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jeudi 31 juillet 2014

Affaire Yukos suite: la CEDH et la privatisation de la justice

M. Khodorkovsky arrive à Berlin à sa libération de prison
Quel étrange concours de circonstances. Imaginez la situation. Une décision est rendue sur le fond de l'affaire en 2011, ne reconnaissant pas le caractère politique du procès contre l'entreprise de M. Khodorkovsky, Yukos, en Russie, mais reconnaît des violations de procédure et un manque de protection du droit de propriété. Pourtant, pas de peine prononcée, trouvez un arrangement. Pas d'arrangement, hier la Russie est condamée à une somme énorme. Hier, l'Argentine condamnée par un juge à New York dans une affaire contre un Fond d'investissement: elle n'avait pas négocié directement avec l'entreprise, donc le paiement est invalidé. Il y a quelques jours, la tribunal arbitral international condamne la Russie, toujours au profit des actionnaires Yukos, sur le fondement d'une Charte non ratifiée par la Russie. Quelle est cette tendance? Pourquoi faut-il à ce point mettre les Etats sur un pied d'égalité avec le business? Les Présidents doivent discuter avec les chefs d'entreprise. Comment la justice est subrepticement sortie du giron national?

Dans son arrêt de Chambre rendu sur le fond le 20 septembre 2011, la CEDH condamne la Russie pour avoir violé des règles procédurales et ne pas avoir suffisamment protégé le droit de propriété dans l'affaire Yukos, mais la Cour rejette l'accusation de procès politique. Donc, il y a bien eu escroquerie, mais avec des vices de procédures qui, toutefois, ne permettent pas de remettre en cause le bien fondé de la décision rendue par la justice russe. Et au lieu de prononcer directement l'amende dont la Russie doit s'acquitter, elle impose une procédure de satisfaction équitable.
Donc l'Etat russe doit négocier avec des individus reconnus en justice comme des escrocs pour savoir combien ils veulent recevoir en compensation de la liquidation de l'entreprise suite aux malversations auxquelles ils ont pris part. Cela s'appelle plus joliment une procédure de satisfaction équitable. Les négociations n'ont évidemment pas abouties. Au début, une somme de 100 milliards d'euros était exigée, puis elle est descendue, on ne sait pas pourquoi, à 37,9 milliards. Donc, les 100 milliards n'étaient pas fondés ... mais peu importe, il faut faire du bruit et les médias aiment ça.
Finalement, le 31 juillet 2014, la Russie est condamnée à payer 300 000 euros pour frais et dépens. Mais surtout, elle devrait payer, si elle ne fait pas appel de la décision, 1 866 104 634 euros en réparation du dommage matériel  ... aux actionnaires de Yukos. Les mêmes qui viennent de gagner de manière surprenante 50 milliards de dollars devant le tribunal arbitral.
Et le Ministère russe de la Justice est quelque peu surpris par la conception européenne du procès équitable. Tout d'abord, la somme est faramineuse en comparaison à ce que touchent les simples individus en cas de violation de procédure. Rappelons au passage que la CEDH n'est pas une juridiction commerciale ... Ensuite et surtout, il est vraiment très surprenant de voir de nouveaux bénéficiaires des largesses de la justice européenne apparaître au moment du prononcé de la sanction, alors qu'ils n'étaient pas partie au procès. Enfin, le Ministère ne voit pas en quoi les taux des amendes fiscales ressortent de la compétence de la CEDH. Rappelons à ce sujet une affaire de 2012 contre la France : " L’arrêt Segame SA c. France concerne un système de pénalités fiscales fixées par la loi en pourcentage du montant des droits éludés. Le contribuable se plaignait que le juge ne pouvait pas moduler l’amende en fonction de la gravité des faits reprochés (son taux unique étant fixée à 25 %). Toutefois, la Cour admet que le caractère particulier du contentieux fiscal implique une exigence d’efficacité nécessaire pour préserver les intérêts de l’Etat et que ce contentieux ne fait pas partie du noyau dur du droit pénal au sens de la Convention."

Cette affaire Yukos est à remettre dans son contexte, juste après la décision rendue par le tribunal arbitral de la CNUDCI. En ce qui concerne le contexte politique, n'oublions pas les sanctions économiques contre la Russie. Ces décisions de justice deviennent alors des instruments très efficaces pour faire plier ou passer un message. C'est un moyen de pression. Quelques milliards en quelques jours. Si tu paies tu es en faillite, si tu ne paies pas, on baisse ta note.
Pour le contexte international. Regardez ce qui s'est passé avec l'Argentine. Un conflit entre le gouvernement argentin et un fond d'investissement. La justice américaine se saisie de l'affaire. L'Argentine bloque au maximum pour ne pas reconnaître ce qu'elle considère être une atteinte à sa souveraineté. N'ayant plus le choix elle paie. Mais sans négocier au préalable avec la compagnie pour trouver un arrangement, comme le juge New Yorkais l'exigeait. En mauvais élève, la note de l'Argentine a été baissée par l'agence de notation Standard & Poor’s. L'argent viré pour le paiement a été refusé par le juge au dernier moment car les conditions préalables de la négociation obligatoire, rabaissant l'Etat au niveau d'une compagnie, n'ont pas été respectées et l'Argentine se retrouve en défaut de paiement temporaire. Les conséquences financières et sociales pourront être très dures pour le pays, au moment où l'Amérique latine tente de sortir du giron de l'Amérique du nord. Ca tombe mal quand même.
Ainsi, il semble se créer un mécanisme de dettes judiciaires pour les Etats, qui les mettent en dépendance par rapport au business et à une justice glissante. Dans ce flou, les juridictions nationales sont écartées et les procès sont "délocalisés". Tendance particulièrement grave qu'il faudra analyser.
La politisation des organismes internationaux est déjà bien posée, il suffit de regarder l'impossibilité pour le Conseil de sécurité de fonctionner réellement et son impuissance chronique à régler les conflits: il "sait" par avance qui sont les gentils et qui sont les méchants. L'OSCE tente encore de maintenir les apparences, mais quand la situation est tendue, les masques tombent. Le Président Obama accuse la Russie de ne rien faire pour aider l'enquête du crash, les autorités locales de Novorossia  en ont assez de devoir protéger les gentils enquêteurs, eux les terroristes, contre les gentils militaires ukrainiens, les démocrates, qui bombardent la zone, en toute impunité. L'absurdité et l'infamie est poussée à un tel point que les responsables locaux pensent mettre un terme à leur coopération avec l'OSCE. Si le pouvoir ukrainien est tellement démocrate, qu'il s'en occupe au lieu de bombarder.
Et maintenant la justice va-t-elle se discréditer comme les organismes internationaux ont réussi à le faire? La Russie doit plier devant Yukos et Khodorkovsky. L'Argentine devant Paul Singer’s Elliott Management. Combien la France devra-t-elle payer si elle livre les Mistrals? Combien les pays européens de l'Est devront payer s'ils participent à la construction de South Stream? Jusqu'où les dirigeants devront-ils s'abaisser?
C'est un nouveau mode de gouvernance, dans lequel les Etats n'ont pas plus de légitimité ni de poids que le business, qui lui n'est responsable que devant lui-même. Un Président doit être l'égal d'un chef d'entreprise, on est libéral ou on ne l'est pas. Et ce danger réel nous oblige à totalement repenser les paradigmes d'analyse pour en saisir la portée, car des notions identiques sont utilisées, mais leur fonction est différente. Comme on vient de le montrer avec la Justice. Et cela va obliger les Etats à devoir repenser leur organisation financière et économique intérieure s'ils veulent garder ou obtenir une part de souveraineté. 

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