R. Kuzmine, ancien vice Procureur général ukrainien, avocat
Le régime ukrainien post-Maïdan est polymorphe, tout à la fois intrinsèquement corrompu, totalitaire, et violent. Selon le point de vue, un aspect sera plus visible que l'autre, mais l'ensemble de ces traits commencent à être reconnus par les instances internationales, qu'il s'agisse du FMI ou de l'UE en ce qui concerne la corruption ou de l'ONU, Amnesty International ou autres ONG en ce qui concerne le recours à la violence comme mode de gouvernance (tortures, enlèvements, répressions et assassinats de journalistes ...). Pour autant, la communauté internationale refuse toujours par principe le parallèle entre ce régime et le régime nazi. Même si de nombreux traits les raprochent, bien au-delà de l'utilisation de la symbolique nazie par les bataillons punitifs ukrainiens.
C'est pourquoi je voulais vous proposer la lecture d'un texte écrit par Renat Kuzmine, qui m'a été proposé sur ce sujet. Ancien vice-procureur général d'Ukraine, candidat aux présidentielles de 2014 contre Poroshenko, originaire de Donetsk, actuellement avocat, il lance un réquisitoire que je vous laisse découvrir.
Pour la défense de Piotr Poroshenko
Renat Kuzmine
Ces
derniers temps le président ukrainien est de plus en plus souvent accusé d'entretenir des rapports très étroits avec l’idéologie nazie et d'utiliser les principes hitlériens dans sa modalité de gouvernance. Pourtant, jusqu’ici personne n’a jamais été en mesure d’apporter de preuves solides pour étayer cette thèse. Je me propose donc de vous présenter mes arguments pour la défense du Président ukrainien.
1.
Hitler est arrivé au pouvoir sans avoir de majorité électorale, grâce à une alliance entre les nazis et les militaristes. Bien que Poroshenko,
tout comme Hitler, n’ait pas non plus obtenu la majorité des voix des électeurs
ukrainiens, sa victoire a été possible grâce à l’alliance des radicaux, des oligarques
corrompus et des services secrets occidentaux, qui ont soutenule renversement inconstitutionnel
du régime. Et comme on dit à Odessa (NDT : villes célèbre pour son
humour) : « cela fait deux grosses différences ! »
2.
Hitler a fondé un Etat nazi et un système juridique nazi en promulguant le
principe « La race par dessus tout ». Porochenko est en train de
créer un Etat criminel et corrompu ainsi qu’un régime juridique répressif, en se cachant derrière le principe « La nation par dessus tout » («Нація понад
усе»).
3.
La politique intérieure d’Hitler s’est caractérisée par :
- l’identification
de l’Etat au nazisme ;
- la
mise en place d’une politique de terreur contre les opposants au régime ;
- la
déchéance des droits civils, politiques et patrimoniaux des groupes sociaux dérangeants le régime ;
- la
rhétorique militariste de l’Etat.
La
politique intérieure de Poroshenko se caractérise par :
- l’identification
de l’Etat au nationalisme radical ;
- la
mise en place de la terreur politique contre les fonctionnaires du précédent Gouvernement et les opposants à la soi-disant « opération antiterroriste »
(NDT : appellation donnée par le régime kiévien à la guerre contre la
population du Donbass) ;
- la
déchéance des principaux droits civils de groupes sociaux gênants le régime par le recours à la lustration et aux poursuites pénales;
- la
militarisation de la vie quotidienne de la société.
4.
A l’époque d’Hitler, les unités armées d’assaut avaint été formées pour défendre
les intérêts de l’Etat. Par la suite, elles ont joué le rôle d’une « police auxiliaire».
Avec Poroshenko, les bataillons de volontaires sont formés dans le but du maintien de l’ordre dans la zone d'opération antiterroriste.
5.
La doctrine juridique nazie a légalisé tous les moyens qui, à son avis, allaient dans le sens de « la race pure ». Ainsi, le
recours aux unités armées contre les opposants du régime, les pillages
de masses et les assassinats des civils ont été reconnus comme légitimes. Arrivé
au pouvoir, Hitler a annoncé l’amnistie pour les unités d’assaut. Quant à la
doctrine juridique ukrainienne, elle reconnait comme légitime tout ce qui, selon
le pouvoir, correspond aux attentes de « la nation ukrainienne ». Elle
admet le recours à la violence envers les fonctionnaires du Gouvernement
précédent et envers tous ceux qui s’opposent à l’opération antiterroriste, ainsi
que les pillages des civils dans le but de «défendre les intérêts de
l’Etat». Poroshenko a annoncé l’amnistie pour les crimes commis par les combattants des
bataillons punitifs et les membres des forces de l'ordre ayant participé à l’opération antiterroriste.
6.
Hitler a interdit le parti communiste et le parti social-démocrate. Poroshenko
a interdit le parti communiste. Hitler a écarté les juifs, les communistes et
les sociaux-démocrates de la vie sociale, politique et professionnelle. Poroshenko
a écarté les fonctionnaires du Gouvernement précédent et les opposants
politiques.
7.
Du temps d’Hitler, la Gestapo a obtenu le droit de mettre la main sur les
opposants au régime nazi pour « protéger l’Etat ». Les opposants ont
été déportés dans des camps de concentration, où ils étaient torturés et éliminés
physiquement. Sous Poroshenko, les gens présentant un danger pour le régime sont
détenus dans « des prisons secrètes », dans lesquelles les missions d’observation
de l’ONU et l’OSCE ont constaté le recours aux tortures et aux exécutions sommaires.
8.
Du temps d’Hitler, les troupes SS étaient considérées comme des troupes d’élite exécutant sur ordre de l’Etat nazi des missions spécifiques, telles que les opérations
punitives contre les civils, la garde des camps de concentration, l’élimination
physique des groupes sociaux et ethniques qui s’opposaient au régime. A l’époque
d’Hitler, la division SS ukrainienne “Galychyna”, le bataillon SS “Nachtigall” et d'autres ont commis des crimes de guerre sur le territoire de l’Ukraine et de
la Biélorussie. Sous Poroshenko, les criminels de guerre ukrainiens, ayant
participé aux massacres des civils, sont considérés comme des héros. Une des rues
de Kiev, capitale de l’Ukraine, portera bientôt le nom de Roman Shukhevych, Hauptsturmführer SS, et une
avenue a déjà été rebaptisée en l’honneur S. Bandera, le chef de l’UPA/OUN.
9.
Hitler a utilisé un acte terroriste - l’incendie volontaire de Reichstag,
organisé par les nazis - comme prétexte pour organiser des représailles de
masse et usurper le pouvoir. Ce fait divers a mobilisé l’opinion publique et
a laissé les mains libres à la police. Poroshenko utilise dans le même but la
guerre du Donbass déclenchée par le régime en place et appelée «opération
antiterroriste» (ATO).
10.
Du temps d’Hitler, l’assassinat des publicistes opposants tel que Jung était
justifié par “la colère juste d’une nation saine”. Sous Poroshenko, ont tue non
seulement les journalistes d’opposition, comme le fut Oles Bouzyna, mais aussi
ceux qui sont relativement neutres vis-à-vis du régime, mais qui se permettent
de critiquer le pouvoir de temps à autre, comme, par exemple, Pavel Cheremet.
11.
Hitler a tenté de fonder une église protestante allemande unie qui soutiendrait
l’Etat nazi, notamment en justifiant la politique militariste du Troisième
Reich. Les prêtres s’étant opposés à cette idée ont été l’objet de violences de la part des
forces de l’ordre et d'arrestations de masses de par la Gestapo. Poroshenko tente de
créer une église locale uniate ukrainienne qui doit soutenir le pouvoir
ukrainien, notamment en justifiant le bain de sang dans la zone de l’opération
antiterroriste. Les prêtres qui gênent le pouvoir subissent la violence des volontaires des bataillons punitifs et "des activistes patriotes ", ainsi que la pression
administrative du pouvoir.
12.
Hitler a conduit de force la germanisation des territoires envahis. Par exemple,
afin de transformer la Tchécoslovaquie en colonie allemande, les citoyens
de ce pays ont été obligés de parler allemand et la législation a été mise en
conformité avec la législation nazie. Sous Poroshenko, les fonctionnaires
apprennent l’anglais, les lois sont modifiées sur les ordres de l’ambassade américaine
et des conseillers et des employés des services étasuniens interviennent dans
tous les organes d’Etat.
13.
Hitler a fondé un Etat nazi sans trop se soucier de son propre enrichissement. Il
n’a pas possédé de confiseries qui auraient travaillé sous l’URSS. Lors de son
mandat présidentiel, Poroshenko a accru sa fortune sur fond d’un appauvrissement
critique de la population. Sa confiserie à Lipetsk fonctionne toujours en Russie
et remplit les caisses du budget fédéral, par lequel est financée l’armée russe et contre
laquelle, à en croire Poroshenko, ce dernier mène une guerre farouche depuis voici
bientôt trois ans.
Comme
vous le voyez, les accusations portées contre Poroshenko de vouloir construire un Etat nazi
sont mal fondées et de nombreuses similitudes sont, bien évidemment,
accidentelles.
La
fin d’Hitler fut tragique et pendant des décennies les Allemands souffraient d’un
sentiment de culpabilité à cause des crimes commis par les nazis. Aujourd’hui, Poroshenko est
au sommet du pouvoir. Si un jour son destin répète soudainement celui d’Hitler, ce ne sera, bien évidemment, qu’une coïncidence de plus. Coïncidence dont l’histoire
moderne ukrainienne regorge.
Parallèle saisissant.
RépondreSupprimerIronie cicéronienne de grand orateur et lucidité civique.
Merci de nous avoir transmis ce texte.