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lundi 30 juin 2014

Ukraine: mort du 6e journaliste en 2014 et avenir de la liberté d'expression en Europe

Anatoly Klian
Cette nuit, le caméraman de Pervyi Kanal, Anatoly Klian est mort des suites de blessures par balles, dans le ventre, reçues des mains des militaires ukrainiens. Il a commis le crime de filmer à proximité d'une base militaire ukrainienne, à 15 km de Donetsk. Toutefois, A. Klian n'est pas le seul à avoir payé de sa vie la couverture médiatique des évènements en Ukraine. On compte déjà 6 morts, et la liste des journalistes arrêtés, violentés, voire torturés, augmente régulièrement.


Selon l'UNESCO, " La sécurité des journalistes est essentielle à la défense du droit de tous les citoyens à des informations fiables et du droit des journalistes à les livrer sans crainte pour leur sécurité. Les Etats et la société doivent créer et entretenir les conditions nécessaires pour que ces droits fondamentaux soient exercés par tous. C’est pourquoi, la faculté pour les journalistes d’effectuer leurs enquêtes et reportages sans peur des représailles doit être garantie par les responsables publics et privés. Cependant, lorsque les crimes contre des journalistes restent impunis, on peur douter de l’engagement des Etats à défendre les libertés fondamentales et à imposer la primauté du droit. Par conséquent, les Etats membres doivent adopter une position ferme pour empêcher les assassinats de journalistes et assurer que les auteurs des crimes et des actions de violence contre les professionnels de médias et les personnels associés soient comme il convient poursuivis en justice. "
Pourtant, les journalistes meurent en toute impunité en Ukraine, ils sont arrêtés par la Garde Nationale et remis au SBU (KGB ukrainien), où ils sont interrogés et violentés en toute impunité. Parce que le Département d'Etat n'a pas de données certaines sur la question, alors que l'ONU, l'OSCE, les organismes de défense des journalistes s'indignent et s'inquiètent. Parce que, du coup, mis à part le Président Poroshenko qui appelle le Président Poutine pour lui présenter ses condoléances, les sites officiels ukrainiens et la télévision affirment que ces journalistes sont responsables de leur propre mort: certains n'avaient pas d'accréditation (qui n'est pas nécessaire depuis la modification de la loi sur l'information entrée en vigueur le 9 mai 2011), qu'ils ne portaient pas de signes distinctifs indiquant qu'ils étaient journalistes (les signes TV ne doivent pas être compréhensibles par les militaires ukrainiens) et ils accompagnaient les "terroristes" (en filmant les combats, ils n'étaient pas restés à l'hotel à Kiev). Donc, s'ils n'avaient pas fait leur travail, tout se serait bien passé et tout le monde s'en porterait mieux.

C'est quand même en substance ce qu'a affirmé B. Nemtsov, libéral opposant dont le poids politique en Russie est insignifiant, mais qui bénéficie d'une couverture médiatique, notamment à l'étranger, qui n'est pas proportionnelle. Or, après la mort de deux journalistes russes, il intervient dans l'émission ukrainienne Shuster Live pour dénoncer le rôle de lobotomisation que les journalistes russes remplissent et donc leur responsabilité, en tant qu'instrument de la politique poutinienne d'agression.
Si l'on fait le compte, 6 journalistes sont morts. Le photographe italien Andrea Roccelli et son assistant Andrey Mironov, le journaliste ukrainien Vyacheslav Veremiy, le journaliste russe Igor Korneliuk et son ingénieur du son Anton Volochine et aujourd'hui le caméraman Anatoly Klian.
Mais l'on ne compte plus les arrestations plus ou moins légales, sans décision de justice et sans droit à l'avocat, qui ressemblent soit à de l'intimidation soit à des enlèvements, avec ou sans demande de rançon déguisée selon le cas.

Par exemple, le 14 juin, deux journalistes de la chaîne Zvezda, E. Davydov et N. Konachenkov, sont arrêtés, remis au SBU puis relâchés. Une demande de 200 000 dollars avait été formulée pour leur libération. Avant eux, le 7 juin, ce fut également le cas de deux journalistes de la même chaîne, Andrey Suchenkov et Anton Malychev, qui furent arrêtés et violentés.

Encore plus tôt, le 18 mai, ce sont deux journalistes de Life News, Oleg Sidiakine et Marat Saïtchenko, qui sont arrêtés et tenus au secret pendant plusieurs jours, pour finalement être libérés avec des traces visibles de violence.

En mars, pour donner un dernier exemple, c'est le journaliste de Argumenty i Fakty, Vladimir Kojemiakine qui est arrêté et condamné par une décision de justice du 14 mars, pour avoir illégalement franchi la frontière. L'intervention du Ministère des affaires étrangères russes permettra sa libération.

L'on voit donc une évolution, particulièrement inquiétante. Tout d'abord, les journalistes étaient refusés à la frontière ukrainienne. Quand ils passaient, ils pouvaient ensuite être arrêtés pour avoir illégalement franchi la frontière. Un semblant de légalisme avait encore cours. Ensuite, avec le renforcement du combat dans l'Est et l'opération "anti-terroristes", les journalistes furent assimilés aux terroristes ou à des espions et donc purent être enlevés pour être durement interrogés. Maintenant, ils sont simplement tués. Ils se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment. Ils montrent ce qu'il faut taire.

Et le massage se renforce. Finalement Nemtsov a raison lorsqu'il parle de terreur de l'information. Le jeune de 16 ans, Streamer Vlad,  qui, sa caméra à la main, filme se qui se passe dans sa ville de Mariupole pour la chaîne internet indépendante Anna News a fini par trop déranger. Il fut arrêté, ou enlevé au choix, et pris en main par les musclés du SBU. Devant caméra, ils lui font répéter que, en face, ce sont des terroristes, que Lugansk et Donetsk c'est l'Ukraine. Le temps de sa détention, il est violenté, souvent interrogé avec un couteau sur la gorge. Le gamin est effrayé. La démonstration de force est pitoyable, semble assez désespérée. Auraient-ils trouvé un adversaire de leur poids? Mais pour autant, l'on attend toujours les condamnations venant de l'Occident démocratique.

Même si vous ne maîtrisez pas le russe, en guise de conclusion, je vous laisse regarder cette vidéo, dans laquelle un homme masqué des services ukrainiens menace du même sort toute personne qui remet en cause la légitimité du pouvoir de Kiev. Et ce, en tenant ce jeune homme de 16 ans par les cheveux. Un enfant idéaliste qui voulait montrer au monde entier ce qui se passe dans sa ville. Simplement. Rien de plus. Idéaliste comme on peut l'être à 16 ans. Est-ce cela l'avenir de la liberté d'expression en Europe?


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