http://echo.msk.ru/blog/m_prokhorov/815585-echo/
Factuellement, la situation est plutôt claire. Hier, lors de la réunion de la Commission présidentielle pour la modernisation, D. Medvedev rappelle les paroles de A. Koudrine, alors ministre des finances, tenues lors de la session du FMI. Il déclarait ne pas partager les choix économiques fait par Medvedev et n'envisageait pas de travailler dans son futur gouvernement. Par la suite, revenant sur ses propos, il annonce être prêt à travailler à n'importe quel poste dans un gouvernement qui veut mettre en place des réformes efficaces en Russie. Ses paroles sont à double sens: il sous-entend ainsi l'inefficacité du gouvernement.
Medvedev lui rappelle alors que pour l'instant il n'y a pas de nouveau gouvernement et qu'il travaille toujours dans "l'ancien", qui est là pour mettre en place la politique choisie par le chef de l'Etat, pour l'instant toujours lui. Un choix doit être fait. S'il existe des différences de vues, Koudrine doit démissionner, dans le cas contraire s'expliquer. A cette diatribe, Koudrine a une réaction très étonnante. Il déclare qu'il existe bien des différences de vues, mais qu'il va d'abord prendre conseil auprès de V. Poutine. Cette réponse a le don d'exaspérer Medvedev au plus haut point, qui lui répond qu'il peut prendre conseil auprès de qui bon lui semble, mais que ici c'est lui qui prend les décisions. Sur quoi Koudrine, qui ne démord pas, répond très calmement que dans la mesure où Medvedev lui-même lui a demandé de prendre sa décision et de la lui signifier, il va prendre conseil. Après quoi, il débranche son micro (voir la bande vidéo dans l'article de Kommersant indiqué plus haut). Medvedev continue alors son monologue. Koudrine sort plus tard téléphoner à V. Poutine et présentera en conséquence sa démission qui sera acceptée quelques heures après. On peut affirmer que le ministre des finances a été "démissionné" et par Medvedev et par Poutine, dont il pensait avoir le soutien.
Juste un détail intéressant. Lors des journaux télévisés du soir, pas une seule chaîne de télévision n'a montré les réponses de Koudrine. Tout a été monté comme si Medvedev imposait seul son autorité, qui n'était à aucun moment remise en cause. Evidemment, dans cette période d'incertitude pré-électorale, le Président Medvedev a besoin de faire preuve d'autorité, tout autant pour assurer la cohérence du fonctionnement du gouvernement, que pour assurer son avenir politique.
Mais comme le souligne M. Prokhorov, la démission provoquée de Koudrine n'est pas due à un conflit personnel avec Medvedev. Cela résulte d'une différence de vues, d'une divergeance idéologique.
Il est vrai que depuis 2007, Koudrine s'est très souvent opposé aux choix politiques faits (critique des choix budgétaires, de la gestion de la crise, du surfinancement du militaire, du trou du financement des pensions de retraite, du financement de Skolkovo au détriement des autres centres universitaires et de recherche...), il a même critiqué le fonctionnement du parti Edinaya Rossiya affirmant ne jamais vouloir y entrer - ce qui Edinaya Rossiya lui rend au centuple. Mais pour la première fois il a critiqué des choix directes faits par le Président, il a donc porté atteinte à l'image même de l'institution. Difficile à pardonner. Et pas seulement en Russie.
Selon Prokhorov, ce gouffre idéologique qui s'est creusé entre Koudrine et le duo-dirigeant révèle l'ampleur du conflit sur les choix d'avenir pour le pays. Les clans peuvent se caractériser, en simplifiant, entre les conservateurs et les modernisateurs. Mais qui mettre où n'est pas évident. Il émerge une nouvelle classe de politiques qui n'entrent plus dans la classification habituelle droite/gauche ou libéraux/conservateurs. De grands boulversements sont à prévoir.
En ce sens, l'idéologie libérale "classique", qui exige l'équilibre budgétaire strict, bloque aujourd'hui les réformes nécessaires en Russie. Les infrastructure doivent être modernisées, des investissements sont nécessaires ... et le budget doit alors être en déficit. Ce à quoi Koudrine s'oppose. N'est-ce pas ainsi la fin d'une certaine conception du libéralisme à laquelle Prokhorov renvoie à mots couverts, conception qui serait paradoxalement devenue conservatrice.
La position de Prokhorov est intéressante à plusieurs points de vue. Tout d'abord, pour un homme qui est parti avec fracas de Pravoe delo, après avoir été laché par Poutine et Medvedev - comme Koudrine - il réagit avec un calme olympien plus que surprenant et fait preuve d'une analyse institutionnelle. De ce fait, sa réaction semble être plus celle d'un homme du système, que d'une personne hors système, ce qu'il est formellement pourtant devenu. Ensuite sur le fond, l'idée de l'émergeance d'un nouveau paradigme politique est astucieuse car elle lui permet de théoriser une remise en cause du système politique actuel sans se situer en dehors - donc dans l'opposition qu'il abhorre - et d'y trouver sa place.
Quoi qu'il en soit, la démission forcée de Koudrine lance le départ des réglements de compte politiques, chacun devant prouver au mieux sa loyauté - mais à qui - dans une ambiance générale de soupçon. De belles journées en perspectives...
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