Exclusion du G8, sanctions, isolement de la Russie par l’Occident, relance
de l’OTAN en Europe,… le tout sur fond de crise en Ukraine et son corollaire,
« le pivot russe » vers la Chine concrétisé par l’accord gazier signé
à Shanghai en mai dernier.
Dans le Monde Diplomatique (abonnés) du mois de mai, un long article (1) de
Jean Radvanyi dresse le cadre global du conflit actuel : la pression
atlantiste contre la Russie pour qu’elle ne déborde pas de ses frontières :
« En proposant en 2008 à l’Ukraine et à la Géorgie d’entrer dans
l’OTAN, ou en négociant avec Kiev, fin 2013, un accord d’association avec
l’Union européenne, les dirigeants américains ou européens contribuaient au
refoulement des intérêts de la Russie sur ses propres frontières, et ils en
étaient parfaitement conscients. Une partie des dirigeants américains rejoints
par ceux d’Etats européens comme la Pologne ou la Suède, n’ont jamais abandonné
la stratégie énoncée en son temps par Zbigniew Brzezinski ».
Qu’en penser ? La bonne vieille doctrine de l’Américain Zbigniew
Brzezinski serait-elle toujours à l’œuvre au sein des élites américaines ?
En 1991, la Russie renonçait à son modèle communiste et se ralliait au
modèle américain.
A priori, les Etats-Unis n’avaient plus à considérer la Russie comme une
ennemie et l’OTAN, alliance défensive contre l’URSS, n’avait plus de raison
d’être.
Pourtant, « l’euphorie » engendrée par la « Fin de l’histoire »
fut de toute évidence de courte
durée !
Dès 1996, l’OTAN intervenait en Bosnie en faveur des Bosno-Croates et des
Bosno-Musulmans, contre les Bosno-Serbes, soutenus par la Serbie, alliée
traditionnelle de Moscou.
A l’époque, Russie n’a même pas été consultée, l’état de son armée la
faisant passer comme quantité négligeable.
Ensuite, en 1999, l’OTAN bombardait Belgrade sans le moindre mandat de
l’ONU.
L’élargissement de l’OTAN aux pays de l’ex-Europe de l’Est et de l’ex-URSS
était décidé !
L’affrontement entre Washington et Moscou, que l’on nous présentait comme
une lutte entre le capitalisme et le communisme, n’avait donc pas cessé. Le
conflit subsistait alors que son objet avait disparu … ?
So what ? Comment expliquer
cette anomalie ?
Dans un ouvrage publié en 1997, Le Grand échiquier (2), le politicien
américain d’origine polonaise, Zbigniew Brezinski élabore une véritable
doctrine dont le fondement est que l’Eurasie est au centre du monde, et donc
que « quiconque la contrôle,
contrôle la planète ».
L’autre point clef est que l’Eurasie est le seul continent sur lequel
« un rival potentiel des Etats-Unis peut apparaître ».
L’ouvrage passe alors au crible les pays potentiellement concurrents :
- Le
Royaume-Uni, l’Allemagne et la France y sont décrits comme étant à peu près sous contrôle, « leurs
ambitions appartenant au passé » (sic !), tant qu’ils restent intégrés dans le
« système euro-atlantique » (UE et OTAN), ils ne représentent guère de danger.
- Le Japon
et l’Inde sont jugés trop périphériques.
- Reste la
Chine, auquel il ne consacre que quelques pages, ce qui prête à sourire puisqu’elle apparaît maintenant comme la
rivale la plus probable.
- Et
enfin, la Russie sur laquelle il focalise toute son attention.
Elle est spatialement en situation de former un Empire, il faut donc
trouver tous les moyens pour l’en empêcher :
- Il faut faire entrer dans le « système euro-atlantique » tous les pays de l’ex-URSS, à savoir les Pays Baltes, l’Ukraine et les pays du Caucase. La solidité du « système euro-atlantique » reposant sur le lien structurel qui doit exister entre ses deux piliers, l’UE et l’OTAN : tout élargissement de l’un doit suivre ou précéder celui de l’autre. C’est d’ailleurs bien ce qui a été fait en 2004, en 2007 (Roumanie, Bulgarie), en 2013 (Croatie). En regardant la carte de l’UE de la revue géopolitique de Pierre Verluise (3), on peut comprendre que lorsqu’on se sent visé en Russie par une politique d’encerclement, il ne s’agit pas seulement de paranoïa.
-
Parallèlement,
les Etats-Unis doivent « garantir et renforcer le pluralisme
géopolitique dans l’espace post-soviétique » c'est-à-dire
contrecarrer tout retour d’influence de Moscou dans les pays indépendants
appartenant à cet espace et ce quel qu’en soit le prix, quitte à avoir de moins bons
rapports avec la Russie. Les révolutions de couleur sont passées par
là !
-
La clef
de voute de cette politique est d’empêcher à tout prix le rapprochement
entre l’Ukraine et la Russie car parmi tous les Etats issus de l’URSS,
seule l’Ukraine dispose d’un poids économique et démographique suffisant
pour augmenter significativement la puissance de la seule Russie.
- Enfin
une petite touche sur l’UE : Brzezinski écrit sans détour que son
élargissement à toute l’Europe et à la Turquie sert les intérêts à long
terme de Washington, le très grand nombre de membres étant pour les Etats-Unis
la garantie que jamais l’UE ne pourra devenir une entité politique et donc
une autre rivale potentielle en Eurasie !
Pendant la guerre froide, Washington ne combattait pas Moscou seulement
parce qu’elle était le centre du communisme mondial. Celui-ci disparu,
Washington se doit de continuer à combattre Moscou ; qu’elle se soit
convertie ou pas au capitalisme et à la démocratie n’y change rien.
La doctrine Brzezinski n’a jamais été officiellement déclarée politique
d’Etat par Washington, mais il suffit d’en énoncer les grandes lignes, comme
nous venons de le faire, pour s’en persuader. L’Ukraine est en effet le pivot
de cette doctrine. La couper de Moscou est l’assurance que la Russie ne puisse jamais
reconstituer une puissance.
C’est également ce que dit en substance, l’article (3) tout récent de
Charlotte Bezamat et Pierre Verluise du
7 juin : « Il s’agit de gagner
l’après- guerre froide, et de sortir les anciens Etats communistes de la zone
d’influence russe » et d’en conclure que quelque soit le régime ou la
personnalité du Président russe en place à Moscou, présent et avenir, la Russie
sera considérée comme une ennemie, au mieux une concurrente, par Washington.
Articles et livre cités :
(2) Brzezinski Zbigniew, Le Grand Echiquier, Paris, Hachette, 1997, 273 p.
Sur le même sujet : http://geopolitique-cecri.org/2014/04/10/commentary-paper-n12-le-projet-poutine/
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