de réindustrialisation. Le monde global n'est pas un monde libéral.
Cette approche rappelle dans les grandes lignes la logique coloniale de la Compagnie des Indes. Cette idée de mêler les grands capitaux à la colonisation d'un territoire, Colbert l'avait eu avant les Britaniques. Dans les deux cas, elle s'est soldée par la faillite de ces entreprises. La logique politique de puissance d'un Etat ne correspond pas aux exigences des entreprises privées ni à l'impératif du bénéfice immédiat et comptable. Le monde global répète les mêmes erreurs, que celles faites par les Empires, car il en a finalement la même logique profonde.
En ce sens, l'intégration idéologique de l'Ukraine est bien le but essentiel de cet accord, qui à l'art. 9 revient encore sur la question, en mode profession de foi, utilisant manifestement la répétition pour mieux appuyer les idées :
Exploiter les liens socioculturels
Les Parties collaboreront dans un large éventail de domaines, notamment les droits de l’homme, l’égalité des sexes et l’inclusion sociale, la protection sociale, les soins, la réforme, l’éducation, la santé, le climat, le sport, et rapprocheront leurs sociétés.
Les Parties, conscientes que la culture fait partie intégrante du développement durable de la société, approfondiront la coopération dans les domaines de la culture, de la préservation du patrimoine culturel et encourageront la coopération entre les industries créatives.
D'un côté, l'on voit une démarche bien rationnelle, visant à limiter les marges de manoeuvre, pour ces échanges entre la Russie et les Etats-Unis au sujet de l'Ukraine, quand personne n'est sûr de la politique américaine à venir, alors que le conflit ne tourne pas sur le terrain en faveur des Atlantistes. Avec l'arrivée de Trump et l'annonce faite par son équipe d'un futur échange entre lui et Poutine. Avec pour l'instant le refus d'envoyer des militaires des pays de l'OTAN pour aller se battre contre la Russie, malgré les déclarations floues de Macron en la matière. Les Atlantistes tentent ainsi de façonner des frontières, qui leur soient favorables, lors de ces négociations, dont la dimension fantasmagorique n'est pas à négliger.
D'un autre côté, il y a bien une fuite en avant, avec la tentative de créer un monde de plus en plus décalé de la réalité. De quelle coopération peut-on parler en matière médicale avec l'Ukraine? Même si le système médical britannique est lui aussi en échec chronique, au moins il existe. De quelles frontières étatiques s'agit-il dans cet accord, quand il traite de la mer d'Azov et de la mer Baltique (quel est le rapport avec l'Ukraine?) ? De quel renforcement du système démocratique ukrainien peut-on sérieusement envisager, quand tous les partis d'opposition ont été dissous ?
et du contrôle des esprits sur ce territoire - (j'en tremble) et du reste aussi d'ailleurs
RépondreSupprimer