La gestion étonnamment concentrationnaire de la crise politico-sanitaire du coronavirus dans la plupart des pays, à l'exception toujours notable de la Suède (qui manifestement bénéficie d'une neutralité covidée, à l'instar de la Suisse pensant la guerre) et la Biélorussie, puisque les populations de pays entiers sont assignées à domicile, n'est évidemment pas sans incidence sociale. Afin d'illustrer notre texte d'hier, dans lequel des statistiques présentaient une certaine résistance de la population russe face à la propagande mortifère diffusée sur le mode "fin de l'humanité", entrons plus en avant dans le sujet, qu'il s'agisse des inquiétudes réelles financières de la population, de l'apparition d'une criminalité liée au confinement et de mouvements de résistance individuelle.
Si le coronavirus ne prend pas les dimensions d'angoisse vitale que la propagande ininterrompue est censée engendrer, c'est parce que la majorité de la population a d'autres inquiétudes, bien ancrées dans le monde réel, très terre-à-terre et pour le coup réellement vitales. L'expérience de chute de systèmes étatique et financier est encore bien vivante dans les mémoires des Russes, à la différence des Français, qui n'ont pas vécu de leur vivant ces tragédies qui chamboulent toute une vie. Quand le pays dans lequel tu es né disparaît, que l'argent de toute une vie d'économie ne vaut plus rien, que les salaires que l'on te verse ne te permettent que de prendre le bus pour aller le chercher. C'est le fantôme de l'année 1991 qui revient hanter les esprits. Les gens ont surtout peur de perdre leurs économies (24%), peur d'une guerre mondiale (40%) - ce qui illustre bien ce sentiment d'insécurité internationale, peur de l'excès de pouvoir des gouvernants (31%) - il est vrai que les dernières décisions soulèvent beaucoup de questions juridiques, et peur de se retrouver en dessous du seuil de pauvreté (28%).
Rappelons que 63,6% des Russes n'ont pas d'économies, ce qui en effet évite d'avoir peur de les perdre, mais plus sérieusement montre qu'ils n'ont aucune marge de recul en cas de crise. La majorité de ceux qui en ont estimé que, en cas de perte de leurs revenus mensuels, ces économies leur permettraient de vivre au maximum une demi-année. 60% des personnes interrogées n'a pas suffisamment de revenus pour tenir jusqu'à la fin du mois, et cette somme est significative pour 34,6% d'entre eux. Cette catégorie concerne surtout les + de 40 ans. Seulement 33,3% des personnes interrogées déclarent avoir des revenus suffisants pour tenir jusqu'au mois suivant.
Avec la mise en suspend de l'économie russe, la situation devient encore plus tendue. Car l'état d'urgence n'ayant pas été déclaré, la prise en charge des salaires pendant ces "vacances forcées" est à la charge pleine et entière des employeurs, qui, certes, reçoivent certaines aides dans certaines conditions. Or, 27% des employeurs ont l'intention de baisser les salaires, 37% veulent réduire le personnel, sachant qu'une entreprise sur cinq a déjà réduit son personnel et 23% des entreprises ont déjà baissé le salaire. En effet, assez bizarrement, le pouvoir a interdit l'activité de la plupart des entreprises russes, mais sans en assumer la responsabilité financière. L'intérêt présenté par l'obligation de prise en charge par le budget des conséquences financières des décisions dans le cadre des régimes exceptionnels est d'obliger le pouvoir à en peser réellement l'intérêt. La légèreté des reconductions "à la louche" est alors plus difficile.
Cette crise sociale, provoquée de manière artificielle, entraîne l'apparition d'une criminalité spécifique, liée au confinement, à la peur du manque. Sans pour autant parler d'une généralisation d'un comportement asocial, ce qui est faux, certaines poussées de violence obligent à réfléchir sur le rapport entre le danger réel présenté par ce virus et le danger socio-économique des décisions adoptées pour le combattre. Par exemple, à Kazan (rappelons que la ville est fermée) la police a noté une augmentation des vols et des braquages de magasins de produits alimentaires. Dans de nombreuses villes de Russie, notamment Saint-Pétersbourg, Perm, Toliatti, la police a noté des attaques de livreurs, auxquels on a volé la nourriture qu'ils s'apprêtaient à livrer. La réaction à cette criminalité exceptionnelle par les pouvoirs locaux relève de l'absurde : limitation de la vente d'alcool dans les régions de Yakoutie, de Mari-El, de Bachkirie ou de Khakassie. Comme si les gens, qui sont menés à ces extrêmes, ne se comportent ainsi pas par panique ou désespoir, mais simplement parce qu'ils ont bu ... C'est effectivement une position plus confortable pour les pouvoirs locaux, qui évite de remettre en cause les décisions prises, même si elle est difficilement tenable à long terme.
Au milieu de cet étrange tableau, quelques voix s'élèvent, pour crier l'absurdité de la situation et le ras-le-bol, qui commence à se propager. Un exemple. Un restaurateur de Saint-Pétersbourg a écrit sur sa page Facebook le 10 avril, que si le pouvoir ne déclare pas l'état d'urgence, alors il va ouvrir son restaurant le 15 avril. Il n'en peut plus, ni les propriétaires du lieu (qu'il loue), ni les banques ne font particulièrement d'efforts. En ce qui concerne la banque, elle a décalé une mensualité, mais calcule les intérêts. Le secteur de la restauration est en train d'être assassiné, alors que d'autres branches d'activité rouvrent leurs portes dans la ville.
Et ce fut un succès - qui l'a dépassé. Il a reçu immédiatement 177 réservations pour le 15 avril, ce qui dépasse de très loin les capacités de son établissement. Et 200 000 roubles lui ont été versés pour qu'il puisse payer l'amende pour violation de la quarantaine (il va les retourner aux donateurs). Finalement, il a cédé et a annulé son ouverture. Mais le réveil immédiat de la population a manifestement fait peur, car il a eu droit, selon l'Ombudsman de la Police, sans avoir ouvert son établissement, à une perquisition à l'occasion de laquelle la porte a été défoncée.
Combien de temps va durer cette étrange tragi-comédie et surtout comment la Russie va pouvoir en sortir et à quel prix? Ce sont les questions les plus inquiétantes. Car il s'agit d'un pays qui se revendique souverain, le coût sera beaucoup plus élevé que pour les pays européens. A moins que le pouvoir fédéral ne se ressaisisse rapidement.
Très bon billet comme d'habitude. Vous etes manifestement la seule sur les blog a présenter toutes les potentialités de cette crise fabriquée et dévastatrice. Le cout pour la Russie risque effectivement d'être plus important, mais ce n'est pas certain. En effet, la Russie n'est pas endettée. Elle est adossée a des matières premières, dont la demande peut certes baisser fortement, mais pas totalement disparaitre. Elle a eut le temps de plus d'accumuler beaucoup d'or, et de se débarrasser de la dette américaine, et ne sera que peu affectée par un défaut de celle ci. L'Europe au contraire, n'a plus rien a vendre, sa dette est colossale, et l'on a bien compris que le tourisme, sa dernière industrie, est condamné a disparaitre. Aussi, on peut être un peu optimiste pour la Rusie, meme si on se demande pourquoi elle calque sa stratégie sur les autres pays.
RépondreSupprimerJ ai quelques explications, meme si elles me semblent peu satisfaisantes.
- en arretant son activité, elle contribue a plomber davantage les sociétés européennes et américaines qui sont sur son territoire, et a ralentir le transfert de devises.
- elle va certes detruire une partie de son tissus économique, et c'est le but, mais cela lui permettra de garder un gap suffisant entre sa consommation intérieure de pétrole et ses exportations, qui seront en forte baisse, Sa consommation doit donc forcement baisser, afin de garder un objectif d'équilibre budgétaire.
- Ce faisant, elle risque moins de révolution colorée, puisque d'autres pays européens sont a la meme enseigne, avec le meme totalitarisme. On mourra peut être de faim a Moscou, mais a Paris, ça ne sera pas mieux.
Voila pour aujourd'hui, merci encore de vos contributions!
Macron and Co nous vantent le mirage, pardon, le modèle allemand. Pourtant, force est de constater qu'il ne suit pas du tout l'Allemagne dans sa façon de lutter contre le Covid19. Cette fois ci, il aurait pu s'en inspirer...
RépondreSupprimerIl serait intéressant de connaître les arrières-prnsées derrière cette mollesse d'un Etat qui a toutes possibilitéz pour intervenir
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