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mardi 1 septembre 2020

Russie : le culte numérique va-t-il remporter la victoire sur le patriotisme ?



Deux héros des temps post-modernes viennent d'être décorés en Russie pour leur mérite devant la Patrie. Que les allergiques du patriotisme se rassurent, le concept est utilisé ici dans un sens absolument politiquement correct, en signe d'une allégeance totale au culte numérique et à la globalisation. L'un, Artiemy Lebedev, designer, pour avoir dessiné le logo du métro; le second, Dmitri Peskov, pour avoir organisé en 2019 les jeux WorldSkills. Comment la Patrie aurait-elle en effet pu vivre sans ces héros? Surtout quand le premier passe son temps à insulter la Seconde Guerre mondiale et dégrader ses symboles et quand le second lutte avec acharnement pour que "Google remplace l'Université d'Etat de Moscou". Au fait, devant quelle Patrie sont-ils tant méritants ?


Régulièrement, les pays décernent leur lot de décorations. Il est difficile d'y trouver de grands hommes, l'époque est trop étriquée pour se permettre des héros, le virtuel de toute manière ne s'y prête pas. Mais cette fournée est particulièrement notable. Parmi les héros ordinaires de notre temps, l'on trouve dans cette liste deux figures ... que l'on ne s'attendrait pas à trouver dans une Russie souveraine, dont la Nation est construite aujourd'hui quasiment exclusivement autour du souvenir des sacrifices et de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, appelée en Russie Grande Guerre Patriotique, un pays fier de ses acquis scientifiques, ces prix nobels soviétiques.

Artiemy Lebedev, designer, vient de recevoir la médaille du mérite devant la Patrie du second degré pour le logo du métro. Soit. Pourquoi pas. Les logos, aussi c'est important. Il est peut-être difficile de trouver des personnes qui apportent plus. Les temps sont ainsi et il faut bien distribuer les médailles. Il a eu sa médaille. Après avoir été plusieurs fois accusé de plagiat, après avoir  été condamné sur recours en justice d'un vétéran de Stalingrad pour avoir déclaré que c'était une ville de trouillards (courageusement, sur son petit blog, bien au chaud, menant ses grands combats), après avoir déclaré que le monument "La Mère-Patrie" était "monstrueux", je cite :
 "C'est une merde qui a été posé une fois et qui est devenu un symbole". 
Manifestement, cet individu a développé une haine profonde pour la Seconde Guerre mondiale, la victoire de l'URSS semble le déranger hautement, le courage de ses ancêtres lui renvoie une image dérangeante ... en comparaison de la sienne. Mais ne nous inquiétons pas, sa haine de l'histoire russe ne s'arrête pas là et son vocabulaire semble assez limité, car il a également qualifié de "monstrueux" Nicolas II. Il semblerait que ce soit toute l'histoire de la Russie avant les années 90 qui soit pour lui monstrueuse.

Ce qui n'a pas empêché de le décorer - "pour le développement d'internet". En effet, ça pardonne tout, le développement d'internet. Il est vrai que son patriotisme a été estampillé un peu avant, quand il a été mis en route pour défendre la réforme constitutionnelle, avec un amour de la Patrie qui nécessite une médaille, même s'il a ensuite déclaré avoir été trompé, car il ne savait pas que cette réforme comportait la nullification des mandats de Poutine. Donc, soit il n'a rien lu, soit il n'a rien compris. Mais il confirme dans tous les cas sa loyauté, à sa manière, ce qui doit tout justifier. Une médaille vaut bien quelques efforts.

Lebedev est l'incarnation de ce faux patriotisme de circonstance, tant utilisé par certaines élites "progressistes" pour détruire le sentiment national, ces gens qui n'ont soi-disant aucune conviction, le revendiquent haut et fort, mais dès qu'ils le peuvent tentent de détruire ce qui fait le socle de la Nation. Et en Russie, c'est la Grande Guerre Patriotique, à côté de Pouchkine et Gagarine. Ainsi, dans cette vision post-moderne tant défendue par les néolibéraux, il est possible de passer son temps à insulter les vétérans, la mémoire du pays et d'être patriote. Ainsi, de recevoir une médaille ... pour un logo. En effet, ça vaut bien Stalingrad ...

L'autre figure emblématique du culte inconditionnel voué par certaines élites russes, qui ne sont pas dans l'opposition, au globalisme est Dmitri Peskov, non pas le porte-parole du Président, mais son homonyme, conseiller du Président pour le développement du numérique, nommé en juillet 2018. Lui, vient de recevoir la médaille du mérite devant la Patrie du premier degré. Qu'a-t-il fait pour cela ? Il a organisé le championnat à Kazan en 2019 WorldSkills. La filiale russe est une organisation fondée par le ministère du travail, de l'éducation et l'Agence d'initiative stratégique (dirigée par Peskov). Elle est rattachée à l'organisation WorldSkills International, qui doit former "des cadres performants". Cette organisation a été fondée en 1946 et son siège est à Amsterdam. Quelques multinationales sont partenaires, mais l'on retrouve aussi des systèmes d'éducation alternatifs, comme celui d'Amazon ou Studica, qui est le leader de l'alternative technologique. Il s'agit bien d'un moyen de soft power. Donc, dans la Russie d'aujourd'hui, l'organisation d'une messe globaliste est considérée ... comme un mérite devant la Patrie ? Soit.

Or, c'est donc, à travers Peskov, l'organisation internationale WorldSkills que la Russie, en pleine revendication de souveraineté, vient de récompenser pour ses bons et loyaux services. Il est vrai que l'attaque menée grâce au coronavirus contre l'enseignement et la recherche en Russie est sans précédent, sauf à l'époque des premières heures bolchéviques peut-être. D'ailleurs, il y a quelques années, Dmitri Peskov, était plein d'enthousiasme pour "l'enseignement du futur", sans examens mais avec des jeux, sans diplôme puisque sans fin, sans professeurs puisque sur le net, grâce auquel Google allait enfin pouvoir détruire l'Université d'Etat de Moscou, la plus ancienne et meilleure université de Russie. Cette Université qui a eu le mérite de survivre aux années 90. L'échec et le rejet de l'enseignement à distance imposé par la force avec la crise du Covid n'empêchent de continuer les efforts pour anéantir le système éducatif russe. Tout ce qui n'a pu être obtenu avant est imposé aujourd'hui sous couvert de crise sanitaire : fin des cours magistraux, difficulté pour maintenir les cours en salles, mise à l'écart des plus de 65 ans (sans base légale) - sachant qu'en Russie, avec la crise de la science des années 90, une grande partie des universitaires sont touchés, notamment les figures prestigieuses. C'est l'occasion rêver pour se débarrasser de la veille école et des écoles scientifiques en général. Et ouvrir le champ à "Google", qui ne supporterait pas la concurrence.

Et Dmitri Peskov a été décoré. Pour son apport à la Patrie. Quelle Patrie doit-être reconnaissante devant ces individus ?

Le culte numérique et le patriotisme sont exclusifs l'un de l'autre, car l'un est l'instrument de la globalisation quand l'autre impose la suprématie de l'intérêt national. Trouver un compromis ici est impossible, il s'agit d'un choix. La décoration de ces tristes sires est une bien mauvaise nouvelle.

5 commentaires:

  1. Votre article me désespère, moi qui comptais sur la Russie pour résister à la globalisation.

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  2. La médaille du mérite devant la patrie second et premier degré dont j'ignore totalement la valeur peut-être un peu moins la portée symbolique a été attribuée, je vous crois à des personnes dont le mérite justement est de donner des gages visibles aux tenants agressifs d'une globalisation numérique dévorante.
    Ce fait là aura sans doute des échos dans la sphère de la contre culture où baignent tant de personnes acquises à la facilité.
    Ne doit-on pas y déceler un simple concession favorable et accommodante aux lois du marché avec cependant une fois l'effet d'annonce passé assez peu de conséquences sur l'intérêt national, et le cadre culturel ?

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  3. Qu'est ce qu'à voir le patriotisme avec le numérique ,vous croyez franchement que le patriotisme c'est de rester dans le passé ,une nation doit développer le monde de demain et rester soit même, sinon elle passe à côté de l'avenir et par conséquent de son avenir,ne mélangeons pas les choses.

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  4. Q'u à voir le numérique avec le patriotisme,vous croyez vraiment qu'une nation peut se passer de cela,une nation fière d'elle même doit se donner les moyens du monde de demain,sinon elle n'a aucune chance,le monde global c'est une chose, la modernité une autre on peut très bien promouvoir les nouvelles technologies sans succomber aux sirènes du (mondelibre) .Nous sommes au 21eme siècle et on ne peut revenir en arrière,il faut au contraire se servir de toutes ces sciences pour conserver notre spécificité.

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  5. @ Lila - 1. Les médailles sont décernées au nom de la Patrie par des Autorités qui s'en prévalent.
    2. La question n'est pas de condamner le "numérique" (que l'auteure de cette chronique utilise)mais son "culte" comme agent de la globalisation ; elle est aussi de bien discerner ce qui est honoré par cette décoration (une organisation internationale qui dit d'elle-même, entre autres : "WorldSkills France coordonne un vaste réseau, très engagé pour la promotion de l’apprentissage et l’alternance, la mobilité et la jeunesse des métiers." ).

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