Enfin, la Cour constitutionnelle a fait preuve d'une réelle indépendance dans sa décision d'aujourd'hui concernant l'accident de la circulation ayant eu lieu sur Léninsky Prospekt à Moscou et impliquant le véhicule du président adjoint de Lukoil.
Nous rappellerons brièvement les faits de cette affaire célèbre, qui a provoqué beaucoup de réactions dans la société russe.
En février 2010, le véhicule de A. Barkov, une des figures clefs du géant pétrolier russe Lukoil, a percuté un autre véhicule conduit par deux femmes de la classe moyenne moscovite, mortes sur le coup. La question s'est alors posée de savoir qui était responsable. La reconstruction des faits a été rendue quasiment impossible par la disparition soudaine des vidéos de surveillance réalisées par les caméras postées à cet endroit. Selon une première version, le véhicule de A. Barkov est sorti sur la voie contraire et a percuté de plein foué les deux femmes. Selon une autre version, c'est le véhicule des deux femmes qui est sorti de sa voie pour une raison inconnue et aurait percuté le véhicule de A. Barkov. Après une enquète de police quelque peu surprenante dans sa conduite, la conductrice - cette fois sans aucune surprise pour personne - a été déclarée coupable. La procédure a donc été officiellement arrêtée "en raison de la mort de la personne présummée coupable" (art. 24 CPP).
Sur le plan juridique, toutefois se pose un problème. En effet, en mettant un terme à la procédure, les enquêteurs n'ont pas porté attention à la totalité de la formulation de cet article 24 du CPP, qui prévoit une exception en ce qui concerne la réhabilitation de la personne poursuivie. Les proches se sont appuyés sur ce point pour demander devant les enquêteurs la poursuite de l'enquête, mais ils n'ont pas voulu donner suite. Cette décision de refus a été attaquée devant les tribunaux, mais là encore ils ont obtenu un refus.
L'affaire a été donc portée devant la Cour constitutionnelle par les proches de la victime, présummée coupable.
Les avocats de la famille, toutefois, on invoqué l'inconstitutionnalité de la totalité de l'article 24 du CPP. Cette position est contestable puisque cela revient à reconnaître la possibilité de poursuivre un mort, donc de lui faire porter la responsabilité de tout et n'importe quoi, sans qu'il puisse se défendre, donc en violation des droits de la défense.
Du côté de l'accusation, la position était également caricaturale. Les enquêteurs estimaient pour leur part qu'il leur appartenait de manière exclusive le droit de prendre la décision de poursuivre l'enquête pour réhabiliter le mort, ce qui est un non sens.
La Cour constitutionnelle a choisi la voie de la raison. Dans sa décision, la Cour a validé la constitutionnalité de l'article 24 du CPP, protégeant ainsi les droits de la défense, mais a émis une réserve d'interprétation, puisque cet article est constitutionnel sous réserve de permettre aux proches du mort de défendre en justice son honneur et son nom.
On soulignera, sur le plan politique, le courage de la Cour constitutionnelle qui a pris sa décision malgré et le rapport de l'Administration de Medvedev, et le rapport du Gouvernement Poutine et le rapport de la Douma qui soutenaient unanimement les enquêteurs, protégeant ainsi, d'une certaine manière, un des leurs et une entreprise d'intérêt national... Malgré cela, la Cour s'est adressée à des experts indépendants, représentants de la doctrine juridique russe, lui permettant de défendre la logique du droit contre la logique politicienne.