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jeudi 20 février 2020

Pourquoi le départ de Surkov ne va pas changer le cours de la politique en Russie

Volodine, Kirienko, Surkov, trois visions de la gouvernance


Le Président russe Vladimir Poutine a signé l'oukase mettant fin aux fonctions de conseiller présidentiel de Vladislav Surkov, le cardinal gris du Kremlin, peu après que celui-ci ait fait annoncer son départ. Il est vrai que son étoile ne brillait plus depuis quelque temps, son poids s'est fortement réduit avec les années et l'intérêt qu'il portait à la crise ukrainienne était très léger par rapport à l'époque glorieuse de la conception de la politique intérieure, aujourd'hui dévolue à Kirienko. L'époque du père de la "démocratie souveraine" est passée, à tel point qu'il serait plus juste de se demander non pas en quoi son départ va changer la politique russe, mais en quoi le changement de politique en Russie a logiquement conduit à son départ.


Vladislav Surkov est une personnalité complexe - tout comme son parcours. Il est né en 1964 dans la région de Lipetsk et a terminé l'Université des sciences et des technologies de Moscou (MISIS). Dans les années 80, il commence sa carrière en s'appuyant sur les oligarques.Tout d'abord Khodorkovsky, pour qui il travaille en dirigeant le département de publicité d'une de ses Fondations pour la jeunesse (1987), ensuite il passe dans le secteur financier - toujours avec Khodorkovsky - à Menatep (1991-1996), tout en se positionnant dans la publicité et la communication. Ces réseaux sont utiles, il devient alors à cette période consultant du Gouvernement russe (1992). Ensuite en 1997, il passe sous un autre oligarque important, Fridmann, pour en 1998 faire une furtive apparition dans les milieux de la télévision. Commence alors en 1999 sa carrière fulgurante à l'Administration présidentielle avec Poutine.

Son heure de gloire commence à cette époque. Il fait partie des idéologues qui ont mis en place le parti politique Edintsvo (L'Unité), en opposition à Primakov, une figure-clé de la lutte contre le néolibéralisme en Russie, dont manifestement l'alternative souverainiste et nationale ne devait pas alors prendre le dessus. Il en découlera ensuite Edinaya Rossiya - et le néolibéralisme que l'on connaît aujourd'hui.

Il fut un excellent policy maker : il a aidé à la mise en place de partis spoilers afin d'absorber le vote contestataire, le vote social ou souverainiste incompatible avec le cours choisi. Il a également participé à la mise en place d'une gestion de la société civile, sur le même modèle, avec par exemple  la création du mouvement de jeunes "Nachi" ("les nôtres"), affirmé de tendance patriotique. 

Cela lui était possible par son poste de gestion de la politique intérieure à l'Administration présidentielle, comme vice-président de l'Administration à partir de 1999. Pour autant, s'il est un excellent joueur, son approche post-moderniste et déconstructiviste l'a naturellement conduit à s'écarter de la réalité socio-politique du pays. Il est difficile de tenir une population éduquée pendant longtemps dans l'illusion. En 2011, un mouvement de rejet profond et sincère s'empare de la population, c'est Bolotnaya. Cette vague va emporter pour un temps Surkov, qui sera positivement remplacé par Volodine (aujourd'hui à la tête de la Douma). En revanche, le vide politique instauré, en partie grâce au jeu de Surkov, en partie avec l'échec des libéraux à incarner une alternative nationale (échec qui se répète inlassablement jusqu'à nos jours), permet au pouvoir de conduire des réformes salutaires, de rendre les élections propres, de calmer la population et de stabiliser la situation. Volodine cesse de jouer avec l'opposition et la situation se calme, s'assainit.

Après quelques mois, Surkov passe au Gouvernement (en décembre 2011), où il ne laisse pas de traces sensibles. En 2013, il quitte ses fonctions du Gouvernement, après une contestation ouverte. Il revient alors à l'Administration présidentielle, en charge de l'espace post-soviétique et de ses confits. Avec le conflit en Ukraine, il a repris de l'importance, mais n'a plus été en mesure d'influencer, comme aux années 2000, la politique intérieure. A ce poste, les conflits en cours sont gelés.

Certaines tentatives de retour ont été faites, notamment par des publications. Il proposait de passer de la théorie de la "démocratie souveraine" à une conceptualisation de la gouvernance de Poutine avec le "Poutinisme", mais sans grands résultats. Nous avions traité ici de certains de ses textes. Vous pouvez retrouver ses déclarations en 2017 sur l'hypocrisie vieillissante de la civilisation occidentale et en 2018 sur le destin de la Russie, qui est la solitude, mais pas l'isolement.

Avec son départ, beaucoup se demandent ce qui va changer. En fait, rien. Il est parti parce que la situation a changé. Et elle a radicalement changé avec l'arrivée de Kirienko à l'Administration présidentielle (2016), avant la dernière élection présidentielle de Poutine (voir notre analyse sur le sujet ici). Kirienko a radicalisé le cours néolibéral et du mode de gouvernance et sur le fond des politiques menées, s'appuyant certes sur les "acquis" laissés par Surkov. Mais la différence fondamentale entre les deux vient du rejet du politique par Kirienko (alors que Surkov est fondamentalement un joueur politique) et son orientation quasi-fanatique vers le management.

Dans cette configuration, Sourkov n'a pas/plus sa place. Il a apporté tout ce qu'il pouvait apporter. Le porte-parole du Kremlin, Peskov, l'a d'ailleurs délicatement et fermement enterré politiquement en disant de lui que c'est "quelqu'un de talent" et que le talent trouve toujours sa place quelque part ...

Quelque part ... Etant politique, mais postmoderniste, il est trop éloigné et des conservateurs, qui le voient comme une force destructrice, et des nouvelles forces néolibérales portant héroïquement le management, qui le voient comme trop conservateur. Il est trop ou pas assez, son temps est passé, mais la Russie repose sur ses acquis. Certains, ceux qui soutiennent le néolibéralisme, les apprécieront positivement, ceux qui auraient préféré une alternative étatiste à la Primakov les regretteront. Dans tous les cas, quelle que soit la manière dont on l'apprécie, c'est une figure importante qui sort. Peut-être une deuxième époque aussi qui s'en va de la Russie postsoviétique.

5 commentaires:

  1. " être ou ne pas être un Européen "
    c'est vraiment une idée russe ça les francais ne sont pas européen les allemand ne sont pas européen, les italiens ne sont pas européen . . .
    les Allemand ne sont qu'a peine allemand ils sont :du Bade-Wurtemberg, de la sarre ou bavarois . . .
    les Italiens ne sont qu'a peine Italien ils sont napolitain, calabrais, sicilien . . .

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    1. Je comprends votre commentaire mais l'identité européenne existe bien, même si elle est malmenée lors des conflits entre les Etats nations ou dissolue dans cette imposture qu'est l' "Union Européenne" par exemple.

      L'Europe n'est pas seulement une idée (un rêve diront certains) c'est aussi une réalité civilisationnelle démontrée par l'archéologie la plus lointaine, les liens linguistiques où les mythologies anciennes par exemple qui attestent non seulement d'un fond commun mais aussi d'une vision ontologique partagée que les philosophes nomment la Tradition. Les pays que vous nommez sont des déclinaisons particulières de cette identité européenne adaptée aux particularismes géographiques et économiques des lieux de vie et aux vents de l'Histoire qui les ont traversé Ces pays sont les patries charnelles honoré par Yann Fouéré ou Goethe et elles ne sont pas contraire à une conscience européenne, bien au contraire elles sont les branches et le tronc d'un arbre civilisationnel dont les racines ont plus de 30 000 ans.

      Le problème que vous évoquez justement à travers vos exemples c'est le niveau de conscience qui souvent est écrasé par des visions centralisatrices descendantes (de type Jean Bodin) alors que les visions fondées sur une subsidiarité ascendante (décrite par Althussius Johannes)peuvent s'élever corps identitaire intermédiaire après corps identitaire intermédiaire jusqu'à l'entité civilisationnelle commune qui constirue leur socle racinaire.

      Bien à vous
      Erwan

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  2. Chère Madame,
    Permettez moi de vous dire que votre article demande, pour être parfaitement compris, d'être un excellent spécialiste des hommes politiques russes.
    Ce que vous êtes certainement, mais ce dont la majorité de vos lecteurs ne sont pas.
    Peut-être qu'un rappel définissant ce que représente chacun des politiciens dont vous parlez serait salutaire pour mieux suivre votre texte.
    Lorsque vous écrivez que Sourkov est un post moderniste, cela ne m'éclaire pas vraiment sur ses convictions.
    Très amicalement.
    Marie G.

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    1. Marie Genko

      Vous pourrez trouver quelques (débuts) d'éclaircissement à vos interrogations sur les problématiques du « postmodernisme » et de la « déconstruction » déridienne appliquées à l'analyse de la scène politique russe, in:

      Peter Pomerantsev, « Putin's Rasputin », London Review of Books, Volume 33 Number 20, 20 October 2011
      https://www.lrb.co.uk/the-paper/v33/n20/peter-pomerantsev/putin-s-rasputin

      Peter Pomerantsev, « The Hidden Author of Putinism How Vladislav Surkov invented the new Russia », The Atlantic, November 7, 2014 (bref, mais intéressant)
      https://www.theatlantic.com/international/archive/2014/11/hidden-author-putinism-russia-vladislav-surkov/382489/

      Adam Curtis, « The Years of Stagnation and the Poodles of Power », 18 January 2012, en ligne sur le blog de Adam Curtis:
      https://www.bbc.co.uk/blogs/adamcurtis/2012/01/the_years_of_stagnation_and_th.html

      Bien à Vous

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  3. Bonjour Carine,
    Pour compléter votre texte, voici un lien (en anglais, cette fois)trouvé aujourd'hui, concernant Sourkov, qui semble avoir décidé de se faire de la publicité. Ce n'est pas que je souhaite l'aider, mais il me semble que ce qu'il dit n'est pas dénué d'intérêt (comme ce fut d'ailleurs souvent le cas, l'essentiel résidant dans le décryptage qu'on en faisait).
    https://www.rt.com/russia/481741-surkov-ukrainene-break-up/
    Serge

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