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lundi 3 février 2020

L'impasse Golounov: les policiers sommés de reconnaître les faits face à un dossier d'accusation vide

Igor Liakhovets, policier qui dénonce une affaire politique


Vous vous souvenez de l'affaire Golounov, ce journaliste inconnu interpellé en juin dernier pour traffic de drogue, pour lequel tout le gratin moscovite s'est indigné, mettant dans le même camp (de manière assez surprenante?) Navalny, Khodorkovsky, Simoniane ou Zakharova ? C'est un journaliste, il est des "nôtre", donc il est innocent, donc pression sur la justice, qui devient "indépendante" lorsqu'elle suit le tribunal médiatique d'une minorité influente. Le grand journaliste inconnu libéré quelques jours plus tard par les "libéraux", allant des pro-occidentaux à ceux qui s'affichent "patriotes", retourne à son anonymat professionnel. Mais l'affaire, lancée, continue contre des policiers, sans autre preuve que le témoignage de Golounov lui-même. Les têtes tombent, la bête fauve doit être rassasiée - au moins pour quelque temps, le goût du sang donne des ailes, grise. La justice pénale ne suit pas les règles de la justice médiatique, compulsive et subjective, elle oblige à certaines formalités, qui conduisent à sérieusement s'interroger sur l'intérêt pour l'Etat de s'oublier ainsi devant les rédacteurs en chef des Echos de Moscou ou autres libéraux au long cours. Le dossier étant vide, les policiers doivent avouer. Sinon, certains ont proposé de les aider "à se souvenir".


Rappelons les faits et leur tragique enchaînement. Golounov, journaliste qui a fait quelques enquêtes pour la presse d'opposition sans avoir réussi à s'y faire un nom dans le grand public, pour lequel il était totalement inconnu jusqu'à son interpellation, est sous surveillance depuis environ 6 mois en raison d'activités soupçonnées liées à la drogue. Il est interpelé par les policiers, de la drogue est trouvée sur lui et à son domicile (de la cocaïne). Des photos sont mises en ligne par les policiers, mais il se trouve que, en plus des photos réellement prises dans l'appartement, puisque nous sommes à l'heure heureuse de la communication et de son tribunal (qui n'a pas le temps d'une enquête), le service de presse du commissariat force la main et ajoute des photos qui n'ont rien à voir. Immédiatement, l'occasion est donnée.

Golounov crie à la falsification, il aurait été sauvagement battu, Choupinet a peur. C'est alors que notre bonne société s'émeut pour un des siens, "victime du système" et alors que l'enquête est en cours, chacun y va de sa pression (voir notre texte ici), que ce soit des figures-clés de l'opposition radicale (Navalny ou Khodorkovsky) ou affichées d'un "patriotisme" incontestable (Zakharova ou Simoniane); le gratin post-moderne appelle à la libération imminente du pauvre journaliste, soi-disant interpellé en raison de son activité professionnelle. Explication : il allait sortir un reportage qui devait faire trembler Moscou. Rassurez-vous, Golounov et son reportage sont sortis, tout est resté à sa place, pas même une brise légère n'a effleuré le cours des choses (pour le pire et le meilleur). En revanche, des têtes sont tombées, symboliques, de hauts gradés. Mais également les policiers, qui ont procédé à l'arrestation, policiers qui par ailleurs se sont retournés en justice contre leur licenciement, certes sans obtenir gain de cause. Des policiers qui avaient des décorations pour certains. Le ministre de l'Intérieur fut également obligé de présenter des excuses. Ce qui a été reproché aux policiers ayant interpellé Golounov, notamment au Kremlin, est l'absence d'empreintes sur les sachets de drogue qui furent retrouvés en sa possession. Certes, l'approche est digne d'une mauvaise série B, mais n'ayez aucun doute que la vente des gants plastiques a connu un regain d'intérêt dans certains milieux "créatifs". L'hygiène, avant tout ... Pour autant, la déduction immédiate qui a, très sérieusement, été faite de la situation, tant par la presse, que dans d'autres milieux : la drogue aurait été spécialement placée là par les policiers. Dans le cas contraire, en effet, Golounov serait coupable, puisque la drogue était bien là. 

Ensuite, mais très rapidement, l'on apprend d'où vient toute cette vague. En effet, les héros du jour ne peuvent se taire longtemps face à une victoire si rapide et si inattendue. En fait, le rédacteur en chef des Echos de Moscou, à la position antirusse bien connue, Venedictov, qui n'a rien à envier à son comparse de Novoyaga Gazeta, Mouratov, ont fait jouer leurs contacts politiques pour faire pression sur le pouvoir, afin qu'il y ait une pression visant à la libération de Golounov (voir ici les détails dans notre texte). Par ailleurs, le responsable de la police qui fut en charge du dossier, Shirov, a parlé de pressions sans précédent exercées dans ce dossier contre les policiers, dans une affaire somme-toute banale de trafic de drogue.

Et ça continue. Alors qu'il n'y avait qu'une enquête disciplinaire pendant longtemps, lors de la conférence de sa presse, Poutine a annoncé l'affaire "pénale" ouverte contre les policiers, pour abus de pouvoir (quid de la falsification des preuves?). Or, l'avocat des policiers annonce que cette affaire pénale a été ouverte en vrac la veille justement de la conférence de presse. 

Ensuite la justice doit suivre son cours et l'ensemble devient de plus en plus ubuesque, pour accélérer ces derniers jours. Shirov reste finalement témoin, mais cinq policiers sont interpellés et placés en détention provisoire, cette fois-ci non seulement pour abus de pouvoir, mais également pour falsification des preuves. Bref, la qualification juridique ne cesse de flotter (en fonction de quels critères?). Reste la question du motif, pas vraiment clair. Il semblerait que finalement les "enquêtes" de Golounov ne faisant trembler strictement personne, la qualification de "victime du régime" ne tienne pas. Alors allant au plus simple, puisqu'il faut faire vite (la procédure pénale a ses exigences procédurales), il semblerait que, sans le moindre trait d'humour, tout ait été monté pour que ces policiers puissent avoir de l'avancement ... Ce qui va également parfaitement à la défense de Golounov, dont l'avocat a totalement oublié les soi-disant pressions subies par son client en raison de son activité professionnelle, adieu Ô mystique instigateur. L'on revient bien à une banale affaire de drogue.

Les langues se délient et l'on commence à apprendre des choses intéressantes. Tout d'abord, normalement, c'est le FSB qui doit procéder à ce type d'interpellations. Or, après une longue période de surveillance, plusieurs fois l'interpellation a dû être reportée, car le FSB n'aurait, officiellement, pas pu trouver des agents disponibles. Une plaisanterie ? En tout cas, c'est la version officielle. Du coup, ce sont les membres du Département central de la sécurité intérieure du ministère de l'Intérieur, avec leurs collègues de la police de Moscou, qui ont procédé à l'interpellation. Si Shirov garde son statut de témoin, son vice, Igor Liakhovets, et quatre policiers, Maksim Umetbaev, Denys Konovalov, Roman Feofanov et Akbar Sergaliev eux sont mis en détention. La drogue aurait été récupérée lors d'autres interventions. Ils ne reconnaissent pas leur responsabilité.

Et pour cause. L'on apprend également, selon les déclaration de la défense des policiers devant le juge, des choses pour le moins surprenantes. Dans le dossier, il n'y a aucun élément de preuve matériel contre les policiers, un seul témoignage, celui de Golounov. Ce qui est loin d'être objectif ... Or, si les policiers ne reconnaissent pas les faits, le juge aura beaucoup de mal, d'autant plus que le procès sera finalement ouvert, à établir, au moins en droit, leur responsabilité. 

Ainsi, alors que pendant les 8 mois d'enquête, les policiers n'ont pas cherché à fuir, le magistrat décide quand même de les placer en détention. Même si certains sont soutien de famille, ont des enfants malades ou infirmes. Ici cela n'a pas joué et pas une voie dans les milieux bien-pensants pour s'en indigner, l'indignation est sélective. Il ne s'agit que de policiers russes.

Maksim Umetbaev, reconnaît avoir par la suite frappé Golounov, mais cela n'a rien à voir avec la falsification des preuves, qu'il ne reconnaît pas. D'autant plus, qu'il n'a pas participé à l'interpellation de Golounov, ni à son examen lorsque la drogue a été retrouvée. Il devait juste, avec Golounov, vérifier l'appartement, sachant que Golounov était en permanence à côté de lui, ce qui objectivement ne lui permettait pas de cacher de la drogue, même s'il l'avait voulu.

Akbar Sergaliev, dont le fils a besoin d'un suivi médical constant en raison de problèmes cardiaques, a dû, après son licenciement, devenir gardien dans un magasin pour assumer les soins. Des questions se posent au sujet de la falsification des preuves ici aussi, puisque Sergaliev n'a eu aucun contact physique avec Golounov jusqu'au moment de la fouille corporelle. Le fait qu'il travaille dans le département ferait alors de lui, tout comme tout autre policier, un co-auteur automatique de l'infraction. Démarche juridique assez étrange ... Quant à la personnalité de ce policier, il est orphelin, à 9 ans est entré dans l'école des cadets Souvorov. Je n'ose imaginer ce qu'il pense aujourd'hui ...

Roman Feofanov, par exemple, ne travaillait que 2 mois dans la police lorsqu'il a été démis de ses fonctions. S'il y a eu organisation d'une opération autour de Golounov pendant des mois, comment a-t-il pu y participer avant d'être en fonction? 

Le fils de Denys Konovalov est infirme et doit suivre une thérapie, la mise en détention préventive du père prive la famille des seuls revenus disponibles. Par ailleurs son avocat s'interroge sur la notion de crime "organisé", dans la mesure où ils sont collègues. La qualification devient-elle automatique ? 

Igor Liakhovets, leur responsable direct et la personne accusée d'être l'organisateur du" groupe criminel", était lui en vacances au moment de l'interpellation de Golounov, à laquelle il n'a donc pas physiquement participé.  S'il a gardé le contact avec ses collaborateurs, c'est uniquement pour donner des conseils en raison de leur manque d'expérience, mais n'a en aucun cas pu donner un ordre. En droit, les mots ont un sens. Ses déclarations, faites devant le juge, au sujet de sa mise en détention provisoire sont très claires - et inquiétantes :
"Il n'y a dans le dossier pas le moindre élément de preuve de mon implication dans une affaire criminelle, sauf le témoignage de Golounov. Je considère cela (la mise en détention) comme une pression morale et physique. L'on m'a déjà prévenu que l'on m'a préparé des conditions de détention spéciales - afin que la mémoire me revienne. L'on m'a proposé de faire les "bonnes" déclarations, afin d'être assigné à résidence (domicile). En vérité, de fait, il n'y a pas le moindre élément de preuve! Au regard de la situation, telle que décrite par l'accusation, l'on peut accuser n'importe quel groupe d'intervention!"
Igor Liakhovets estime que leur mise en détention provisoire est un acte de vengeance, comme il le déclare au juge:
"Tout le monde sait que la situation est politique. Et que Golounov a été libéré non pas grâce à lui-même ou grâce à son avocat, qui n'ont fait que de la comm. Il a été dit que 5 policiers doivent être punis, c'est un acte de vengeance. Si la détention provisoire va être prononcée, c'est simplement pour faire pression."  
Son avocat a déclaré que, après la libération expresse de Golounov, une affaire pénale a été montée de toutes pièces contre les policiers, sans qu'aucune preuve n'ait pu être apportée.

Cette affaire est extrêmement étrange et les déclarations faites sous serment, devant le juge, nécessiteraient, elles aussi, une enquête interne. Mais, l'on peut penser avec une certaine assurance qu'elle n'aura pas lieu.

Un dernier détail extrêmement troublant. Golounov a proposé d'aider financièrement les familles des policiers placés en détention préventive (à cause de lui), qui se retrouveraient en difficulté. Sans même insister sur le cynisme de la proposition, je me demande d'où proviennent les fonds d'un journaliste de Medusa, qui est loin d'être une star du journalisme. 

Par ailleurs comment comprendre l'enchaînement des menaces (pour faire revenir la "bonne"  mémoire en détention) et l'offre d'argent ? Je préfère laisser la question ouverte ... 

Le procès n'est pas encore terminé, les policiers ont été placés en détention provisoire pour 2 mois, attendons de voir la suite des évènements. Et il y en aura encore des évènements. A n'en pas douter. Quand la justice pénale, sur décision politique, est pliée aux besoins de la justice médiatique, elle ne peut plus se permettre d'être "justice".



1 commentaire:

  1. finalement, on voit partout la même classe politico-médiatique complètement pourrie

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