La Tchétchénie est le point faible de la Russie et Kadyrov, son dirigeant, une personnalité politique complexe, non policée, rugueuse, en déclage total par rapport aux règles du jeu du discours et de la politique post-moderne. Bref, il choc dès qu'il ouvre la bouche, mais il a pacifié la Tchétchénie et l'a restaurée. Mais ces faiblesses sont souvent utilisées, comme ce fut le cas avec les homosexuels. Aujourd'hui la thématique musulmane, très sensible à l'heure de l'extrémisme islamiste, semble parfaitement instrumentalisée pour remettre en cause l'harmonie du pays. Comment, Kadyrov s'oppose à Poutine? Comment, la Tchétchénie pourrait refaire la guerre à la Russie? De fausses questions pour un vrai problème: l'unité du pays.
Les guerres de Tchétchénie sont dans toutes les mémoires, les plaies sont encore sensibles et les souvenirs trop proches pour ne pas provoquer de temps à autres quelques inquiétudes ... ou spéculations. Le massacre de plusieurs milliers des Rohingyas, minorité musulmane, par le pouvoir birman, suite à l'attaque de postes de polices par des groupes rebels de l'Arakan rohingya salvation army et la fuite d'environ 87000 musulmans vers le Bangladesh depuis le 25 août, a servi de détonateur.
Ce qui nous intéresse ici, ce sont les implications en matière de politique intérieure russe. Car l'arrivée de Kadyrov sur la scène médiatique, dans ce contexte, montre la dimension politique de la question. Et deux aspects doivent être dissociés: les déclarations de Kadyrov et les manifestations.
Kadyrov et la Russie
Kadyrov s'est adressé par vidéo aux russes, dans son style:
Il s'est prononcé pour une enquête internationale sur ce qu'il considère comme étant un crime contre l'humanité, il demande une intervention de l'ONU pour arrêter la catastrophe humanitaire et la condamnation par la Russie, qui a par ailleurs de très bonnes relations commerciales avec la Birmanie, de condamner le massacre perpétré par le pouvoir, notamment contre les populations civiles. En traitant de la question du silence choquant de la communauté internationale, il a déclaré que
"si même la Russie est du côté de ceux qui perpètent ces crimes, alors je serai contre la position de la Russie. Parce que j'ai ma vision des choses, ma position. Je suis plus que certain qu'aujourd'hui personne ne peut soutenir des assassins et des violeurs"
Etrangement, la presse libérale ne donne pas la suite de ses paroles, qui nuancent largement la première partie:
"mais il y a les nuances de la politique étatique. C'est pourquoi nous devons être compréhensif avec tout se passe se passe, avec la manière dont se comportent les politiciens"
Passons sur le fait que Kadyrov n'est que le Gouverneur, élu, d'une entité fédérée et non d'un Etat souverain, ce qui ne lui donne pas compétence pour s'adresser officiellement à l'ONU, ses discours au sujet de la Russie sont plus intéressants. A ce sujet, et pour relativiser toutes les spéculations sur l'opposition possible entre la Tchétchénie et la Russie qui ressortent dans certains milieux, Kadyrov n'a pas déclaré s'opposer à la Russie, mais a affirmé avoir une position qui peut être différente de celle de la Russie. La différence est quand même de taille. D'autant plus qu'il relativise immédiatement, en disant finalement que les choses sont toujours plus compliquées qu'elles ne semblent et qu'il fera son possible pour apporter une aide humanitaire. Ce qui n'a plus rien à voir avec les délires de la presse.
Après la condamnation par V. Poutine des actions du gouvernement birman, Kadyrov a à nouveau fait plusieurs déclarations, dont il aurait pu se passer - sur le principe même:
J'ai toujours été un soldat fidèle de notre Président et suis prêt à exécuter n'importe quel ordre de notre commandant en chef et de donner ma vie. Et ceux qui interprètent mes paroles et se moquent de l'assassinat de personnes innocentes se trouvent dans un vide moral. Encore une fois je veux dire que pour moi la religion a toujours été et sera toujours en première place. (...) Je considère comme mon devoir de défendre ceux qui en ont besoin. De me prononcer contre l'injustice.
Il affirme lui-même, comme il l'a toujours fait, son allégeance à la Russie et à son Président. Mais il met en avant son appartenance religieuse. Et c'est sur ce point qu'il a pu être manipulé. Il est quand même difficile de qualifier Kadyrov de fin stratège, il ne sait pas communiquer et tombe systématiquement dans tous les pièges tendus, l'affaire des homosexuels en est un exemple. Et le fait même de s'exprimer après l'intervention présidentielle est maladroit.
La spéculation est donc lancée sur plusieurs fronts. C'est un dangereux fondamentaliste; il défie le Kremlin qui lui pardonne tout (la preuve, Poutine s'est prononcé après les manifestations); il va instaurer un Califat; il va s'opposer à la Russie et relancer la question de l'indépendance de la Tchétchénie ...
La réaction du Président russe, dans sa réponse fait aux journalistes est très simple: chaque citoyen a le droit d'avoir son opinion sur le cours de la politique étrangère russe, chaque gouverneur également, il n'y a aucune fronde dans les paroles de Kadyrov.
De toute manière ce genre de question, de recadrage puisque c'est de cela uniquement dont il s'agit, ne se fait pas en public ni devant les caméras. En revanche, que le leader tchétchène, difficilement remplaçable si l'on ne veut pas faire exploser la république, se sente l'obligation de défendre les musulmans en danger, c'est son droit, mais la barrière de l'islam politique ne doit pas être franchie et c'est justement là où "l'on" veut le conduire.
Des manifestations aux ramifications étranges
Sur cet entrefait, deux manifestations ont été organisées en Russie. La première ne pose pas de questions particulières, elle s'est déroulée à Grozny lundi, avec l'accord des autorités locales et a compté environ 1,1 millions de personnes venues de différents coins du pays pour demander d'arrêter de faire couler le sang. Kadyrov avait d'ailleurs déclaré qu'il était d'accord pour l'organiser, plus pour calmer les gens, qu'ils puissent s'exprimer, que pour réellement influencer sur le cours d'un processus complexe.
La seconde manifestation soulève plus de questions. Une autre manifestation devant l'ambassade de Birmanie, qui n'a rien à voir avec les autorités tchétchènes, s'est déroulée à Moscou. Elle n'a pas été autorisée, mais n'a pas été dissoute par les forces de l'ordre. Certains analystes s'interrogent sur les origines de cette manifestation et y voient la main de Hizb ut-Tahrir, mouvement global de l'islam politique fondé en Plestine en 1953, soutenu par l'Occident (on retrouve des bureaux dans les pays anglo-saxons), qui occupe une position anti-Assad en Syrie et dont les liens avec l'Etat islamique sont discutés (elle est interdite dans de nombreux pays).
Certaines questions se posent alors de l'utilisation du conflit birman dans la politique intérieure russe. Soulever les foules pour des causes objectivement bonnes, mais qui n'ont rien à voir avec le but réel recherché par les organisateurs, qui apparaissent rarement sur le devant de la scène, est une technique bien développée. Nos sociétés sont suralimentées aux droits de l'homme. Il suffit de sortir le slogan et les réflexes pavolviens fonctionnent à merveille, les gens cessent de réfléchir et se lancent dans la rue, devant les bâtiments, perdent tout contrôle de leurs actes.
Avant de courir dehors, il serait important de commencer par comprendre calmement ce qui se passe réellement en Birmanie, car le discours des gentils musulmans persécutés par le méchant pouvoir semble un peu simpliste. Tout mouvement contestataire violent est beaucoup plus complexe et rarement manichéen. Mais que nous importe de comprendre, il nous faut condamner avant tout. Pour être très rapidement du côté des bons contre les méchants. L'impulsion incontrôlée a remplacé la réflexion. C'est très animal finalement comme comportement.
Je partage entièrement le contenu de cet article et tout particulièrement le dernier paragraphe. Les méchants birmans qui tuent les gentils musulmans, un peu comme les méchants russes qui tuaient les gentils tchéchènes, alors que cette guerre pour utiliser un euphémisme du général Lebed était une guerre d’affaire. Une guerre d’affaire dont le parrain de la mafia russe Boris Berezovsky tirait les marrons du feu.
RépondreSupprimerDe nos jours demander aux gens de comprendre est la pire des demandes, une hérésie.
Merci de l'article ... je constate avoir des lacunes sur la Birmanie ... quant aux manifs non autorisées en Russie ... on peut y supposer l'influence "maligne" d'une ONG quelconque en mal de "révolutions orange"!!
RépondreSupprimerMoi aussi, je suis méfiante envers cette affaire et attend d'en savoir beaucoup plus. On nous a déjà trop manipulés.
RépondreSupprimer