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vendredi 5 janvier 2018

Groudinine: pourquoi les communistes russes se sont fait hacker par les nationalistes?

Illustration du programme défendu par P. Groudinine


Le patriotisme en Russie est une valeur réellement ancrée dans la population. Incarné par la figure de V. Poutine, qui lors ce dernier mandat a renforcé les teintes libérales dans sa gouvernance, la question de la succession se pose. Et elle se pose dans un vide politique. C'est dans ce contexte que les communistes viennent de se faire troller par les nationalistes.


Le nationalisme n'est qu'une dénaturation du patriotisme, mais qui se vend beaucoup plus facilement, teinté de populisme, comme nous l'avons vu dans toutes ses manifestations postsoviétiques. Et dans les manoeuvres conduisant à la chute de l'Union soviétique elle-même. Lancer le nationalisme russe contre les autres républiques, sous couvert de patriotisme, pour faire éclater l'URSS. Recourir aux fanatiques supporters de foot en Ukraine pour jouer les gros bras du nationalisme, avec les résultats que l'on connaît. 

En Russie aussi, avec Navalny, un nationalisme de droite a été tenté. On l'a vu défiler bras dessus, bras dessous avec les nationalistes dans la grande Marche Russie - drapeau jaune et noire. Mais la droite libérale pure ne prend pas en Russie, elle a été trop récemment discréditée avec les années 90 et les grands noms de ce mouvement sont de toute manière toujours en poste (Gref à la Sberbank, Koudrine au programme économique ou encore Tchoubaïs aux nanotechnologies) et ils n'ont aucun intérêt à partager un si bon gâteau.

En revanche, la gauche, elle, revient à la mode - ou plutôt l'est restée. Surtout avec les difficultés liées aux sanctions, l'implication de l'Etat a été nécessaire pour relancer l'économie et soutenir la société. Et le Parti communiste est une plateforme idéale pour cette opération:
  • Il n'est touché par aucun gros scandale;
  • Sa structure partisane fonctionne;
  • Il est suffisamment affaibli par son passé soviétique, mais encore assez fort avec l'idée de gauche et le besoin social;
  • Il incarne le passé d'un pays fort et d'une idée patriotique;
  • Il est l'un des rares réels partis d'opposition, sans être radical.
Bref, il a tout ce qu'il faut et l'opération a été réussie. Maintenant, les cartes se dévoilent. Et le noir s'ajoute au rouge, donnant les risques du brun.

Après avoir été "choisi", P. Groudinine a fait la tournée des plateaux de télévision des chaînes fédérales, portant à bout de bras une rhétorique globalement communiste, voire léniniste. Version NEP. Il fut rappelé à l'ordre par ses maîtres, les véritables; les nationalistes, dont il porte le programme.

Après avoir été lancé par le PC le 23 décembre (voir notre article ici), P. Groudinine a déposé les documents nécessaires à la Commission centrale électorale pour enregistrer sa candidature aux élections présidentielles. Ensuite, il s'engage avec les nationalistes à porter leur programme.


Ce programme est un mélange populiste extrêmement dangereux (le voir ici). Au milieu de propositions qui répondent à une réelle demande populaire (la limitation de la politique jugée trop libérale du Gouvernement et de la Banque centrale, le renforcement du soutien à l'économie réelle, etc), sans que des moyens sérieux ne soient avancés et chiffrés, l'on trouve des formulations qui font froid dans le dos. Ainsi, le point 2.3 s'intitule "nettoyer l'Etat des parasites" et l'on voit poindre les purges tant à la mode en Ukraine notamment sous les "lois de lustration". Ou encore la terre aux Russes et à leurs descendants au point 3. La notion de "parasite" est en fait au centre de ce "programme". Ce qui est inquiétant. Et surprenant que personne n'ait eu l'idée de saisir la Procuratura pour vérifier ces déclarations au regard de l'extrémisme ...

La filiation Rouge-Noire est non seulement assumée, mais elle est revendiquée. Elle est clairement formulée par une personnalité douteuse, Yuri Boldyrev dans un article publié récemment. Economiste de formation, il fut l'un des conseillers en la matière lors du passage de l'Union soviétique à la RSFSR, conseiller auprès du Gouvernement, de l'Administration présidentielle, ensuite limogé par Eltsine en 1993 en raison de différents scandales. En 1993, il fonde alors avec Iavlinsky et Loukine le parti de droite libérale Iabloko. Parti qu'il quitte en 95 pour la Cour des comptes jusqu'en 2001. En 1999, il est reconnu par les forces "nationalistes" pour son combat contre la corruption. Comme quoi, décidément, la corruption est bien l'instrument pour dégager les "bonnes personnes", qu'il s'agisse de Navalny ou d'autres. Il se lance dans la défense des intérêts russes dans le domaine très lucratif de l'exploitation des ressources naturelles. En 2012, il tente de lancer des candidats nationalistes, sans succès et devient alors l'un des représentants de Ziouganov aux élections présidentielles. Il fonde ensuite le mouvement nationaliste PDS NPSR, qui a réussi aujourd'hui à infiltrer le PC et à imposer son candidat Groudinine.

Comme il l'affirme, et comme la signature par Groudinine du programme nationaliste le confirme, ce candidat qui se présente au nom des communistes ne représente pas les communistes, mais "un front plus large" de forces dites "patriotiques", allant "des communistes jusqu'aux nationalistes", je cite l'article.

Il lance le concept de "patriote nationale" voulant légitimer le nationalisme par le patriotisme, rappelant douloureusement le national-socialisme allemand des années noires de l'Europe, que l'Union soviétique a payé de plus de 20 millions de morts. Alors comment est-il possible de trouver dit-il, selon les sondages, 94% de personnes préférant son programme à celui de Koudrine ou environ près de 45% de personnes (selon Vesti FM) qui seraient prêtes à voter pour lui?

Trois facteurs semblent pouvoir expliquer cette dangereuse apparition.

Tout d'abord, Koudrine et le bloc socio-économique du Gouvernement sont particulièrement impopulaires et ouvrent la voie à toute forme de contestation populaire, pouvant être récupérée par les radicaux et les opportunistes.

Le second facteur est la caution morale donnée par le PC. Les communistes ayant combattu les nazis, ils ne peuvent s'allier avec des nationalistes. A priori. D'où la nécessité pour ce mouvement PDS d'infiltrer et de s'approprier les structures du PC, pour avancer comme le cheval de Troie sur l'échiquier politique russe.

Le troisième vient du vide politique qui se fait en Russie. Pour cette élection, V. Poutine garantit l'éviction du danger du retour vers un extrême, libérale ou nationaliste. Mais ces forces se préparent pour les prochaines échéances électorales. Le mouvement patriotique est une force réelle en Russie, qui donne beaucoup plus de perspective que les forces libérales. Celles-ci sont actuellement en place, paradoxalement, grâce à la protection qu'elles reçoivent indirectement du président qui cherche à préserver un équilibre entre les extrêmes. Un candidat ouvertement libéral, même teinté de patriotisme, n'a aucune chance, le projet Navalny l'a montré. Il existe donc objectivement un espace à occuper sur le flanc du patriotisme de gauche. En le laissant ouvert, le risque d'une candidature réelle  existe. Il a donc été trollé, faisant d'une pierre deux coups. Comme le déclare Y. Boldyrev: 
"Les communistes s'allient aux nationalistes (...), ce n'est pas une sensation?!"
Comme les libéraux, les nationalistes n'ont aucune chance non plus d'arriver au pouvoir par eux-mêmes, ils ont besoin du populisme. Pour autant, le danger réel, n'est pas celui d'un quelconque nationalisme - réel, comme dans les années 30. Le nationalisme n'est plus une fin, mais un moyen. Un moyen de destruction de l'Etat, de déstructuration de la société. L'Ukraine en est un parfait exemple.

Dans une autre mesure, la presse française toujours prête au compliment, avait tenté de faire de E. Macron  un de Gaulle moderne, défendant l'idée de l'Etat, lançant même le retour au service national. Résultat, les fleurons de l'industrie nationale ont déjà été bradés, la dérégulation du travail avancée, les impôts maintenus, la liberté des médias vue à travers Goebbels et le service national transformé en parcours citoyen à l'école. La France avait voulu un de Gaulle, elle a eu Charlot.

La Russie a d'autres besoins, l'on cherche artificiellement à l'attirer dans un piège par une illusion - adaptée à une société plus homogène et patriote. Mais la période actuelle n'est pas à l'Etat, elle est à la globalisation. Aucun réel projet national ne peut sortir ainsi de nulle part. Aucun projet patriotique ne peut voir le jour, sans provoquer des réactions d'une violence bien connue. Regardez en Amérique du Sud, par exemple, ce qui se passe avec les pays non-alignés. Certes, la Russie n'est pas un petit pays marginal. C'est une grande puissance. Raison de plus pour y porter une attention toute particulière. Puisque le patriotisme est réel, il faut le troller en une sorte de nationalisme faussement gaucho indigeste. Que restera-t-il alors en 2024? L'opération de dessèchement politique aura-t-elle réussie?

La question reste ouverte. Ces opérations à long terme, puisque toutes les opérations de prise directe de pouvoir ont heureusement échoué en Russie, laissent la possibilité à la reprise en main, à la réaction, par des forces réelles et saines. Qui existent en Russie. Et qui, à la différence de la France, continuent à se battre.

C'est cette figure-là qui est celle de Groudinine, un instrument national-socialiste de destruction. N'oublions pas que l'époque est à la parodie. Alors, toujours envie de le défendre?

11 commentaires:

  1. C'est bien vous qui avez écrit ce papier? "Vous avez pété un câble" après les "fêtes"? Chassez un moment votre naturel (de bonne fille de droite), il revient au galop! Dommage, mais ainsi on peut mieux vous resituer...
    Michel Schneider

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    1. Bonsoir, la profondeur et la rationalité de votre réaction ... n'est malheureusement pas surprenante. Finalement, sur le fond, vous n'avez rien à dire.
      Et lorsque je critique - souvent - les pseudo-libéraux de droite, je suis dans ces moments-là de gauche?
      Soyez plus analytique et moins émotif.

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  2. Je vois les choses exactement comme vous,en l'occurrence, merci pour cette analyse.

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  3. Vous avez certainement plus de connaissances que moi sur les personnages que vous décrivez, mais je trouve très exagéré de comparer le 'patriotisme populaire' ou 'national-patriotisme' russe, courant foncièrement antilibéral issu des événements de 1993, au nazisme. Je ne discute pas la dangerosité du phénomène, bien que j'avoue avoir moins d'antipathie pour celui-ci que pour le libéralisme russe, mais je connais suffisamment les thèses slavophiles, eurasistes, 'national-bolcheviques', pour les avoir un peu étudiées dans le cadre universitaire, pour ne point les assimiler au national-socialisme hitlérien. Le 'national-bolchevisme' allemand, lui-même, a combattu le régime nazi et son équivalent 'national-communiste' en Union soviétique a été le point de convergence de la Grande guerre patriotique de toutes les forces russes et soviétiques contre l'ennemi 'fasciste' (l'agresseur occidental). Cela me semble incongru d'assimiler les deux phénomènes.

    En Allemagne, le parti communiste (KPD) avait défendu un programme de libération nationale et sociale du peuple allemand, influencé par le national-bolchevisme, dirigé contre les nazis. En France même, le parti communiste (PCF), on l'oublie assez souvent, avait tendu la main aux conservateurs catholiques et aux nationalistes français pour conjurer le péril hitlérien (et non pour opérer une synthèse 'fasciste').

    L'association capital-travail, le socialisme national, le travaillisme aux couleurs de la France, ne sont pas réductibles au fascisme, sans cela le gaullisme social serait un phénomène fasciste...

    En revanche, là où je vous rejoins, c'est dans la dénonciation d'une vision ethno-centrée du nationalisme russe, aboutissant à la dislocation du bloc 'eurasien', mais aussi à l'implosion de la Fédération de Russie. Il me semble que ce n'est pas l'objectif visé par le front national-patriotique, soucieux de maintenir l'Unité transcendante des peuples de la Sainte Russie, de l'Union soviétique, de l'Union eurasiatique.

    Pardonnez ma naïveté, mais je ne vois rien d'effrayant dans la défense de la patrie russe, du petit peuple, des producteurs contre tous les parasites qui sucent le sang des Russes depuis si longtemps. J'ignore si cela caractérise le populisme (un rapport avec les narodniki?), mais je trouve ces idées saines. Vous n'évoquez pas la dimension 'agriculture biologique' du candidat, un point supplémentaire en sa faveur.

    Selon moi le danger réside dans le libéralisme, cette idéologie occidentale qui vise la dénaturation de la Russie, la disparition de son âme. Le communisme athée, lui, ne s'en prenait qu'à son corps, il a heureusement échoué, au point que l'on puisse garder le meilleur de chaque modèle, sous une forme, je vous l'accorde, fortement idéalisée.

    Pardonnez cette dissonance avec l'orientation de votre article qui, par ailleurs, nous apprend beaucoup sur les soutiens du candidat.

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    1. Cher Olivier, merci pour votre réaction, qui me fait comprendre que, manifestement, je me suis mal expliquée.
      Je ne compare pas le "national-bolchévisme" (même si cette notion n'est pas évidente) avec le nazisme, puisqu'il n'a rien à voir. Je suis entièrement d'accord avec vous ici. Groudinine n'est pas lié au "national-bolchévisme", mais utilise des attentes populaires réelles pour légitimer un discours emprunté au nationalisme pur et dur, diffusé dans le programme qu'il va porter après son alliance malheureuse. Ici, il veut utiliser le véritable patriotisme populaire pour le détourner vers un mouvement nationaliste. C'est ici à mon sens qu'est le danger. Car il ne s'agit plus de la gauche en général, il s'agit d'un détournement d'idées et de personnes et d'une véritable manipulation. Dont le but est justement totalement contraire aux idées communistes.
      En tout cas, telle est ma position. Ce n'est que mon analyse, ça ne signifie pas que je sois infaillible).
      Cordialement,
      Karine

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  4. Merci, Olivier pour ce complément d'analyse. Quelque chose me dérangeait dans l'analyse, par ailleurs bien documentée, développée dans l'article, sans que je parvienne à y mettre le doigt dessus. Grâce à votre culture j'ai enfin cerné ce qui me chiffonnait.

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  5. J'ignore quel nom s'applique à ce que je vais essayer de définir. En France, l'élection forcée de Macron a fait éclater les partis de droite comme ceux de gauche, si bien que le qualificatif de 'gauche' ou de 'droite' ne signifie plus grand chose. Les vraies valeurs de la France, je n'ai pas dit de la république, doivent être mises en relief et servir d'union de marbre aux Français désireux d'apporter un réel changement à la politique catastrophique menée depuis quelques décennies qui conduisent la France à sa perte. Je suppose qu'en Russie, un problème identique se forme et que Monsieur Poutine a tenté de résoudre non sans succès; le plus important étant de continuer à implémenter les valeurs chrétiennes de la Vieille Russie car, la Russie est le pays vers lequel se tourne ceux qui, en Europe veulent continuer à péréniser ces mêmes valeurs comme la Hongrie et la Pologne même si cette dernière doit revoir ses engagements auprès de l'OTAN pour éventuellement sortir de ce piège. Dites-moi si je me trompe ou si je m'approche du vrai. Ce que nous devons éviter à tout prix est ce monde unipolaire voulu par les USA et, bien sûr, Israël pour nous diriger vers un monde multipolaire défendu et voulu par la Russie et ses alliés.

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    1. Je pense que vous êtes dans le vrai. Il faut éviter à tout prix le monde unipolaire vers lequel les US et ses vassaux veulent nous entraîner et, nous diriger vers un monde multipolaire. Inutile de vous dire qu'il va falloir batailler dur pour y arriver.

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    2. Il est vrai que le combat va être très rude, l'ennemi est puissant car il est financé par les banques et les multinationales. je pense qu'il faut, dans ce cas, unir nos forces pour survivre en disant fermement NON à toutes leurs tentatives de nous réduire au silence et de refuser de nous soumettre. Il faut former des liens solides entre les régions, ne croyez-vous pas?

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  6. Nationalisme populisme tout ça n’est qu’un jeu de mot à ce niveau. Il y a la nation un point c’est tout. Maintenant les slogans populistes pour éveiller la fibre nationale de la population est nécessaire car la population ne réfléchit pas; elle agit par suggestion. Malheureusement c’est une lame à double tranchant qui sert aussi bien les vrais nationalistes que les grosses gueules fourbes. Les Russes en connaissent un rayon. La nation est sacrée, c’est un gite, un foyer pour ses habitants. Je ne vois aucune raison de le revendiquer. Aujourd’hui être nationaliste est honteux. Avant d’avoir été détruit par les judéo-démocraties Hitler à fait pour son pays ce que aucun dirigeant, aucun régime, aucune doctrine non fait pour le peuple. Droite ou gauche faut pas perdre le nord ce qui compte c’est la nation. Autrement dit : la famille.

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  7. Vous rejoignez ma pensée; toutes les régions de France forment la Nation, c'est pourquoi elles doivent s'unir pour résister aux forces de destruction qui menacent notre pays.

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