Voir:
http://pravo.ru/news/view/88139/
http://www.president-sovet.ru/news/4828/
Le Conseil des droits de l'homme et de la société civile a mis en place une Commission permanente sur les précédents judiciaires. Ils viennent de sortir, sous la direction de l'ancien juge, mis à la retraite, S. Pachine, une revue devant recenser et analyser les affaires concrètes ayant une importance particulière pour la société.
Afin de contourner une critique qui peut, à juste titre, leur être adressée, ils ont posé à la Cour constitutionnelle une question, somme toute, réthorique. Avec une feinte naïveté, ils ont demandé si par hasard, leur monitoring ne risquait pas de tomber sous le coup de pressions exercées sur la justice. Evidemment, le président de la Cour constitutionnelle, V. Zorkine, a logiquement, ce qui était par ailleurs attendu par les membres du Conseil des droits de l'homme, répondu que l'analyse de la jurisprudence est libre et ne constitue en rien une pression, puisque les conclusions qui en sont tirées ne revêtent aucun caractère obligatoire pour les magistrats. Et c'est tout ce dont avait besoin le Conseil, car nous ne nous situons pas sur le plan du droit positif, mais du soft power.
Pourtant, le rédacteur en chef de ce monitoring ressent le besoin d'affirmer la légitimité de la Commission à mener un tel travail. Etrange, s'il s'agit d'un travail scientifique auquel les universitaires, français par exemple, sont largement habitués. Quoi de plus normal qu'analyser la jurisprudence pour en voir l'évolution, en comprendre les méandres et les rendre intelligibles, dégager la logique de la politique judiciaire. Et donc S. Pachine d'insister sur les compétences particulières des membres, ces défenseurs des droits de l'homme, ces praticiens du droit, ces représentants incontestables de la société civile qui eux savent ce que le droit doit être (voir son discours introductif). Et ici on sort déjà de l'analyse objective, puisque l'on y appose un but, le devoir être et non l'être. Et la suite est encore plus claire: "Nous sommes intéressés à ce que la justice russe corresponde aux standarts internationaux de défense des droits de l'homme". L'on pourrait se demander qui n'est pas intéressé à cela ... Donc en transposant le fond et la forme du monitoring, on arrive en toute logique à cela.
Sur le fond, il s'agit donc d'un instrument de pression afin de faire correspondre le droit russe aux standarts du Conseil de l'Europe, avec lequel la Russie a des conflits de plus en plus marqués sur le plan politique, quand, par ailleurs, elle a remporté ces derniers temps de grands procès que le plan juridique. Et la volonté du monitoring de choisir, j'insiste il s'agit bien d'un choix, des affaires et de les mettre en rapport avec les exigences européennes pose une question, au minimum, d'objectivité d'analyse, sinon de déontologie.
Sur la forme, le choix du monitoring d'affaires concrètes est très à la mode. Il s'agit de recourir à la méthode anglo-saxonne du précédent judiciaire. Le droit s'explique par la pratique, il se développe par la pratique - ce point est en commun avec le système européen continental, car la "planète droit" ne tourne pas sur un axe autonome. Mais, les décisions des autres juridictions ne sont pas obligatoires, lorsqu'il ne s'agit évidemment pas du recours à l'appel ou la cassation. Or, ici, en déterminant des affaires importantes sur différentes questions juridiques, affaires qui ont été traitées dans différents tribunaux du pays, le Conseil mèle les genres. Vous trouvez des décisions venant d'un tribunal de Voronej ou d'Ekaterinbour, sans savoir pourquoi elles ont été choisies sur ces questions juridiques concrètes.
Or, comme cela est précisé dans la présentation du document, celui-ci est destiné aux avocats, aux défenseurs des droits de l'homme, aux juges, aux universitaires. Les avocats et les défenseurs des droits de l'homme sont donc enjoints à s'appuyer sur ces cas précis, bien que le précédent judiciaire n'existe naturellement pas en Russie, pays de logique européenne. Ce document s'adresse aux magistrats, dont on attire l'attention sur des cas précis, en espèrant faire évoluer leurs positions. Ils s'adresse également aux universitaires, car si les professeurs commencent à fonder leurs cours sur la pratique (préalablement choisie pour eux et non par eux) et ensuite expliquer les règles théoriques, il n'y a plus qu'un pas à faire pour introduire en Russie le système anglo-saxon du précédent: les esprits seront prêts à recevoir et diffuser la bonne parole.
Cela est-ce le rôle d'un Conseil des droits de l'homme auprès du Président de la Fédération de Russie ou cette démarche ne devrait-elle pas être celle d'une ONG ou d'un Think tank? La question de la composition de ce Conseil, question soulevée par le Procureur général lors de la vérification des financements des ONG, non pas russes, mais en Russie, trouve ici un écho amer.