Hier à Higher School of Economics s'est tenue une conférence internationale en l'honneur des 20 ans de l'Université et des 15 ans de la faculté de droit.
Dans la première partie, officielle, le recteur de l'Université a insisté sur l'importance de l'interdisciplinarité dans l'enseignement du droit et, évidemment de la place de l'économie dans cet enseignement. Le tout en jetant quelques pics bien ascérés aux juristes, qui ont de grandes difficultés à collaborer avec leurs collègues d'autres disciplines.
La plus surprenante des interevntions était celle du président de la Cour supérieure d'arbitrage, A. Ivanov. Longuement, il a souligné les difficultés d'implantation des mécanismes juridiques européens dans le système juridique russe. Il y a trouvé d'ailleurs une des raisons fondamentales des dysfonctionnements actuels: la Russie n'était pas prête à les implanter, la société n'était pas prête à les comprendre, le législateur les a mal interprété et mis en place. Ce qui a conduit aux dérives que l'on connait aujourd'hui en matière, notamment de criminalité économique, fiscale, des "entreprises d'un jour", etc. Les hommes d'affaires, eux, n'y sont pour rien. Puisque dans un environnement concurrentiel, ils sont obligés d'enfreindre la loi pour rester justement concurrentiels. A ses yeux, il serait mieux de suivre le modèle américain sur beaucoup d'aspects, qui, lui, manifestment ne doit pas poser de problème d'implantation. Puisque ce modèle légalise des moyens de défiscalisation et permet donc aux entreprises d'être concurrentielles. Notamment, des paradis fiscaux légaux, de l'évasion fiscale légale etc. Puisque ces entreprises d'un jour existent en Russie, cela signifie qu'il y a une demande en la matière. Il faudrait donc l'intrégrer et la légaliser. Comme ça il n'y aurait plus d'infraction, plus de problèmes puisque tout serait légal. Le raisonnement est exemplaire. En poussant à l'extrême, on peut dire que puisqu'il y a des crimes, il y a demande, donc il faut les légaliser, comme ça il n'y aura plus d'infraction et plus de problèmes. Mais pour revenir à la question soulevée par A. Ivanov, rappelons-le à la tête de la plus haute juridiction traitant les affaires économiques, on a envie de lui demander: si la société est coupable parce que pas suffisamment développée, si le législateur est coupable car incompétent, si les hommes d'affaires sont a priori innocents car ils n'ont pas le choix, comment voit-il le rôle du juge? A cette question, nous n'avons pas eu de réponse.
Ensuite, l'ancien juge à la Cour constitutionnelle T. Morchakova a souligné dans sa conférence l'importance de l'indépendance de la justice et la difficulté de sa mise en oeuvre technique. Une intervention toute en nuance et en profondeur, qui met en lumière le rôle aujourd'hui central d'un contrôle de la société sur le juge, mais souligne les problèmes de l'organisation de ce contrôle et la formalisation de son rôle.
Le juge constitutionnel G. Gadjiev s'est penché sur les questions de culture juridique à travers la réception de la pensée de Kelsen en Russie. Selon lui, ce grand auteur n'est pas reconnu à sa juste valeur, notamment en raison des problèmes de traduction. Il a ainsi mis l'accent sur l'importance des langues étrangères afin d'élargir ses connaissances et sa compréhension du droit.
Le président du Conseil pour le développement de la société civile et des droits de l'homme, M. Fedotov, s'est penché sur la question d'internet, qui modifie la question du rapport à l'Etat et à sa souveraineté. Puisque dans ce cas, dans ce monde virtuel, l'Etat ne peut plus être un critère d'appréciation du droit en vigueur, car il n'y a pas d'Etat dans l'internet.
Les travaux en section ont, pour leur part, permis d'approfondir les questions relatives à la modernisation des instruments juridiques. Dans la section présidée par le professeur M. Krasnov, sur la recherche d'une optimalisation des procédés de régulation en matière publique, différentes questions importantes ont été traitées. Celle du rôle de l'Etat dans le contexte de la globalisation, la question des liens entre régimes présidentiels ou parlementaires et effectivité de l'Etat, la question de l'adéquation des moyens mis en oeuvre aux buts recherchés, les problèmes de la législation électorale notamment en ce qui concerne les élections locales, la question très importante des consultations populaires lors de la discussion des projets de loi - leur caractère virtuel et la grande difficulté technique de leur donner un cadre juridique les rendant efficaces, la question de collaboration entre l'Etat et le bisness ainsi que la question du côté "mythique" de certains instruments actuels (vous trouverez le texte de cette conférence en russe sur le blog).
Les discussions furent vivent et ont montré toute la difficulté de la "transcription juridique" des principes moraux, des valeurs sociales, sur lesquelles il y a pourtant un accord de principe. Car chaque aspect, l'indépendance de la justice, la participation de la société, la transparence des élections, le pluralisme, ne pose pas de problème au niveau de l'accord de principe. Mais chacun peut être réalisé de différentes manières. Et de la voie choisie va dépendre l'efficacité de ces mécanismes. Tenir compte des buts, des réalités, des moyens, de la logique interne du système juridique, demande une réflexion de fond. L'énergie et l'ouverture des participants ont en tout cas démontré la volonté de mener cette réflexion.
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