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jeudi 24 août 2017

Nikita Mikhalkov dénonce la politique destructrice de Timakova



La sortie en fanfare du grand réalisateur Nikita Mikhalkov du Fond cinématographique russe a certes provoqué une onde de choc dans les milieux, mais conduit, malgré les graves accusations perpétrées par lui contre la porte-parole du Gouvernement, N. Timakova, le ministère de la culture a s'interroger. Ce qui est finalement un très bon signe vu l'étrange enchaînement de films ces derniers temps.


Le cinéma russe ne vit certainement pas ses heures de gloire, il est vrai qu'il n'est pas le seul à être tombé dans les bas-fonds artistiques, pour ce qu'il reste d'artistique. Les dernières programmations laissent songeur. Je ne parle même pas de la quantité inquiétante de blockbusters qui envahissent littéralement le cinéma russe, comme si l'époque des grands acteurs était terminée. Ceux d'aujourd'hui seraient trop fades pour occuper l'écran, l'avalanche d'effets spéciaux devant combler la superficialité de leur personnalité. L'époque des "grands spectateurs" serait également terminée: plongés dans leurs paquets de pop corn, les films ne doivent pas trop les détourner de leurs impressions gustatives primitives. Mais est-ce vrai, ou n'est-que le résultat des besoins d'un marché mondialisé et de l'image que les grandes firmes se font du spectateur et de ses attentes? Attentes qui correspondent étrangement à leurs besoins commerciaux.

Sur le plan politique, l'on remarquera surtout l'arrivée de films très provocateurs. Mathilda a, en quelque sorte, ouvert la porte (voir notre texte ici). Décider de financer à l'occasion de l'anniversaire des révolutions russes qui ont mis fin à l'Ancien régime un film présentant Nicolas II, joué par un acteur allemand ayant fait du porno, dans ses histoires d'amour avec une ballerine laisse songeur. Sans aller forcément jusqu'à l'interdiction, il est difficile d'interdire le mauvais goût, l'action de l'Etat doit être justement politique et préventive. Une politique cinématographique implique le choix (voir notre article en russe ici). Or, comme justement tous les films ne sont pas subventionnés, cela veut dire que le choix politique a été fait de montrer ainsi Nicolas II à l'occasion de l'anniversaire des révolutions russes. Choix étrange, puisque le cinéma est la première arme de communication de masse pour toute société.

Mais le film est passé, même si finalement la sortie ne se fera pas juste au moment de l'anniversaire de V. Poutine, mais est décalée vers la fin octobre. Une coïncidence évidemment, le monde est fait de coïncidences.

Quoi qu'il en soit, la porte a été ouverte, il est possible de faire financer par l'Etat des films qui provoquent des fractures sociales, qui allument des incendies en jouant sur les symboles fondant la nation russe. L'Eglise, le Tsar, sont des symboles, je dirais presque intemporels. Il en est de plus conjoncturels, comme l'icône du rock russe Viktor Tsoï, symbole de liberté et de révolte pour toute une génération, celle de la fin de l'époque soviétique et du rock underground. Cette image reste très vivante aujourd'hui encore.

Souvenez-vous de l'arrestation du réalisateur Serebrennikov (rappel ici) pour détournement de fonds publics (rappel ici). Il  préparait, au moment de son interpellation à Saint Pétersbourg, un autre grand film, justement sur Tsoï. Dont il a totalement déformé l'image, le rendant homosexuel et tournant le film autour de cela. Tsoï est une icône, qui n'a rien à voir avec l'homosexualité, dans un pays où elle est tolérée, mais où elle n'est pas revendiquée, où elle n'est devenue ni une politique d'Etat ni une manière d'exister. Cela aurait été encore un moyen, après Mathilda et sur sa lancée, de jouer sur les points de fracture de la société russe, tout en cassant l'image d'une icône moderne. Comme l'image de Nicolas II sera atteinte par le film Mathilda.

Dans ce contexte, et ces deux films ne sont que des exemples parmi d'autres, N. Mikhalkov a lancé une bombe dans ce petit monde si tranquille. Il a déclaré sortir du Fond russe pour la cinématographie (16 membres), composé de 5 personnalités liées au cinéma, mais surtout de représentants de l'Etat, essentiellement suite à l'arrivée de Natalya Timakova, porte-parole du Gouvernement et responsable de la politique du cinéma dans l'appareil gouvernemental. Il a décidé de quitter le Fonds en raison de l'irresponsabilité de sa politique de financement, qui lance deux blockbusters en même temps sur des thèmes identiques, encourage la guerre entre les chaîne de télévision, finance des films qui n'ont aucune valeur ou bien représente une certaine valeur pour certains sans même savoir quoi en faire ensuite. 

Mais le plus grand danger pour Mikhalkov est idéologique, qui a parfaitement conscience du rôle joué par le cinéma dans les sociétés modernes:
"Quand il arrive dans le Conseil (du Fond du cinéma) une personne qui a des positionnements idéologiques différents des tiens, c'est une chose. Quand il arrive une personne qui a du pouvoir et certaines compétences, c'est autre chose. Je n'ai aucune raison pour douter du fait que Mme Timakova s'y connait en cinéma, et certainement elle s'y connait. Mais j'ai toutes les raisons de supposer que son point de vue est totalement opposé au mien en ce qui concerne ce qui est bien et ce qui est mal. Et j'ai également toutes les raisons de penser que le droit du téléphone et la politique de couloirs vont maintenant régler les questions dans le Fond." 
Si la préparation de l'attaque est ici déjà forte, celle-ci culmine a un niveau de violence politique surprenant, même de la part de N. Mikhalkov, lorsque cette fois-ci, répondant aux questions des journalistes une fois sorti de la salle après son discours, il déclare:
"Parce que j'estime que Mme Timakova envisage bon nombre de questions courantes avec une russophobie latente. Cela ne me convient pas. (...) Ses points de vue sont diamétralement opposés aux miens et portent un caractère destructeur. Avec son aide, sous couvert de démocratie, sont mis en oeuvre des processus destructeurs"
Mais qui est N. Timakova, cette porte-parole du Gouvernement? Sur le paysage idéologique, elle est sans aucune controverse et sans se cacher située dans le clan des néolibéraux. Son époux fait partie de cette bulle post-moderne grenouillant à l'INSOR (Institut du développement contemporain) très marqué idéologiquement, il s'occupe de la comm d'oligarques comme Tchubaïs et est proche du membre du Gouvernement ultra-libéral Dvorkovitch. Voici une photo de famille avec son mari Budberg:


N. Timakova, elle aussi, choisit bien ses relations - surtout dans l'opposition radicale, sa meilleure amie dirige la chaîne d'opposition TV Rain (ce qui lui permet d'obtenir un soutien financier public), et ici en photo avec le rédacteur en chef des Echos de Moscou (Venedictov) et le représentant d'un parti très libéral (Ryjkov):


Tout ce bruit a fait réagir le ministre de la culture, Medinsky, de manière très rationnelle:
"La sortie démonstrative du président de l'Union des cinéastes russes N. Mikhalkov du Conseil auprès du Fond russe du cinéma nous oblige à sérieusement réfléchir. Quant à l'idée et aux but de notre travail, sur la nécessité du renforcement du soutien étatique et sur l'introduction d'un véritable protectionnisme étatique pour notre industrie cinématographique. Et encore. En connaissant un peu le caractère de N. Mikhalkov, sa sortie n'a rien de spontané, d'émotionnel ni d'injustifié"
Face à cette utilisation excessive faite du cinéma pour destabiliser la société russe, il est difficile de réagir sans mettre de l'huile sur le feu. Toute réaction post factum sera finalement mauvaise: elle fait de la publicité à ce qui n'en a pas besoin, transforme en victime un banal provocateur qui a raté son évolution, amène la société à se prononcer sur de faux problèmes. Parfois l'ignorance, surtout face à cette idéologie montante, est la meilleure des armes. A l'époque du règne incontesté de la surcommunication, ne pas communiquer sur ces faux génies contemporains est la pire giffle qu'ils puissent recevoir. Pour autant, n'absolument rien faire s'apparente à du laisser-faire et la difficulté est ici. Comment agir sans "réagir"? Certainement en amont, ne pas les financer ne serait pas une mauvaise chose. Cela stimulerait peut être même leur créativité, pour ceux qui en ont. Quant aux autres, ils seraient obligés de "diversifier" leurs sources de financement.



 





17 commentaires:

  1. Ce que je me demande, c'est comment le "dictateur Poutine" laisse nommer des ministres de ce genre, qui vont faire le sale travail de démolition déjà expérimenté avec succès en occident.

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  2. la première chose à faire est de virer une incapable: Mme Timakova, et la remplacer par quelqu'un de compétent et qui ne distribuera les fonds publics qu'à bon escient. Ce qu'a dit Mikhalkov au sujet de la russophobie et de la dangerosité de cette dame est terrible, comment Poutine peut-il laisser des gens pareils graviter autour de lui et dans son gouvernement? Quant à l'état du cinéma russe, d'après ce que vous en dîtes il me paraît alarmant. J'ai l'impression que c'est pire que chez nous.

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  3. Platon chassait les poètes de sa République, en dépit du rôle central d'Homère et d'Hésiode dans la Païdéia, parce qu'il ne respectaient pas la raison. Aurait-il pu imaginer qu'il fallût les bannir pour "entente avec l'ennemi" ?

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  4. Bien d’accord avec l’article, mais, hélas, tout est dans la source de financement. C’est celui qui paye qui décide.
    Deux choses.
    Premièrement ; il n’est plus possible parler de cinéma culturel. Le cinéma en particulier est sans profondeur, c’est un cinéma de fête foraine bourré de narrations et d’émotion éphémère sans la moindre parcimonie, gorgé de trucs, de trucages, de bidules et de machins éblouissants le spectateur comme un feu d’artifice. Tout le pousse à la surenchère comme un concept publicitaire et donc à la provocation. Sous prétexte de liberté d’expression, le cinéma construit une propagande qui vise à détourner et corrompre les esprits.
    Deuxièmement ; à l’instar de la télévision et internet sans oublier toutes les formes de médias, toutes gangrénées, le cinéma est devenu une arme de guerre plus redoutable qu’une armée sur équipée dézinguant tous les fondements des sociétés. Certes il n’y a jamais de tabou dans l’art, mais lorsque celui-ci est manichéen, il détruit l’histoire et promeut le chaos. C’est exactement dans cette ligne funeste que s’inscrivent certaines productions russes telle celle du réalisateur Serebrennikov. En quoi représenter Tsoï comme homosexuel enrichit la réflexion et la culture ? En quoi salir le Tsar et l’Église (je suis sauvagement athée) serait un enrichissement culturel. Cette dynamique ressemble étrangement à celle qui prévalait en Russie entre 1885 et 1917, au terme desquels émergea la funeste union soviétique. Un aboutissement orchestré par des éléments à majorité non russes. Les mêmes qui sont la source de financement des Serebrennikov et cons sorts manipulable à souhait parce que sans dignité et ignorant l’histoire de leur pays. Leurs productions est putassière. Tout ce qu’ils font pour s’avilir croyant s’ennoblir c’est de cracher au visage de leurs ancêtres.

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    1. La funeste union soviétique à tout de même donné des réalisateurs et des oeuvres géniaux.

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    2. Sergueï Eisenstein, excusez du peu.

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    3. C’est tout ? Et pourquoi pas ? En fait, la fresque du cuirassé Potempkine est très réussie où l’on voit le vaillant peuple russe s’insurger contre le vilain Tsar antisémite et toutes les institutions qui le représentaient. Il prend bien soin de ne pas montrer que la majorité des insurgés étaient juifs. Que la ville d’Odessa était soumise au chaos suite aux conflits entre juifs et Russes ; le résultat direct de l’assassinat d’Alexandre II par un juif. Comme tous les assassinats politiques à cette époque. Alors forcément le gouvernement soviétique à plus de 80% juif a taillé une réputation sur mesure au grand Esenstein.
      Ce qui m’amuse c’est de constater qu’il y en a pour trouver des vertus aux soviets, je les rassure tout de suite ; la dictature du peuple fut un cas d’école de ce que sera la dictature mondiale qui nous pend au nez. Profitez-en, rira bien qui mourra le dernier.

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    4. Et le grand cinéaste Serguéi Bondartchouk (Guerre et Paix, Waterloo). Moins connu mais aussi grandiose, le film "Ils ont combattu pour la patrie", où l'on voit un enfant venir saluer les soldats. Un évènement si insignifiant en apparence...

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  5. Pour information, la cinémathèque française à Paris propose une rétrospective du cinéma soviétique "l'URSS des cinéastes" du 18 octobre au 26 novembre ; la deuxième partie se déroulera en 2018. Et bravo à Mikhalkov pour sa décision !

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  6. Cette façon qu'ont les Russes de porter leur propre détestation prend de l'ampleur. cela s'est vu à la veille du renversement de Nicolas II. C'est hélas un trait de la nation russe contre laquelle on ne peut faire grand chose. Cette"philosophie" Echo Moscou s'étend comme une lèpre et ne se prête à aucun débat. De plus en plus de Russes nés dans les années 80 ou 90 portent désormais le drapeau de la détestation de leur pays, de leurs compatriotes, de leurs institutions. L'air est partout ailleurs meilleur qu'en Russie. Je vois mal Mikhalkov faire bouger les lignes.

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    1. Bonjour, je ne suis pas d'accord avec vous ; j'ai vécu en Russie de 1990 à 1992 ; j'étais assistant de français dans un institut pédagogique. Les Russes parlaient alors de monde civilisé pour désigner l'occident. Je suis retourné en Russie près de quarante fois dans le cadre professionnel et je n'ai pas entendu cette expression ; au contraire j'ai trouvé un peuple renaissant ; c'est un sentiment mais je me trompe peut-être

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    2. Effectivement, je ne vous contredirai pas. Mais vivant en permanence en Russie depuis maintenant 7 ans, après avoir multiplié les voyages à l'époque que vous évoquez, je confirme ce que je décris dans mon intervention précédente. Et bizarrement, cette "détestation" est très répandue dans les proches et moins proches de hauts fonctionnaires et dignitaires du Kremlin, leurs enfants, qui bénéficient de bien des facilités toutes ces dernières années, liberté financière et de mouvement... et redoutent de les perdre. Les ennemis sont au pied du mur... du Kremlin :))

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  7. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. La détestation de soi n'est pas une spécialité russe, loin s'en faut, les français sont très forts également pour dénigrer leur pays et leurs compatriotes. On dit aussi des russes qu'ils sont patriotes et qu'ils font bloc derrière leur Chef d'Etat quand leur pays est menacé. Ce qui me laisse à penser que la détestation de soi, en Russie, est pratiquée par une petite minorité, toujours la même, les "libéraux" et cie, mais certainement pas par l'ensemble de la nation russe comme vous le dîtes. J'espère que Mikhalkov à énormément de gens derrière lui qui le soutiennent.

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    1. Brève réponse: je ne consifère pas que c'est une spécificité, en regard de Français ou autres vous avez raison. Et je ne prétends pas que ces gens sont une majorité, mais ils sont une minorité assez agissante, et dont je redoute personnellement qu'elle ne se développe. Surtout avec l'aide de quelques ONG bien programmées à la veille des prochaines élections présidentielles;

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  8. Karine
    Ce que prétend Armouf sur la génération 80\90 est ce exact ?

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    1. Bonjour Richard,
      A mon sens, c'est assez compliqué. Il y a un sens de l'auto-critique surdéveloppé en Russie, mais qui ne date pas des années 80-90. Dans ces années-là, s'est développé un complexe par rapport à l'Occident et le matériel a pris le pas sur le spirituel. Aujourd'hui, l'on voit cet éternel combat continuer, mais dans un cadre idéologique modifié, avec un libéralisme triomphant déjà dépassé par le néolibéralisme et un manque d'alternative.
      La Russie elle-même ne sait pas où se positionner, tant elle a voulu et veut le libéralisme, mais celui qui n'existe plus. Et ces combats sont présents en Russie dans une sorte de guerre des clans.

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