L'engouement provoqué par la rencontre entre Macron et Poutine hier à Saint-Pétersbourg me laisse quelque peu perplexe. Certes, j'ai l'esprit mal tourné. Toutefois, à part des contrats signés, ce qui est déjà très bien, j'ai beaucoup de mal à voir en quoi ils sont à ce point d'accord sur tout, comme s'est évertué Macron à nous le faire entendre. Il semblerait plutôt qu'un fossé idéologique vertigineux se soit dessiné.
La force de Macron est de savoir jouer de l'image, du discours, de le doser afin de maîtriser la réaction. Nous l'avons vu lors de la campagne électorale. Ce qui est fabuleux est de voir à quel point cette méthode continue à fonctionner, même une fois dévoilée. Cette incapacité des gens à remettre les discours dans leur totalité, à les confronter aux faits, cette volonté d'être convaincu est son ressort. Hier il nous parlait des échanges entre Etats, comme s'il combattait la globalisation, comme un souverainiste. Avant-hier, il remerciait IBM pour ouvrir des écoles en France.
Laissons la forme de côté, regardons le fond. Des contrats ont été conclus et en période de sanctions c'est une très bonne chose. Les optimistes apprécieront qu'à aucun moment il n'ait été question d'ailleurs de revenir sur ces sanctions. Quoi que déclare Macron sur l'autonomie de la politique française, il n'assume aucun mandat politique "autonome" et cela s'est vu sur les dossiers sensibles.
En Iran, en jouant sur les mots, il propose finalement de ne pas modifier le texte adopté de l'accord sur le nucléaire, dont les Etats-Unis sortent, de le garder contre l'Iran et d'y ajouter encore des contraintes. Sans le modifier. Sans le compléter. Non, élargir le domaine. Formellement, les contraintes ne seront pas dans ce texte, mais dans un texte connexe. C'est de pure forme. La réponse de Poutine est très prudente, il a évité tout au long de la conférence de presse les affrontements directs. La Russie est contre la renégociation de l'accord, sa remise en cause. Formellement, Macron accepte de n'y pas toucher. Le reste dépendra des Iraniens. Ont-ils intérêts à accepter de rester dans un accord dont les Etats-Unis sont sortis et de prendre sur le dos encore d'autres obligations voulues par les Européens? A voir. Mais ici, l'Europe a besoin de la Russie, car sans elle, elle n'arrivera pas à faire avaler le poisson aux Iraniens. A la Russie de voir où est son intérêt.
En Syrie, on s'inquiète beaucoup de l'exportation du conflit entre l'Iran et Israël, mais pas un mot sur l'instrumentalisation des Kurdes pour tenter de démanteler le pays. Evidémment, on ne parle pas ouvertement de démettre Assad, mais en même temps on fait tout pour surreprésenter les Syriens vivant en Occident, qui sont déjà instrumentalisés dans les Conférences de Genève qui ne mènent à rien. Aucun accord ne peut réellement être trouvé ici.
Sur l'Ukraine, le parti pris de Macron est exclusivement pro-ukrainien, ce en quoi il suit parfaitement la ligne atlantiste. Pour le MH17, Macron affirme la légitimité de l'enquête faite sans la participation de la Russie avec l'Ukraine et les conclusions accusatrices pour la Russie qui en découlent. Quel accord?
Evidemment, la France ne s'occupe pas des affaires judiciaires dans les autres pays, mais les bobos français s'inquiètent de ce qu'un individu pris avec des explosifs, Sentsov, soit jugé pour terrorisme. Alors qu'importe l'indépendance de la justice, le président Macron, qui sait parfaitement ce qu'est l'indépendance de la justice grâce à laquelle il est est arrivé au pouvoir, demande à Poutine d'intervenir. En revanche, ni lui, ni les bobos français ne s'inquiètent de l'arrestation du journaliste ukrainien à Kiev de Ria Novosti Ukraine, lui arrêté en raison de ses publications pour trahison. Dans la même veine, il faut sauver Serebrennikov, qu'importe la lutte contre la corruption et le détournement d'argent public, c'est un "artiste" il est au-dessus des lois. De quel accord parle-t-on? Quelles avancées?
Il ne remet pas en cause les soi-disantes "manipulations" des élections américaines par la Russie, il ne remet pas en cause les "attaques chimiques" en Angleterre ou en Syrie, il ne remet rien en cause, il fait simplement comme si c'était un fait acquis et que, malgré tout, la France dans la grandeur d'âme légendaire renoue le contact avec cette Russie qui s'est égarée. La ligne occidentale est maintenue. légèrement condescendante, mais pas trop, car aujourd'hui l'Europe a besoin de la Russie pour défendre certains dossiers. Plus que la Russie n'a besoin de l'Europe, ou plutôt de l'UE qui bat de l'aile et est de plus en plus contestée de l'intérieur. Ce en quoi elle accuse la Russie. Macron a-t-il tenté de revenir sur la "menace russe"? Non. Aucune avancée.
Nous sommes toujours et encore dans l' "en même temps", qui permet l'illusion de l'objectivité, de l'indépendance. Concrètement, sur les grands dossiers conflictuels, Macron soutient la position atlantiste qui est la sienne, mais il tente cette fois-ci de la faire passer plus en douceur, en y mettant les formes. Par ce que ce clan qu'il représente a besoin de la Russie, surtout sur le dossier iranien, où ils vont perdre de l'argent. Pour le reste, rien n'a changé.
Que pouvait-on espérer de ce compradore parfait, de ce satrape de l'empire tiré d'un casting pour "Amour, gloire et beauté" ou"Dallas, ton univers impitoyable"?
RépondreSupprimerLa bataille en cours relève de la tectonique (lente) des plaques. Les enjeux sont ni plus ni moins qu'un reagencement de l'équilibre des forces devant déboucher sur un équivalent de Yalta. Le temps constitue une dimension prépondérante du conflit en cours. Et il joue en faveur du bloc russo-chinois. La pression est sur l'Occident, contrairement aux apparences. Et la dynamique est dans le camp adverse.
RépondreSupprimerTout ça pour dire qu'il ne peut pas y avoir de changement décisif rapide pour l'heure car le rapport des forces actuel ne permet pas encore l'apparition de nouveaux rapports.
Bon article
RépondreSupprimerDernière phrase du 1er paragraphe: un "fossé" idéologique et non "faussé".Merci
En ces temps, le mensonge s'érige en vérité et la Vérité est montrée comme le mensonge (flagrant mais aussi le propos de Francis Cousin); alors quand Macron parle de gens qui ne sont rien ...
RépondreSupprimer"La force de Macron est de savoir jouer de l'image, du discours, de le doser afin de maîtriser la réaction."Tout dit et bien dit. "Doser", en effet. D'où son goût de l'"en même temps", lui permettant ainsi de cultiver l’ambiguïté au service d'intentions, de projets parfaitement déterminés au nom de la "complexité", de la "disruption", d'une "dialectique" jupitérienne transcendant apparemment l'esprit de système. Si cette ficelle de com. ne fait pas illusion auprès de ses homologues qui ne s'en laissent pas conter et parfois s'en amusent (Trump),il en est de même, au bout de quelques mois de règne, auprès de Français de plus en plus nombreux qui se rendent compte combien ils se font berner systématiquement. Les faits ont la tête durs, in fine.
RépondreSupprimerJe trouve que la visite de Macron en Russie a provoqué nettement moins d'engouement en France que sa visite aux EU. Hier, les journalistes, sur BFM, étaient d'accord pour dire qu'il n'avait pas obtenu grand chose en Russie, rien du tout aux EU et que sur le plan politique internationale, après un an de présidence, ses résultats étaient quasiment nuls. Aujourd'hui, presque rien dans les médias concernant ce voyage.
RépondreSupprimerBelle analyse ! Si Macon était sincère avec la Russie (qui n'a jamais fait le moindre mal à la France) , il lèverait d'Autorité les dites "sanctions" injustes imposées par les USA ne les touchant pas , EUX ! En fait , il devrait assurer en tant que Président l'INDEPENDANCE d la FRANCE , comme De GAULLE l'avait VOULU ... Comme NE PLUS SOUTENIR CE REGIME NAZI de KIEV qui MASSACRE LES CIVILS du Donbass ... Là , il serait un VRAI PRESIDENT !
RépondreSupprimerAzul .Bonjour. Justement,je considère que c'est un moment historique qui s' offre à La Russie de faire comprendre aux Européens la nécessité de reconstruire ce Continent de Brest jusqu'à l' Oural , sur une confiance mutuelle réciproque et sceller cette alliance dans une sorte de Constitution basée sur quelques fondements essentiels tels que la libre circulation des personnes,définir une citoyenneté commune,collaboration dans les domaines sécuritaires et juridique , etc , etc
RépondreSupprimerÇa vous étonne ?
RépondreSupprimerVous avez oublié sa brève remarque sur "la coalition qui est en train de finir avec les restes des "égorgeurs non modérés". Le visage de Choïgou, habituellement impassible, est devenu à ce moment assez éloquent! Et la présence de ce nain maléfique qui le Drian, russophobe notoire et l'homme du Pentagon, en dit long elle, aussi.
RépondreSupprimerQue fait Poutine pendant ce temps? Visiblement rien. Il écoute poliment, n'en pense pas moins mais koaaaaaa d'autres
RépondreSupprimerMacron connaît sa leçon sur le bout des doigts. Entièrement d'accord avec votre article sur ce point.
RépondreSupprimerMais pour avoir regardé durant plus d'une heure la retransmission de cette rencontre et les questions réponses, je crois que le courant est passé entre les deux chefs d'Etat.
Voilà qui permet bien des espoirs.
Madame Macron a certainement elle aussi été passionnée par l'accueil qu'elle a reçu et par les visites enchanteresses des hauts lieux de Saint Pétersbourg.
Visites, qu'elle a certainement faites pendant que son mari assistait aux longues réunions du forum économique.
Il me semble aussi que le chef d'Etat français se voit volontiers en initiateur d'une nouvelle Union Européenne ???
Mais bon, soyons réalistes, l'Oncle Sam ne va pas laisser facilement ses vassaux s'émanciper.
Eh bien voila une analyse aux petits oignons particulièrement réaliste et bien vue, avec ce rien de saignant qui vous dézingue son homme. Et rien concernant les principaux sujets de discordes ne semble avoir été oublié.
RépondreSupprimerMacron a été poliment écouté et scruté.
Le représentant d'un État "souverain" a t-il rappelé, enfin probablement le croit-il, pouvait-il faire autrement que d'aller dans le sens de la bien-pensance européiste, elle même inféodée à l'atlantisme américain ?
Non, bien sûr, et d'ailleurs, il est parfaitement en accord avec celle-ci.
Il eut fallu pour cela faire preuve de hardiesse et courage, pour proposer des solutions qui forcément ne seraient pas dans la ligne dressée par ses commanditaires. Nous avons donc eu droit au mots d'un vice-consul sur fond de faux consensus, si l'on en juge les moues poliment retenues tant sur le visage de V. Poutine, qu'accessoirement, ici où là, dans l'auditoire.
L'expression des visages est toujours intéressante à observer.
Bref une visite qui n'apporte pas d'ouvertures, mais qui aura certainement permis à la Russie de confirmer que l'interlocuteur ne peut être qu'accessoire.