Le jour de l'ouverture du Championnat du Monde de foot, le Gouvernement annonce les deux réformes particulièrement controversées, qui étaient pourtant niées aussi haut que fort avant les élections présidentielles : la hausse des impôts et le relèvement de l'âge de la retraite. Peut-être réellement faut-il réformer ces secteurs, mais la manière dont les choses sont faites laisse plus qu'à désirer. Se "cacher" derrière un évènement sportif mondial pour éviter la montée des contestations populaires et taire l'origine non-nationale de la réforme (OCDE et non Gouvernement) obligent à quelques réflexions.
Le projet gouvernemental de réforme des retraites
Hier, le Gouvernement russe a annoncé les deux réformes tant attendues, souvent annoncées, démenties, finalement reconnues mais non dévoilées et non discutées sur la place publique. En matière fiscale, principalement, la TVA passe de 18% à 20% en 2019 (sans toucher les produits alimentaires, les produits pour enfants et les produits médicaux), le Gouvernement a voulu éviter une augmentation trop visible des impôts.
La réforme des retraites est plus radicale et c'est justement le scénario le plus violent, celui proposé par le ministère des Finances, qui a été retenu. L'âge de départ à la retraite avait été fixé à l'époque Soviétique, en 1932, à 55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes. Désormais, progressivement en fonction de l'année de naissance, les hommes partiront à la retraite à 65 ans d'ici 2028 et les femmes à 63 ans d'ici 2034. Pour ceux qui n'ont pas suffisamment cotisé pour avoir une retraite pleine et entière, l'âge de la retraite sociale passe de 60 à 68 ans pour les femmes et de 60 à 70 ans pour les hommes.
La possibilité de retraite anticipée sera repoussée de 8 ans pour les enseignants, médecins et professions artistiques. Pour les personnes vivant dans l'Extrême-Orient, l'âge de la retraite va passer à 60 ans pour les hommes et 58 ans pour les femmes. En ce qui concerne les professions difficiles, la réforme ne sera pas appliquée.
En contrepartie, une augmentation du montant des retraites est annoncé ... de 1 000 roubles ... par an, soit au cours actuel du rouble, il s'agit environ 14 euros. Par an. (sic)
Réduction des dépenses publiques, conception sociale néolibérale et excuse de l'oukase de Mai
Le critère de l'augmentation de l'espérance de vie est souvent avancé pour justifier cette réforme. Et cela va finalement permettre de faire des économies à l'Etat, vue l'espérance de vie moyenne en Russie: 66,5 ans chez les hommes et 70 ans chez les femmes. L'Etat n'aura plus que 5 ans en moyenne de retraite à payer. Et pour les personnes qui ont droit à une retraite sociale, il pourra même ne rien payer, puisque l'espérance de vie moyenne n'atteint pas les minima fixés, les gens travailleront jusqu'à leur mort. Ce qui permet de faire encore plus d'économie.
C'est toute la conception de l'homme dans la société qui est transformée. Le rêve néolibéral implanté, celui par exemple de Jacques Attali qui déclare rêver d'une société sans retraite. "Etre son propre patron et maîtriser son temps de travail est le rêve": vue la couverture sociale et le nombre d'heures de travail des artisans ou des auto-entrepreneurs, il semble qu'Attali ait une vision particulièrement déformée de ce qu'il appelle "une lutte pour la libération du temps". Ce ne sont pas eux qui occupent les cours de golf.
Sachant qu'une grande partie de toute population a un travail alimentaire, qu'une minorité de personnes peuvent réellement s'épanouir au travail, augmenter le temps de travail, c'est augmenter la contrainte, c'est asservir l'individu à la production et au capital. L'importance, en Russie par rapport à la moyenne des pays développés de l'OCDE, de personnes qui travaillent à la retraite vient rarement d'une volonté personnelle, mais découle surtout de leur faible montant. Ci-dessous, en bleu les hommes travaillants, en rouge les femmes, à la verticale le pourcentage, à l'horizontale leur âge:
En regardant les chiffres, la réforme veut donc les faire travailler quasiment jusqu'au bout de leur capacité. La logique de la rentabilisation "du capital humain" est très perceptible, celle des considérations humaines en revanche est plutôt absente.
C'est en quelque sorte l'annonce de la fin de l'Etat social, qui est depuis de longues années combattu en Europe occidentale. La fin d'un modèle. Alors qu'il n'y a pas encore si longtemps l'on vantait le départ anticipé à la retraite, comme un moyen de relancer l'économie en permettant l'emploi, de motiver les gens à travailler plus pour en profiter ensuite, une vie après le travail. Les temps changent, les dogmes aussi. La multiplication des travailleurs pauvres permet la multiplication des retraités pauvres. Le rôle de l'individu dans la société doit être revu.
Mais comme ces arguments ne peuvent être publiquement annoncés, l'excuse avancée est celle de l'oukase de Mai (voir notre texte ici sur cet oukase), qu'il faut bien, certes, financer. Mais cela ne revient-il pas à en annuler les effets bénéfiques? Cela ne va-t-il pas finalement contre l'esprit du texte, qui implique un réinvestissement de l'Etat dans le social? Alors que cette réforme de la retraite implique un retrait massif de l'Etat.
C'est certainement la raison pour laquelle elle est bénie par les milieux néolibéraux russes, comme Gref, Koudrine, etc. Symboliquement, elle est également saluée par la presse économique, car elle porte en elle tout le potentiel d'une rupture idéologique importante, qui permettra d'aller beaucoup plus loin ensuite, les résistances ayant été vaincues.
Le Gouvernement implante les exigences antiétatiques de l'OCDE
Lorsque l'on voit l'origine réelle de cette réforme, l'on comprend qu'elle ne puisse en aucun cas prendre en compte la dimension sociale nationale. Alors que le Gouvernement russe annonce cette réforme comme le fruit d'une longue réflexion qui aurait commencé en 2011, mais qui, pour différentes raisons, n'a jamais pu aboutir à une réforme, il omet de souligner qu'il est loin d'en avoir la paternité, qu'il ne fait que s'inscrire dans le mécanisme global porté assez efficacement par l'OCDE. Il faut rappeler qu'après l'adoption de son nouveau rapport en 2017 sur la réforme du départ à la retraite, l'OCDE a commencé une campagne de consultation avec les pays membres, dont la Russie ne fait même pas partie (et dont la candidature a été suspendue après le rattachement de la Crimée). Et, O miracle, l'on retrouve les mêmes arguments que ceux avancés par le Gouvernement russe, les grands esprits se rencontrent certainement (dans les workshops):
L'argumentation est simple: ça coûte trop cher à l'Etat, il faut baisser les coûts. Pour baisser les coûts, il faut baisser le nombre de retraités. Puisque "l'euthanasie des vieux", qui ne sont plus productifs, ne peut pas être honnêtement (encore) officialisée, qu'ils restent productifs - tant qu'ils vivent.
De toute manière, s'ils perdent leur emploi, après 50 ans (45 ans en Russie) il est quasiment impossible d'en trouver un nouveau, ils coûteraient trop cher à employer et sont remplacés par des "nouveaux" à salaire revu à la baisse, ils finiront rapidement par perdre leurs droits de chômage (qui, en Russie, sont quasiment inexistants) s'ils ne veulent pas brader leur "force de travail", c'est entièrement bénéfique - dans la logique de l'OCDE.
Si l'on compte en plus l'arrivage massif de main d'oeuvre étrangère qui se vend pour rien, le business transnational a tout intérêt à faire durer le plaisir. Et si cette main d'oeuvre est en plus illégale, c'est le jack pot pour tout le monde: le business n'a pas de charges à payer et l'Etat n'a aucune retraite à financer. L'on se rapproche ainsi du rêve d'une société globalisée, avec une déstructuration de la société et sa transformation en répartition assez primaire avec disparition des classes moyennes (qui politiquement en correspondent plus aux nouveaux besoins), sans Etat pour gêner l'atomisation sociale avec son "intérêt national", ses politiques sociales, dont il se sera déchargé en même temps que de sa souveraineté.
Ce qui est plus surprenant, c'est de retrouver cette logique en Russie, qui prétend encore se battre pour sa souveraineté. Arrivera-t-elle à "nationaliser" cette réforme, à la rendre compatible à l'intérêt national? Le président de la Douma, Volodine, a déjà annoncé qu'elle ne sera pas examinée en urgence, qu'elle sera discutée avec les experts. Espérons que les représentants du peuple pourront adapter ce texte assez radical à l'intérêt général.
Pourtant, le Gouvernement semble avoir déjà réussi sur le plan de la rupture idéologique: puisque ce sont les modalités de la réforme du recul de l'âge de la retraite qui seront discutées, non pas son existence ou sa nécessité. Ce débat-là a été évincé de l'espace public.
C'est très inquiétant, et laisse à penser que la Russie est quand même, Poutine ou pas, sous contrôle, pourquoi donc alors elle et son président dérangent-ils tellement la caste supranationale?
RépondreSupprimerParce qu'ils veulent tout,
Supprimerpas la moitié ou les trois quart,
tout.
comme en 1991-1999 lorsque tout était vendu a 1% de la valeur.
Si jamais vous avez un doute, faites preuve d'un peu de patience...
"Les temps changent, les dogmes aussi. La multiplication des travailleurs pauvres permet la multiplication des retraités pauvres. Le rôle de l'individu dans la société doit être revu."
RépondreSupprimerCette évolution catastrophique en termes de déshumanisation est la résultante du rapport de forces extrêmement favorable a la classe dirigeante capitaliste neoliberale. Warren Buffet l'a asséné sans détour en reconnaissant l'existence d'une lutte des classes que sa classe est en train de gagner.
Tout ce qui avait été conquis socialement permettant d'humaniser la société a coup de conquêtes sociales le fut grâce à l'existence de forces marxisantes organisées. Rien ne sera reconquis sans que la classe des dépossédés ne s'unisse de nouveau pour mener cette lutte de reconquête. On constate le chemin à parcourir et l'ampleur de la tâche. Tandis que les foules sont soumises aux séductions de la société du spectacle et de l'infotainment.
C'est apparemment violent en effet mais l'augmentation est étalée sur 16 ans et on peut espérer raisonnablement que l'espérance de vie continuera à augmenter sur le rythme actuel très soutenu et que la durée de retraite ne sera pas aussi drastiquement réduite que décrit
RépondreSupprimerQue fait dont le Président Poutine? Pourquoi ces réformes qui vont à l'encontre de son Peuple qui l'a triomphalement élu et garder des ministres dont on connaît les orientations oligarchiques et mondialistes ? L'équipe de football russe a triomphalement marqué par 5-0 contre l'Arabie Wahabite exportatrice de désordres. Remplaçons les ministres des finances et de l'économie par des sportifs russes qui paient de leur personne et sont eux de vrais patriotes. Hourra !
RépondreSupprimerEn fin de compte mon deuxième commentaire sur le dernier article trouve toute sa pertinence ici. Mais je pense qu'il fait le pont. :)
RépondreSupprimerSalutations supra-ointines donc !
Ce Mondial risque fort de créer un appel d'air des rapaces néo-libéraux qui ne lâchent aucun morceau. Ce Mondial est celui des jeux du pouvoir. Nous savons qui sont les ennemis du peuple russe, et les nôtres Mais nous ne sommes pas dupes. Vivement que le peuple trouve une bonne raison de s'en détourner. Vive la Russie libre et souveraine.
RépondreSupprimerSalutations sincères
(reprise partielle d'un commentaire sur l'article précédent)