Ce curieux programme d'expropriation et de relogement de près d'un million de Moscovites, lancé sous le slogan de l'amélioration de l'habitat, prévoyant une violation de la propriété privée sur le fondement d'un intérêt public discutable et discuté, arrive sans grande surprise devant la CEDH. A l'époque, nous avions déjà soupçonné la technologie politique derrière cette erreur stratégique (voir notre texte ici), il semblerait que cela se confirme. La CEDH a un boulevard ouvert devant elle pour attaquer la Russie, dont la défense va être délicate.
En 2017, le maire de Moscou Sobianine lance un grand programme d'expropriation et de relogement de quartiers entiers de Moscou. Au départ (voir notre texte ici), il est prévu de démolir environ 7 900 immeubles sur 20 ans, ce qui concerne au bas mot un million et demi de personnes. Le programme a été juridiquement très mal ficelé, avec arrogance et mépris pour la propriété privée d'individus ne méritant manifestement pas l'intérêt que leur porte la Mairie de Moscou. Sous la pression d'une poussée de mécontentement populaire et l'action des députés, le texte a dû être retravaillé, il fut amélioré, une compensation a été finalement prévue, un recours en justice sur certains éléments, le relogement dans le même arrondissement, mais le droit de propriété est devenu "collectif", puisqu'une décision prise aux deux tiers des habitants est suffisante pour liquider un bâtiment. Les critères de classement initial sont flous, mais quelle importance, le dénigrement envers ce "bas peuple" n'est même pas caché, par un Maire qui déclare, pour justifier cette grande braderie, outre le fait qu'ils doivent dire merci sans discuter, que "les gens ne doivent pas être otages de la culture". Alors pourquoi s'arrêter aux Khrouchtchevka ? Mais le législateur a calmé ce Maire qui estime que la Russie compte environ 15 millions de personnes inutiles - sic (voir ici), la liste a dû être définitivement établie et le fut en août 2017 pour finalement comporter 5 137 immeubles. Les mouvements de contestations furent très importants (voir notre texte ici), mais la décision était déjà prise, elle fut adoptée sous forme législative (voir notre texte ici).
Si les gens se sont calmés, ils ne sont pas pour autant plus tranquilles, surtout ceux qui n'avaient aucune envie de déménager, qui avaient toujours vécu dans leur appartement. Mais nous sommes à l'époque de la mobilité, les racines ne servent à rien, elles dérangent, empêchent - le délabrement de la société en même temps que le bénéfice sélectif de l'"expropriation-révonation". Comme il est plus difficile d'entretenir que de détruire pour reconstruire (car cela demande plus de compétences), sans oublier que ce procédé barbare est beaucoup plus lucratif, pourquoi perdre du temps avec des gens trop conservateurs, décalés, ne comprenant pas les enjeux. Ou les comprenant trop bien ...
De l'opposition de rue, l'instrument se juridicise et les recours, écartés par les juridictions nationales, arrivent en bonne logique devant la CEDH. Le premier a été enregistré, il est possible que ce ne soit pas le dernier.
Alexandre Eisman, habitant de Moscou, conteste l'inclusion de son immeuble, ne menaçant absolument pas ruine, dans la liste des immeubles à détruire et lui-même dans celle des expropriés d'office, alors que la Rénovation n'est pas prévue comme fondement d'expropriation par le Code civil. Le tribunal d'arrondissement de Moscou, sans même, selon ses dires, vérifier le fondement de l'inclusion de son bien dans la liste de Rénovation, a validé la décision. Son avocat, Gregory Vaïpan, bien connu dans les milieux des activistes, qui en plus d'une formation juridique en Russie a également été sélectionné pour passer à Harvard, s'est retourné devant la CEDH.
Le recours se fonde sur le fait que la Mairie de Moscou a inclus un bâtiment parfaitement habitable, non vétuste, dans la liste des immeubles à détruire. Il ne s'agit donc en aucun cas de la poursuite d'un intérêt public, mais bien d'intérêts privés.
Intérêts privés et, l'on pourrait même ajouter, particulièrement sonnants et trébuchants.
La boucle est bouclée. Ces milieux qui ont "conseillé" le maire de Moscou de mettre en place cette grande opération de transfert de propriété immobilière à grande échelle à Moscou sous l'appellation surprenante de "Renovatsiya" qui ne dit rien en russe, alors que l'ancien maire avait déjà largement remplacé les Khrouchtchevka sans faire tant de vagues, alors que les immeubles menaçant ruine obligent de toute manière la Mairie à reloger les gens, alors que les critères d'inclusion dans la liste des immeubles à détruire sur fondement de Rénovation sont particulièrement flous (sur le plan juridique). Ces milieux, jouant sur la vénalité, l'idéologie (voir ici notre texte sur la question de la "décommunisation" rénovée ) et le fanatisme primaire de certains milieux ont créé un instrument supplémentaire qu'ils peuvent aujourd'hui manier sans aucun risque.
Il s'agit principalement d'une atteinte à l'image du pouvoir dans la population, avec la montée du mécontentement social et l'ouverture de plages politiques offertes à l'opposition destructrice. Ceci doublé par des soupçons de corruption, plus ou moins cachée, justifiant en fait ce qu'il est difficile de fonder en droit. Sans oublier que l'ombre du bolchévisme est habilement dirigée sur les expropriations massives.
La boucle est bouclée. Il reste à payer. Car condamnation, en toute logique, il y aura. Et tant d'intérêts financiers et idéologiques sont en jeu, que cette erreur stratégique ne sera pas remise en cause. Elle risque de coûter très cher. Et pas uniquement financièrement.
On croirait lire un scénario de Joseph Schumpeter à la gloire de la « destruction créatrice ».
RépondreSupprimerLes Russes en seraient-ils arrivés à imiter les prédateurs US qui se sont jetés, entre autres exemples, sur les propriétés dévastées par l'ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans en 2005 ?
Les opportunités d'affaires juteuses se multiplient chaque fois devant un saccage immobilier, surtout dans les grandes villes où les terrains s'arrachent à fort prix et où la spéculation est rarement déçue.
Et si la nature ne participe pas à créer le chaos, comme à La Nouvelle-Orléans, alors il faut l'aider un peu en s'en chargeant soi-même ... quitte à forcer la morale en durcissant la loi.
Qu'attendent les moscovites pour chasser Sobianine de la Mairie de Moscou?
RépondreSupprimerRien à voir avec le fond de votre article mais étant donné la superficie du territoire russe c'est quand même hallucinant d'imaginer encore des gens vivre comme des rats dans des immeubles horribles du genre hlm et pas tous dans des maisons individuelles résidentielles entouré de verdure de parc etc.
RépondreSupprimerEnfin bref probablement trop de fantasmes de la part d'un français d'origine russe d'avant le coup d'état anti tsariste qui se dit que d'un point de vue logement entre capitaliste et bolchévique c'est même combat pour parquer des esclaves à tout faire.