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vendredi 20 septembre 2019

Pavel Oustinov et le cercle vicieux de la justice médiatique expéditive



A l'heure des réseaux sociaux, chacun commence à jouer au juge, au procureur et à l'avocat. Dans son divan, l'on se forge une conviction en regardant des vidéos sur youtube, l'on s'indigne, pour des images hors contextes, la réaction émotionnelle ayant partout enterré l'analyse rationnelle. La justice doit être expéditive plus que rapide, c'est-à-dire suivre le diktat de ceux qui organisent les manifestations "pour" ou "contre". Finalement peu importe, personne ne s'intéresse à la réalité des faits. L'important est de réagir, faute de réfléchir. Et de faire plier la justice en fonction des intérêts corporatifs. Donc de porter atteinte au système étatique, à l'ordre établi. Si cela existe, malheureusement, partout aujourd'hui à des degrés divers, cette parodie de justice populaire prend des proportions dangereuses en Russie, où l'Etat a déjà plusieurs fois cédé. L'affaire de l'acteur, parfaitement inconnu avant les faits, Pavel Oustinov continue l'oeuvre de destruction commencée avec l'affaire du journaliste tout aussi inconnu alors, Golounov. Et la machine s'emballe, car la société civile a le goût du sang dans la bouche.


En Russie, l'Etat semble en totale reculade ces derniers temps, ouvre grandes les portes, organise des séances de flagellations collectives "Oui, nous sommes fautifs, grandement fautifs!" dès qu'il est nécessaire de faire respecter l'ordre public dans la durée. Un maillon a cédé avec la libération politique du journaliste, alors inconnu, Golounov, soi-disant interpellé faussement pour trafic de drogue, après le soulèvement de ses clients collègues, indignés qu'ils puissent être soumis à la législation en vigueur pour le commun des mortels (voir notre texte ici décrivant les pressions exercées sur la justice par les milieux journalistiques bobos). Et ça a marché, Pôv Choupinet est en liberté, aucune des fameuses révélations promises n'a été faite et processuellement, c'est une catastrophe : l'affaire n'est pas close puisque les faits de trafic de drogue sont établis, rien n'a été trouvé contre les policiers qui soi-disant auraient placé la drogue, mais Choupinet continue sa vie et la justice ainsi que les forces de l'ordre ont été salies. lui est retombé dans l'oubli, il a rempli sa mission et n'est plus nécessaire.

Ensuite, la grande braderie de la liquidation du système pénal s'est ouverte, avec l'expédition en Ukraine de terroristes, ayant notamment oeuvré en Tchétchénie à l'époque, et surtout du fameux Sentsov, pris rappelons-le, en train de préparer des attentats (voir notre texte ici). La machine s'emballe, Serebrennikov, accusé de détournement de fonds est relâché, tout comme cela s'avère être le cas pour les "investisseurs" étrangers. Le pénal est le répressif, le symbole de la force légitime de l'Etat, le lieu de la véritable force. Inacceptable pour l'idéologie actuelle.

Bref, le système pénal est sous attaque ciblé, décrédibilisé, de l'intérieur, par les structures étatiques, qui cèdent à toutes les pressions, internationales et politiques intérieures.

Alors pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Les zartistes font le spectacle, dans la rue leur jeu est de bien meilleure qualité que dans les productions actuelles, ils y sont manifestement plus à leur place. L'on ressort le bon vieux slogan qui avait fonctionné avec Golounov, "Je suis Oustinov, Je suis le pays entier". Rien de moins, ils prétendent à la représentation exhaustive de l'opinion publique, en dehors de leur position rien n'existe, ne peut exister, n'a de légitimité pour exister. Oui, ils ont bien saisi le prinipe de tolérance européen.

Que s'est-il donc passé avec Pavel Oustinov. Il a été condamné à 3 ans et demi de prison pour avoir blessé un policier qui procédait à son interpellation lors de la manifestation interdite du 3 août. Il n'a pas été condamné pour avoir participé à une manifestation, mais pour avoir blessé un policier. Une vidéo dans laquelle l'on ne voit pas l'acteur d'ailleurs avant l'interpellation circule. Il affirme, lui, avoir été là par hasard, comme ça, et de rien les trois policiers se seraient dirigés vers lui. Peut-être n'aimaient-ils pas son jeu d'acteur, enfin encore faudrait-il qu'ils reconnaissent cet inconnu. Mais aujourd'hui propulsé, non pas pour son talent sur les planches ou les écrans, on fait ce qu'on peut, la corporation le propulse comme "victime du régime". Un peu comme les journalistes ont instrumentalisé Golounov, qui n'avait de toute manière rien à perdre, bien au contraire. Et ces inconnus gagnent leurs heures de gloire, non professionnelles. Carrière aussi brève que fulgurante.

La peine est lourde ? Oui. Trop lourde ? Certainement. C'est d'ailleurs pour corriger les erreurs d'appréciation que l'appel existe, et l'avocat d'Oustinov a fait appel. La Procuratura générale a demandé qu'il soit libéré en attendant la suite du procès et que, en appel, une peine plus légère soit prononcée. Mais non en fonction d'une vidéo sur youtube, après une procédure complexe d'examen des preuves et d'audience. Et heureusement, car les cris de la foule ne permettent aucune argumentation, aucune analyse. La justice ne peut être un cri, ni une posture.

Lorsque l'on sait que le procureur avait demandé une peine de 6 ans, l'on se dit qu'il aurait pu être moins radical dès la première instance et éviter ainsi d'allumer les poudres. Idem pour le juge qui aurait pu, non pas appliquer automatiquement la nouvelle législation plus sévère, mais prendre en considération le passif de l'accusé et le danger réel qu'il présente pour la société, personne n'a annulé le principe d'individualisation des peines.

Il aurait fallu. Ils auraient pu. Mais tel ne fut pas le cas, pourquoi ? En fait, il est extrêmement difficile aujourd'hui et pour les procureurs et pour les magistrats de travailler sereinement, en raison des pressions de toutes parts qui sont exercées sur eux et des signaux contradictoires qui sont envoyés.

D'une part, le signal d'une plus grande fermeté pour éviter les maïdans est généré par les politiques en mal de comm. Les députés ont ainsi adopté en grande pompe une législation plus sévère, ne pensant manifestement jamais à la manière dont elle serait appliquée, ni aux conséquences. Eux ont fait ce qu'ils pensent être leur travail, ils ont surtout fait de la comm. Le procureur et le juge pensent que le signal de fermeté est lancé, ils l'appliquent, le magistrat d'autant plus que les réformes diverses et variées d'américanisation de la procédure pénale ne cessent de le priver des moyens processuels d'établir la vérité matérielle. Par ailleurs, la société de consommation incessante demande un produit fini rapide, le temps de youtube n'est pas celui de la justice, à la justice de s'adapter à youtube. Et l'on obtient une justice rapide - de mauvaise qualité. Ce qui est significatif, c'est que ce sont justement ceux qui dégradent la justice qui, ensuite, critiquent avec tant d'emphase ses dysfonctionnements.

Finalement, la presse étrangère a fait de cet inconnu "nouveau symbole anti-Kremlin", à moindre frais.

Alors que, de toute manière, en appel la peine aurait certainement été révisée, les manifestations de corporatives parfaitement organisées, donnent encore une fois l'impression que l'Etat cède devant la pression de la rue, devant la partie radicale de la société civile. Bien que la Procuratura générale affirme que les faits constitutifs de l'infraction soient parfaitement prouvés, elle demande une peine plus légère. Et l'on peut sans aucun doute affirmer que telle sera la décision d'appel. Dans tous les cas, la machine de déstabilisation s'est emballée, la société a goûté le pouvoir, elle ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Lorsque les cadres et les règles tombent, ce ne sont pas des individus "libérés" et rationnels que l'on rencontre, mais une foule qui a le goût du sang dans la bouche et ne se calmera que lorsqu'elle aura tout piétiné devant elle, se réveillant alors avec la gueule de bois, à moins de n'être arrêtée par la force, tant que c'est encore possible.

Une intéressante réflexion de Nietzsche : "Illusion dans la théorie de la révolution:
Il y a des rêveurs politiques et sociaux qui dépensent du feu et de l'éloquence à réclamer un bouleversement de tous les ordres, dans la croyance qu'aussitôt le plus superbe temple d'une belle humanité s'élèverait, pour ainsi dire, de lui-même. (...) Malheureusement, on sait par des expériences historiques que tout bouleversement de ce genre ressuscite à nouveau les énergies les plus sauvages, caractères les plus effroyables et les plus effrénés des âges reculés"

1 commentaire:

  1. En France, de Janvier à Août 2019, 45 policiers et 10 gendarmes se sont suicidés.C'est déjà plus que pendant toute l'année 2018. Ca ne va pas très bien chez nous non plus.
    Que penser de Margarita Simonian qui a deux reprises, que ce soit pour Golounov ou pour Oustinov, a donné raison aux manifestants, a condamné les décisions de justice et demandé la libération des "innocents". J'avoue que j'ai du mal à suivre.

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