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mardi 3 décembre 2019

Le management contre la politique : l'efficacité des Gouverneurs russes appréciée en fonction de la confiance de la population dans le Président russe



Une information assez surprenante est tombée hier. Surprenante, car comme surgie d'un autre monde, d'une autre époque, alors que la Russie vit aujourd'hui, à en croire la classe dirigeante, à l'heure postmoderne du management triomphant, du culte de l'efficacité et donc des critères objectifs, bref, indiscutables. Or, au milieu de cette orgie néolibérale de démocratie progressiste, tout à coup, au détour d'une liste gouvernementale de critères d'appréciation de l'efficacité des gouverneurs, donnant droit à leur région à des financements publics supplémentaires, l'on voit émerger, anachronique, l'indice de confiance des habitants de la région dans le Président de la Fédération de Russie ... Nos chers manageurs auraient-ils eu une rentrée, ou un été, à ce point difficile, pour s'engouffrer sans plus de manière dans le ridicule ?


Grandeur et décadence du culte managerial, mêlé à un affaiblissement de soutien populaire en raison de réformes mal menées, mal expliquées et d'annonces de réforme totalement décalées de la réalité. La réforme des retraites n'est toujours pas digérée et a donc conduit à l'adoption de toute une série de mesures budgétaires de compensation sociale, qui la rendent finalement plus coûteuse à l'Etat. Donc, l'intérêt budgétaire tombe et l'intérêt économique reste toujours à démontrer. Mais les gens doivent travailler de plus en plus tard, pour payer leur dû à la société, c'est le mantra aujourd'hui. La réforme de la gestion des déchets croule sous les scandales et les problèmes de mise en oeuvre. Sans parler des annonces aussi stupides que désastreuses, par exemple interdire aux gens de fumer sur leur balcon, obliger les conducteurs à des examens de santé très onéreux si l'on tient compte du revenu moyen, qui obligent l'intervention présidentielle à tours de bras pour calmer la situation et compenser l'image désastreuse de certains ministres.

Avec cela, les élections locales ne se passent pas toujours sans heurts (concernant les élections locales de 2018, voir notre texte ici), les Gouverneurs doivent bénéficier de tout l'appui de la mécanique d'Etat pour survivre à l'atterrissage de leur parachutage politique. Au-delà du soutien direct et affiché, l'on notera la pratique, assez étrange sur le plan juridique, de la révocation anticipée, du remplacement par un candidat temporaire à un an environ des élections, qui bénéficie de toute l'aide centrale et, en général, est élu. 

Dans ce cadre, le Gouvernement vient d'adopter une réglementation assez étrange. En plus du financement normal des régions, des financements supplémentaires à hauteur de 45 milliards de roubles vont être répartis entre 50 régions, celles qui sont considérées comme les plus "efficaces". Il a donc bien fallu déterminer les critères de cette incontournable efficacité. Ils sont divers et variés, sans grande surprise, la créativité a ses limites, quoique : niveau d'emploi de la population dans le privé, niveau de salaire, niveau de formation moyen, etc. Tout va pour le mieux dans ce monde néolibéral, si l'on ne porte attention au premier d'entre aux, ainsi formulé : "niveau de confiance des habitants de la région envers le Président".

Mais quel est le rapport entre la capacité de la région à assurer les services publics, à permettre une économie dynamique, et la confiance de la population dans la personne du Président ? Aucun. Est-ce à considérer que des régions qui auraient le mauvais goût d'élire un Gouverneur qui, par hasard et évidemment par erreur, n'appartiendrait pas à Edinaya Rossya ne pourrait avoir de chances d'obtenir des financements publics supplémentaires ? Puisqu'il s'agit de financements publics, et non de grants d'un Fonds d'investissements privé faisant du lobbying, la logique - sur le plan juridique - est quelque peu surprenante ...

Remarquez, quelle chance, cela aurait pu être encore plus direct, imaginez la formulation suivante, qu'il a fallu de toute force empêcher de sortir - ce qui, manifestement, n'a pas été facile : niveau de confiance des habitants de la région envers Vladimir Poutine. Finalement, l'on s'en sort pas trop mal. 

Au milieu d'un tel déversement de Novlangue manageriale, ce critère semble un anachronisme. Presque un appel au secours. En effet, selon les résultats de l'Intitut de sondages Vstiom, et la personne de Poutine et l'institution présidentielle bénéficient d'un indice de confiance élevé (autour de 70%), ce qui n'est pas le cas du Gouvernement (39%), ni du Premier ministre (36%). En revanche, à la question ouverte, à quel politicien feriez-vous confiance pour régler les problèmes, Poutine obtient 32%. Bref, il a un potentiel politique personnel fort, mais largement entamé par les politiques menées, ce qui montre bien que les gens ne sont ni dans le fanatisme, ni dans le culte de la personnalité.

Finalement, il semberait que, outre l'hypothèse de l'incompétence crasse des "leaders progressistes", certains groupes gouvernants ne bénéficiant pas d'un socle politique réel ait besoin de se cacher dans l'ombre présidentielle. Espèrons que les régions ne vont pas se lancer dans un culte officiel suicidaire de la personnalité, qui passerait assez mal dans la population. D'autant plus que, comme l'histoire l'a montré, cela tourne en général assez mal pour l'Etat. Il serait mieux venu de redonner sa place au politique, afin de laisser émerger la complexité réelle de la société dans les structures de pouvoir et ne pas permettre la surreprésentation de groupes politiquement inexistants, mais idéologiquement dominants. Ces risques reviennent régulièrement sur le devant de la scène et ceci s'inscrit dans la ligne manageriale antipolitique du rapport fait en 2018 par le Groupe d'influence Minchenko Consulting, dont l'analyse est disponible en français ici.

1 commentaire:

  1. "orgie neoliberale de démocratie progressive"? comment est ce possible ?

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