Hier la Rada a adopté avec beaucoup de difficultés les deux projets de loi déposés par P. Poroshenko sur le statut spécial de certains territoires des régions de Lugansk et Donetsk et sur l'amnistie. 277 députés ont finalement voté pour la loi sur le statut spécial et 287 pour la loi sur l'amnistie. Deux lois qui, formellement, font partie des accords de paix de Minsk. Et vu le résultat, il semble que le seul but était justement de formellement adopter ces lois pour formellement remplir les obligations du plan de paix. Mais un plan de paix formel peut-il réellement apporter la paix?
En gros, ces textes envisagent, pour une durée limitée à 3 ans, l'instauration d'une relative autonomie locale, avec élections des assemblée locales et des maires, uniquement sur les territoires contrôlés par les combattants, avec reconnaissance, uniquement sur ces territoires, de la possibilité d'utiliser la langue russe, la possibilité de créer des "polices populaires" de proximité, l'absence de poursuites pour les personnes ayant participé aux évènements de Lugansk et Donetsk, la mise en place d'un régime économique spécial et le lancement de programmes de développement sociaux et culturels. En ce qui concerne, l'amnistie, elle ne s'appliquera qu'aux personnes qui dans le mois précédant l'entrée en vigueur de la loi rendront les armes, rentreront chez eux, et libèreront les prisonniers. Si les petites infractions, dites administratives, seront immédiatement amnestiées, toute une série d'infractions plus sérieuses et politiques ne seront pas amestiées. La qualification des actes va prêter à interprétation. Les bâtiments administratifs et autres doivent également être libérés. Autrement dit, l'armée de Novorossia doit immédiatement capituler et le pouvoir populaire, installé sur le fondement des référendums de 11 mai, rentre à la maison. Cette étrange amnistie semble vidée de son sens. Voici les conditions de la "paix de Kiev".
Non seulement la paix est de plus en plus compromise, mais ces textes révèlent toute la difficulté politique de la situation, car si pour Kiev c'est le maximum qui puisse être reconnu, pour Donetsk c'est le minimum qui sert de point de départ pour une discussion. Ainsi, trois éléments centraux, que nous allons développer, se dégagent de la situation:
- L'Ukraine ne peut accepter une réelle autonomie du Donbass sans reconnaître son échec
- Les lois ne règlent en rien la situation
- Ces textes peuvent conduire à une destabilisation et une radicalisation des forces politiques dans le Donbass
Toute la classe politique qui s'est installée à la Rada fait du combat pour le Donbass une idée nationale: perdre le Donbass revient alors à se perdre soi-même, pour autant les habitants font l'objet d'une haine profonde. En étant pragmatique, Kiev ne peut laisser partir ces régions, car ce sont elles qui sont les régions donatrices pour le budget national, les régions dans lesquelles les entreprises étaient principalement installées.
Donc le maximum que Kiev pouvait promettre était une autonomie relative à l'intérieur de l'Etat ukrainien unitaire. Mais ce compromis, qui est déjà celui de Minsk, satisfait peu de personnes. La Russie, certes, mais déjà par tweets les combattants s'indignent: oui, nous respectons V. V. Poutine, mais maintenant c'est à nous de décider que faire. Voici l'original en russe:
Сейчас, ВТОРОЙ ПЕРЕЛОМНЫЙ МОМЕНТ...сказать, ДА...В.В.П. МЫ Вас УВАЖАЕМ, но МЫ принимаем решение САМОСТОЯТЕЛЬНО!!!
Et beaucoup de députés, dès avant le vote de la loi, se prononçaient contre. Evidemment le parti extrémiste Svoboda de O. Tiagnibok n'a pas voté ces textes. Mais dans l'ensemble, les textes ne plaisaient pas. En ce qui concerne le Statut spécial, sans même parler de la langue russe, la haine est devenue personnelle. Et les députés sont choqués du fait que les habitants des villes puissent créer une police populaire locale, et "comment ces terroristes vont-ils patrouiller avec nos policiers?" (sic). Pourtant, les pouvoirs de cette police populaire sont insignifiants. D'autres affirmaient ne pas vouloir signer le texte de Poutine, ce serait comme une capitulation. Intéressant, car le fait que le texte ait été vidé de sa substance par Poroshenko n'est pas rappelé. Non, c'est un texte russe, donc il faut refuser.Question de principe.
En d'autres termes, le vote était nécessaire à Poroshenko, qui doit montrer patte blanche, mais pas aux députés qui ne voient d'autres modes de règlement de la situation que la capitulation des combattants. Et une capitulation totale, sans amnestie. Car le texte de la loi d'amnistie est essentiellement un texte factice, son contenu n'ayant quasiment aucune chance d'être appliqué. Il revient, en réalité, à imposer aux combattants de déposer les armes avant que l'amnistie n'entre en vigueur, donc sans aucunes garanties. Ce qui est absurde, si l'on veut réellement adopter une amnistie générale. Sans oublier qu'elle n'est pas générale, car la loi prévoit une longue liste d'exclusions et, notamment, en ce qui concerne le crash du Boeing. C'est donc bien un acte de capitulation. Cette loi d'amnistie signifie: baissez la tête et rentrez chez vous, on verra ensuite ce que l'on fera de vous. Avec au passage, entre les lignes, l'idée de mettre sur le dos des combattants, qui ne peuvent plus se défendre, le crash du Boeing, dont l'enquête traine en longueur juste ce qu'il faut.
Ces lois ne règlent en rien la situation
Or ces textes de loi ne servent à rien, ni à Kiev, ni dans le Donbass, car ils ne règlent rien. Politiquement, ils sont inacceptables pour une grande partie de la classe politique ukrainienne, qui ne peut accepter l'idée même d'un statut spécial, si réduit soit-il, sans même parler d'une amnistie. C'est la raison pour laquelle le vote s'est déroulé, à la demande expresse de Turchinov, le président de la Rada, à huis clos, pour que personne dans l'opinion publique ne sache qui a voté quoi. Ensuite, le quorum risquant de ne pas être atteint, une pause a été annoncée, par Turchinov, qui a joué du téléphone avec les chefs de fractions pour les forcer à voter. Charmant et ce n'est pas de la propagande russe, c'est écrit dans la presse ukrainienne.
Ensuite, ces textes sont temporaires. Ils ne sont adoptés que pour trois ans. Mais immédiatement, sur le site préssidentiel, une déclaration intéressante apparaît: ces textes sont prévus pour 3 ans, mais ils pourront être modifiés dans un an et demi ou même dans un an, dès que la situation sera à nouveau sous contrôle. Aurement dit, ces textes sont fictifs. Ils n'ont été adoptés que pour contenter la communauté internationale, calmer la Russie et amadouer les républiques du Donbass.
D'autant plus que les députés non contents de l'adoption de ces textes, qui ne présentent pourtant strictement aucun danger pour l'Ukraine, bien au contraire, menacent d'en contester la constitutionnalité: la procédure d'adoption n'aurait pas été conforme aux normes constitutionnelles et les députés présents auraient voté pour leurs collègues absents. Et sur Interfax Ukraine apparait déjà l'information selon laquelle les députés ukrainiens proposent l'annulation de la loi sur le statut spécial. Voici:
Депутаты предлагают отменить законы об особом статусе отдельных районов Донбасса и об амнистии членов вооруженных формирований ...
Mais le danger de ces textes réside surtout en la création d'un clivage qui peut à nouveau destabiliser la situation dans le Donbass, cette fois-ci sur un autre plan.
Ces lois peuvent conduire à une destabilisation et une radicalisation des forces politiques dans le Donbass
En étant totalement décalés des revendications des combattants, ces textes, s'ils sont soutenus par les dirigeants politiques, et politisés, des Républiques autonomes, risquent de provoquer un boulversement dans l'équilibre précaire du rapport des forces entre les "politiciens" et les "combattants".
Le chef de la République populaire de Lugansk est à monté au créneau du combat politique, voire politicien, pour mettre un terme, coûte que coûte, aux opérations militaires. Ainsi, Plotnitsky déclare que, dans l'ensemble, ces textes correspondent à ce qui avait été négocié et sont pour lui acceptables. Il est vrai que pour un politicien qui veut faire carrière, le texte peut présenter des avantages. En prévoyant des élections locales le 9 novembre et en reconnaissant certaines compétences aux administrations locales, Plotnisky, et ceux qui soutiennent ce texte, peuvent voir leur carrière locale, intégrée, sans confrontation, à nouveau se développer. Bref, une vie beaucoup plus calme pour un "fonctionnaire élu", avec ses intrigues, ses traîtrises, ses mensonges. Bref, une vie politique normale.
Pour autant, du côté de Donetsk, la démarche est diamétralement opposée. Le vice Premier ministre, A. Purguine, de la République populaire de Donetsk, affirme que ce texte est intéressant et qu'ils vont obligatoirement l'examiné, mais comme un texte pris par un parlement étranger qui n'a pas de pouvoir sur leur territoire. Donc la loi ukrainienne reste ukrainienne et ne s'applique pas à Donetsk. Par ailleurs des voix montent pour affirmer que la position de Plotnitsky est un acte de capitulation inacceptable, ce qu'affirme Mozgovoy, un des chefs des combattants. Les gens ne se sont pas battus et ne sont pas morts pour cela. Et ne pas écouter la voix du peuple peut être très dangereux. Ces textes sont totalement décalés par rapport à la création d'une véritable armée unifiée pour Novorossia, qui vient de voir le jour. Ou bien, le "projet Novorossia" aurait été oublié, notamment par la Russie?
Autrement dit ...
Bref, ces textes constituent une bombe à retardement. Tout d'abord leur imprécision est proche du cynisme. Sur quels territoires concrètement ils vont s'appliquer? Dans une même "région", vous aurez donc des villages avec un statut spécial et le village voisin ne l'aura pas. Inutile de vous dire que d'un point de vue juridique c'est irréalisable. On ne peut pas non plus lancer des programmes de développement économiques, sociaux ou culturels efficaces sur des territoires parcellaires. Dans un village vous pourrez parler russe et dans l'autre non. Ce sera totalement anarchique. Cela signifie par ailleurs que la spécificité linguistique et culturelle de ces régions du Sud est niée, seuls les territoires tenus par les combattants pourront en profiter. Cela va totalement à l'encontre de ce pour quoi le mouvement a commencé: le droit d'appartenance à la communauté culturelle russe.
Par ailleurs, chacun fait semblant d'oublier que d'un côté, Kiev, on parle d'une autonomie dans un Etat unitaire, et d'un autre côté, Donetsk, on parle d'indépendance. Comment une discussion pourrait-elle concilier ces deux positions? Les discussions aussi ont leurs limites, certaines positions sont incompatibles. Et si aucun des deux clans ne cède, c'est la seule chose à laquelle une discussion pourrait conduire, la confrontation reprendra obligatoirement. Il faudra alors céder militairement.
Ensuite, le fait que ces textes ne soient que des mesures transitoires en attendant que Kiev ait repris le contrôle est évident et même ouvertement dit pour calmer le bon peuple. Cela rend très difficile l'acceptation par les combattants sans perdre la face. C'est toujours possible, mais il va être difficile de l'expliquer et de le justifier. Ils ne se sont pas battus pour cela, ils n'ont pas soufferts pour cela.
Ainsi, cette distance qui risque de se développer, en isolant les politiques du reste de la communauté locale, peut provoquer un soulèvement des combattants et de la population qui ne sera pas contrôlable. Et ce sera s'autant plus dangereux, que n'ayant plus rien à perdre et plus confiance en personne, aucunes réelles négociations ne sera alors plus possibles. Ce qui repousse d'autant l'espoir d'une sortie du conflit.
Mais pourquoi donc V. Poutine accepte t-il ce texte dans ce cas s'il ne satisfait finalement personne et s'il avantage finalement la partie ouest ukrainienne au détriment des avancées séparatistes ?
RépondreSupprimerEst-ce simplement un jeu de dupe pour calmer l'UE/USA et leurs sanctions ?
Difficile à comprendre le jeu complexe qui se trame...
Parce que, peut-être que le but de Poutine est de rendre irréconciliable l'Est et l'Ouest de l'Ukraine (processus déjà très engagé), il laissera en pature aux "occidentaux' l'Ukraine de l'Ouest, permettant aux allemands de transformer cette région en une pourvoyeuse d'esclaves, et affirmera la main de la Russie sur l'Est
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